Une vingtaine de petites dragues en pleine activité ont été aperçues sur le fleuve Niger à Baco-Djicoroni, fin février. Ces orpailleurs auraient causé, « la mort de plusieurs poissons due aux produits chimiques déversés dans l’eau », selon un message d’alerte anonyme mis sur les réseaux sociaux, il y a quelques semaines. Ce retour des activités de dragage sur les cours d’eau de la capitale malgré l’interdiction crée des interrogations au sein des riverains. Retour sur les lieux.
Chaque après-midi, après le boulot, F. C. se rend dans le jardin du fleuriste Guindo. L’espace est aménagé sur les berges du fleuve Niger de Baco-Djicoroni. C’est le moment préféré de la journée de la riveraine. « Je viens ici pour prendre de l’air et échanger un peu avec mes amis », raconte-t-elle, détendue. Elle savoure jalousement le coucher du soleil sur le fleuve. Un plaisir qu’elle voyait passer pourtant, depuis l’arrivée des nouveaux occupants.
Le groupe d’amis a été rejoint par d’autres jeunes. A la différence du premier groupe, les nouveaux arrivants se sont installés sur les cours d’eau, avec des machines de drague.
Alerte sur les réseaux sociaux
Les images d’une vingtaine de petites dragues en activité sur le fleuve Niger à Baco-Djicoroni ont fait le tour des réseaux sociaux, sur WhatsApp, fin février. Le message annonçait également « plusieurs de morts de poissons dû à l’utilisation des produits chimiques par les orpailleurs ».
Sur place, les habitants confirment la présence de ces orpailleurs sur le fleuve, mais près de la station compacte de la Somagep au lieu de la station d’épuration, comme annoncé dans le message d’alerte.
« On les voyait ici étant assis mener leur activité », rapporte Guindo. Selon le fleuriste, ces orpailleurs travaillaient la journée et rentraient la nuit. A part le bruit des moteurs des dragues, le fleuriste affirme n’avoir pas constaté d’autres désagréments. Le grin dans son jardin n’est pas de cet avis. « L’exploitation aurifère par dragage sur les cours d’eau a des conséquences très graves sur l’environnement et la nature », soutient-il.
Affectueusement appelé Professeur par ses amis, ce riverain craint même de voir un jour cette sève nourricière vider de toutes ses espèces à cause de la pratique. « Les orpailleurs nous font croire qu’ils n’utilisent pas de produit, c’est faux », réplique-t-il soutenant « qu’on ne peut pas extraire l’or de la boue sans utiliser des produits chimiques ».
Le même message d’alerte est parvenu à l’ABFN. Les riverains comme l’ABFN affirment n’avoir pas constaté des cas de poissons morts comme indiqué dans le message. Selon le chef d’antenne du sous bassin du Haut Niger à Kangaba Opéri Berthé, ces exploitants ont, en réalité, profité de la campagne de nettoyage du fleuve lancée en janvier 2021 par une association en partenariat avec le ministère de l’Environnement, de l’Assainissement et du Développement durable pour s’installer en plein cœur de Bamako.
« On était réticent au lancement parce que le groupement qui devait exécuter, appelé Dragi Niéta, est, en effet, des dragueurs déguisés en exploitant de gravier. Après une visite, nous avons constaté qu’ils utilisaient les mêmes moteurs et le même système qui cherchait l’or dans les cours d’eau. Mais nous avait demandé d’attendre les trois mois d’essai donnés à l’association initiatrice du projet et qu’on allait faire une évaluation après », rappelle l’agent. « Cela n’a pas été fait », déploré-t-il.
« Ils n’ont plus quitté »
Lancée sur trois mois, l’Association sauvons le Fleuve Niger en partenariat avec le ministère de l’Environnement, de l’Assainissement et du Développement durable, se proposait, à travers cette campagne, de désensabler le fleuve Niger, du 2e pont de Bamako à Samaya, et de le débarrasser des ilots et herbes aquatiques. Après la campagne, « ils n’ont pas dégagé comme convenu », affirme l’agent de l’ABFN. Pour qui, « il fallait qu’il mette des forces de l’ordre à leurs trousses pour les déguerpir ».
