Le directeur national de la géologie et des mines (DNGM), Cheick Fantamady Keïta, a, au cours d’une rencontre avec la population de Kéita, montré son impuissance à mettre fin à l’exploitation minière illégale dans le cercle de Kénièba. Il s’est tout simplement contenté d’interpeller la jeunesse de la localité à empêcher toute exploitation minière illégale. Pourtant, l’Etat jouit de dispositions réglementaires permettant d’identifier et d’interpeller les contrevenants.
Aaprès avoir interpellé avec véhémence un groupe de jeunes (rencontrés sur son chemin en sillonnant les localités touchées) pour n’avoir pas empêché des prédateurs-destructeurs illégaux chinois de dévaster une zone de la région, Cheick Fantamady Kéïta, directeur national de la géologie et des mines (DNGM), réunit à Kéniéba des chefs de village, des jeunes, des opérateurs miniers et leur tint en substance ce discours pour le moins hallucinant :
«Je suis parmi vous pour préparer la prochaine tournée du chef de Département ministériel dont je relève. Le but principal de sa mission est de visiter les installations des grandes entreprises minières industrielles de votre Cercle. Mais comme tous les jours que Dieu fait, les réseaux sociaux balancent une foule d’informations inquiétantes sur les activités d’orpaillage et nous alertent en particulier sur la pollution des eaux de la Falémé, il a décidé d’y ajouter, à titre accessoire, ce volet pour lui éviter d’avoir à effectuer plus tard un second déplacement ici. Il m’a donc demandé de rencontrer les communautés, les chefs de village et les opérateurs artisanaux afin de recueillir auprès d’eux les informations et données lui permettant de se prononcer sur la situation.»
«Il y a trois ou quatre mois, moi-même, j’ai eu à visiter les berges du fleuve Falémé avec l’appui-accompagnement du chef de village de Mankouké qui est ici présent. Nous avons tout regardé ensemble et nous nous sommes dit beaucoup de choses à cette occasion. Mais j’ai constaté que les activités illégales et nocives pour la santé et l’environnement identifiées sont toujours en cours. Nous ne pouvons plus nous taire en voyant autant de dégâts et de désordre. Nous devons parler car nous devons dire la vérité et faire connaître à tous la loi.»
«En Chine, ce genre de pratiques illégales ne pourraient jamais prospérer, elles sont passibles de la peine de mort et l’Etat s’y assume sans aucun état d’âme. De l’autre côté de la frontière avec le Sénégal, on voit bien que la qualité de l’eau est différente et qu’elle est consommable. Là-bas les Autorités sénégalaises ont réussi à juguler le fléau. Tel n’est pas le cas chez nous.
Or, si nous n’y trouvons pas une solution, nous allons sans doute le regretter amèrement dans le futur. En plus, la Falémé étant un fleuve qui lie le Mali à d’autres Etats voisins, nous avons une responsabilité internationale à assumer. Notre pays est déjà interpellé dans ce cadre parce que des travaux prévus par l’OMVS ne peuvent pas être réalisés à cause de cette situation.»
Revenant à la loi et à la réglementation, il poursuit son propos en précisant : «En ma qualité de Directeur national de la géologie et des mines, je suis seul habilité par la loi à délivrer les titres miniers («autorisations»). Mais partout où je suis passé, tous les exploitants auteurs de ces pratiques néfastes que j’ai interrogés m’ont montré des autorisations données soit par le chef de village, soit par le maire de la commune, soit par le préfet de cercle. Aucune n’a été délivrée par l’Administration minière (la DNGM). Or chaque institution de la République a sa mission et ses prérogatives. J’ai été si choqué que je suis allé le dire de vive voix au Préfet de cercle.
«(…) Les Chinois ne sont pas les seuls exploitants illégaux et destructeurs, il y a d’autres nationalités : des Burkinabè, Guinéens, etc. Et tous les exploitants chinois ne sont pas dans l’illégalité. Par exemple, dans la zone de Loulo, une entreprise chinoise possède un titre régulier qu’elle a obtenu après avoir rempli toutes les procédures administratives exigées par l’Etat malien et elle y travaille légalement depuis 2014.»
«Parlons-nous donc et trouvons ensemble les solutions idoines car sans vous, les populations, nous autres, services techniques, ne pourrons pas être efficaces dans l’accomplissement de nos missions. Si vous vous impliquez, nous y arriverons et très vite ! Et c’est la Jeunesse qui doit jouer le rôle d’avant-garde. C’est la raison pour laquelle j’ai interpellé énergiquement les jeunes que j’ai trouvés à proximité d’une unité d’exploitants chinois opérant illégalement à l’intérieur du périmètre de la société minière industrielle SOMILO. À notre vue, ils ont immédiatement détalé pour passer sur l’autre rive de la Falémé, côté Sénégal. Les jeunes de la localité étaient là en spectateurs passifs…quel dommage!» conclut-il.
La réplique à ces propos surréalistes fut immédiate. Elle est formulée globalement et de façon claire et nette dans deux interventions complémentaires. La première est celle du chef de village de Keniéba, Sékou Sissoko, qui a affirmé : «La Falémé a été abîmée bien avant l’arrivée des exploitants chinois dans la région, tout le monde le sait bien. Il y a juste deux années qu’ils opèrent, or le mal était déjà fait.
C’est aux autorités nationales qu’il incombe le devoir de trouver des solutions adaptées à nos besoins et au terrain car d’une part ils fournissent de l’emploi à nos jeunes et d’autre part il existe beaucoup d’autres espaces éloignés du fleuve qui recèlent énormément d’or où le gouvernement pourrait leur permettre de s’installer.»
Lassana Camara, président de la Chambre locale des mines de Keniéba, prit la parole ensuite pour étayer les propos du chef de village avant d’évoquer avec instance le risque de guerre civile en cas d’expulsions des exploitants chinois : «Personne ne peut nier le fait que notre fleuve a été détruit par d’autres acteurs avant l’implantation des unités d’exploitations chinoises dans notre région. Personnellement, j’y exploite douze cracheurs.
L’apport des Chinois ici est extraordinairement positif. Vous avez devant vous les chefs de village, les familles d’orpailleurs et les jeunes de toutes les localités riveraines de la Falémé, ils peuvent témoigner. De la Commune rurale de Faraba à celle de Dialafara, les exploitants chinois assurent le plein emploi à nos jeunes tandis que les sociétés minières industrielles les refusent et les chassent constamment. Des familles qui ne pouvaient naguère acquérir 200.000 FCFA ou 250.000 FCFA de revenu annuel engrangent aujourd’hui entre cinq et six millions de FCFA grâce aux Chinois.»
«(…) Trois grandes sociétés industrielles sont présentes depuis plusieurs années dans notre cercle. Mais les familles pauvres n’ont toujours pas accès à l’électricité et à l’eau potable car il leur faut payer 2.500 FCFA voire 3.500 FCFA…C’est impossible pour nous de vivre décemment et en bonne santé dans ces conditions (…)».
«(…) Les exploitants chinois n’opèrent pas tous dans le lit de la Falémé. Ils pratiquent l’orpaillage mécanisé et les forages qu’ils réalisent ne vont pas au-delà de 40 mètres de profondeur. Dans leurs opérations, ils n’utilisent pas de produits chimiques polluants (…).»
«(…) Le gouvernement doit chercher de vraies solutions aux différents problèmes entraînés par leurs activités sans fermer leurs sites. Nous, nous avons fait notre part. En effet, nous avons créé une association qui s’occupe de la restauration des anciens sites. Dans ce cadre, nous avons formé des brigades chargées de combler les trous creusés avant d’y planter des arbres. Le Cantonnement Forestier de Keniéba nous fournit son appui technique pour assurer une réalisation efficace de ces activités (formation, tracé des périmètres, planification des travaux, encadrement dans l’exécution…).»
«(…) Pour toutes ces raisons, nous nous opposons catégoriquement à l’expulsion des Chinois. Il est hors de question de les faire partir, ils ne partiront pas, ils ne quitteront pas Keniéba ! Si vous les chassez de chez nous, vous allez déclencher une guerre civile ici !»
«(…) Nous avons compris que, maintenant dans notre pays, le Mali, chacun roule en priorité pour ses propres intérêts. Nous, populations de Keniéba, devrions être les premiers bénéficiaires et les plus favorisés par la politique d’exploitation de l’or décidée par l’Etat parce que nous sommes chez nous et l’or de notre territoire local est notre patrimoine collectif avant d’être une richesse nationale. Nous accueillerons à bras ouverts tous les étrangers qui nous aident à promouvoir nos propres intérêts communs de Keniébiens, quelle que soit leur nationalité (Chinois, Japonais ou autres).»
Ce que Cheick Fantamady Keïta n’a pas dit
Dans ses propos, Cheick Fantamady Kéïta, directeur de la DNGM, a «oublié» de rappeler à ses interlocuteurs, l’existence des dispositions réglementaires et les dispositifs et outils techniques de l’Etat qui permettent d’identifier et interpeller rapidement les contrevenants, situer les responsabilités à tous les niveaux (local, régional et national) avant d’enrayer au plus vite la catastrophe.