Le chef d’antenne du sous bassin du Haut Niger à Kangaba rassure, qu’après leur intervention du 3 mars, ou ils avaient saisi quatre moteurs de drague à Sébénikoro, « qu’il n’y a plus de drague au niveau Bamako ».
Après le passage des machines de drague à Baco-Djicoroni, des riverains sont suspicieux de voir encore cette pratique exercer sur les cours d’eau au Mali, malgré l’interdiction.
Sur la question, certains sont convaincus que « les propriétaires de ces dragues sont connus par tous, même des autorités ».
Interpellée sur le sujet, l’ABFN précise que leur travail c’est les signaler aux autorités compétentes.
A chaque fois qu’on les signale, beaucoup prennent la fuite, rapporte M. Berthé. « De temps en temps avec la brigade fluviale on les traque, nous saisissons et démontent souvent les moteurs des pirogues. C’est tout que nous pouvons faire pour le moment. L’Agence n’est pas habilitée à arrêter les gens », dit l’agent.
Près de 2 000 dragues dégagées
Malgré son interdiction dans le code minier, au Mali, il est encore difficile de donner un chiffre exact du nombre de dragues sur les cours d’eau du Mali. Des données de l’ABFN ont estimé prés 3 000 dragues en 2019. Sur ce nombre, l’agence affirme avoir dégagé, jusqu’en 2020, peu près 2 000.
Ces interventions sont souvent accompagnées par des saisies des moteurs des machines. « Soit on les enlève ou les détruit, mais nous constatons après quelques temps certains se débrouillent pour chercher d’autres moteurs », regrette l’agent.
Nouvel Eldorado
Avec la multiplication des contrôles dans la capitale, un grand nombre d’exploitants évoluent aujourd’hui à partir de Samaya jusqu’à la frontière Guinée. Selon l’ABFN, la majorité des exploitants sont des Maliens avec quelques étrangers.
Face à la forte concentration du dragage dans cette zone, l’Agence du bassin du Fleuve Niger en partenariat a installé des zones mises à défend. L’espace est interdit de toutes activités pendant quelques mois. Il est ensuite libéré aux pécheurs. L’initiative a commencé par Kangaba. Ils sont à plus de 30 zones de mises à défend à ce jour. L’initiative a certes porté des fruits, mais elle montre ses limites aujourd’hui selon le chef d’antenne du sous bassin du Haut Niger à Kangaba, Opéri Berthé. « On s’est rendu compte que dans ces zones de mise à défend que même les pêcheurs sont propriétaires de dragues. Après la pêche, ils libèrent la zone aux dragueurs. Chaque propriétaire de drague pour accéder à cette zone paye 75 00 et 100 000 F CFA. Cette somme est versée aux associations de pêcheurs du village. Ça complique d’avantage la tâche », déplore le chef d’antenne qui préconise une implication la de justice afin de mettre fin à cette pratique.
Selon l’agent de l’ABFN. « Ces orpailleurs ne sont plus au Sénégal ni en Guinée. C’est au Mali que ça continue. Tant que le dragage sur les cours d’eau au Mali n’est pas interdit, les orpailleurs vont toujours continuer à utiliser des produits chimiques dont le cyanure et le mercure », prévient-il.
Plan de 4 milliards de CFCA
Aujourd’hui, l’ABFN estime qu’il faut dégager les grands moyens pour arrêter cette pratique. Le déguerpissement total des cours d’eau sur le plan national, est la solution proposée par l’agence. En la matière, un plan d’action de près de 4 milliards de F CFA déjà soumis au gouvernement, est sur la bonne voie d’être financé par le gouvernement, informe l’agence.
« Ce plan d’action, va inclure aussi des activités génératrices de revenus pour faciliter la reconversion de ces orpailleurs, qui sont des milliers de jeunes ».
A quelques Km de Samaya, nouvel Eldorado des propriétaires de dragues, les cours d’eau de Baco-Djicoroni respirent de nouveau. Même si la menace de pollution de la principale source d’approvisionnement est toujours devant la porte de Bamako, pensent des riverains, convaincus que « même si on ne le voit pas à l’œil nu, les produits chimiques qu’ils utilisent créent des problèmes de pollution pour tout le monde ».
Kadiatou Mouyi Doumbia