En particulier, il s’est bien gardé d’évoquer l’existence au sein de la Direction nationale de la géologie et des mines, dont il est le premier responsable, de tous les cadastres miniers détaillés (au 200 millième) et d’un référentiel en ligne des cadastres et titres miniers mis en place par le Projet d’appui à la gouvernance des industries extractives (PAGIE/GIZ) de la coopération allemande au Mali, parfaitement opérationnel depuis plus de deux ans.
De même, notre DG a soigneusement évité de rappeler l’obligation pour les entreprises minières intervenant au Mali et dans tout le reste de l’espace de l’UEMOA de réaliser au préalable une Etude d’Impact Environnemental et Social (EIES) et d’obtenir un permis environnemental auprès du ministre de l’Environnement avant l’octroi par l’Administration minière (la DNGM) et le ministre des Mines d’un titre d’exploitation.
La disposition réglementaire malienne en la matière (Décret N° 08-346/P-RM du 26 juin 2008 portant EIES) exige une réunion d’un comité interministériel regroupant les représentants techniques de tous les ministères concernés par le secteur minier (Agriculture, Eaux et Forêts, Énergie et Eau, Culture, etc.) sous le leadership du service technique de l’Environnement chargé du suivi environnemental, du contrôle des pollutions et des nuisances (la DNACPN) pour : -valider le rapport ou la notice de l’étude d’impact environnemental, économique, social et culturel (EIES) préalable déposé par le candidat à l’exploitation ;- le rendre public et accessible aux populations des communautés habitant dans et autour du périmètre demandé ;-faire organiser par les autorités administratives sur place une Consultation publique destinée à recueillir leurs avis, leurs revendications et négocier leur accord ; -faire signer et délivrer le Permis environnemental au candidat par le ministre de l’Environnement.
C’est sur présentation de ce document, à fournir obligatoirement, que le DG de la DNGM et le ministre des Mines peuvent légalement délivrer au candidat à l’exploitation d’une mine respectivement une autorisation d’exploitation semi-mécanisée et un permis d’exploitation industrielle d’un site minier.
La procédure réglementaire est identique pour tous les autres types de travaux de réalisation d’infrastructures, d’exploitation de carrières ou dans d’autres domaines d’activités identifiés et classés par l’Etat (Annexe du Décret N° 08-346 P-RM du 26 juin 2008 portant EIES
À cet égard, il faut signaler et souligner que notre actuel Directeur national de la géologie et des mines, en poste depuis le 1er janvier 2019, est tout spécialement outillé et expérimenté pour éclairer les acteurs du secteur sur ce sujet et faire appliquer la réglementation en vigueur. En effet, titulaire de plusieurs certificats de formation en «études d’impacts environnementaux et management des projets miniers», il a été nommé chef de Section Installations Classées en 2010 puis, de 2012 à 2018, il a occupé la fonction de Chef de Division Installations Classées et Environnement !
Enfin, à travers ses propos, Monsieur Cheick Fanta Mady Keïta donne la nette impression que la Direction nationale de la géologie et des mines est le seul service technique missionné par l’Etat dans le secteur minier.
Or, en fait, d’autres services techniques étatiques comme la Direction nationale de l’assainissement, du contrôle des pollutions et des nuisances (DNACPN), l’Agence malienne de radioprotection (AMARAP), chargée de traquer les sources d’irradiation et contrôler le niveau de radioactivité dans l’environnement et la Direction du patrimoine culturel (DNPC) sont également chargés du secteur et disposent eux aussi de dispositifs et mécanismes spécifiques de suivi et de contrôle.
L’Etat malien possède en plus des structures de recherche et de conseil scientifique compétents, comme le Laboratoire national des eaux, l’Institut national de la recherche en santé publique, le Laboratoire d’analyses de l’université des Sciences, des Techniques et des Technologies de Bamako.
C’est dire que dans un Etat digne de ce nom, qui est doté de tous ces dispositifs et mécanismes, et fonctionne normalement (coordonne, met en synergie et harmonise toutes les missions sectorielles complémentaires, assure le suivi et la régulation), il ne pourrait survenir une aussi flagrante violation de la loi et une prédation d’une telle ampleur, qui plus est, anarchique destructrice, inconcevable et inacceptable.
Mais, dans le cas d’espèce, la simple annonce faite par le DG de la DNGM de la mise en place de «commissions ”Contrôles et dragages ”au sein de son institution, sans la moindre allusion à une éventuelle collaboration avec les autres services techniques et scientifiques chargés du secteur, permet nullement d’espérer une concertation et une coordination technique interministérielle nécessaire et indispensable pour enrayer le fléau.
Bambo DABO/Kharifaya, février 2021
NB : le surtitre, le titre, le chapeau et l’intertitre sont de la Rédaction.