Attirés par leurs prix nettement plus bas, de nombreux Bamakois se tournent désormais vers les meubles importés de chez notre voisin.
Depuis quelques années, les ébénistes et menuisiers bamakois ont de nouveaux concurrents.
Le constat est facile à faire en se promenant à travers la capitale : les vendeurs des meubles importés de Guinée ont envahi les abords des grands artères. De Hamdallaye à Baco-Djicoroni en passant par l”Avenue Kwamé NKrumah, on les rencontre un peu partout.
Bacar Dieng, Sénégalais d”origine, s”est installé dans notre pays il y a bientôt 5 ans et a créé "Dieng meubles" à l”ACI 2000. Beaucoup de ses collègues ne comprennent pas pourquoi le jeune homme qui a fait fortune dans d”autres activités s”est reconverti dans cette activité peu lucrative de leur point de vue. Mais Dieng qui importe des meubles de Guinée a commencé à faire son trou et possède aujourd”hui des représentations à Koulikoro, Sanankoroba et bientôt à Ségou. Le Sénégalais qui indique avoir travaillé dans les casinos à Dakar et Abidjan entre 2000 et 2002, assure que "c”est un choix personnel et réfléchi". Et de poursuivre : "En me reconvertissant dans ce métier, je savais que j”allais y gagner ma vie. C”est vrai qu”on arrive pas économiser assez d”argent, mais au moins on parvient à nourrir sa famille".
Il admet que le commerce des meubles n”est pas facile et que le métier, comme beaucoup d”autres, a ses contraintes. Ici, relève-t-il, la courtoisie envers la clientèle doit être de rigueur. Le choix des tissus pour les fauteuils, la qualité du bois et le talent de négociation comptent beaucoup. Il faut aussi souvent faire avec les intempéries, par exemple pendant la saison des pluies.
MÉVENTE :
Selon le commerçant de meuble, le marché a perdu en vigueur ces derniers mois. "Au début je faisais le voyage au moins une fois par mois entre Bamako et Conakry. Maintenant je passe près de 3 mois sans y aller. Par exemple, je suis arrivé avec ce chargement que vous avez devant vous en décembre et nous sommes en mars, je n”ai vendu que deux lits et demi". (Rire). Dans le jargon des vendeurs de meubles, "le demi" désigne le lit à une place. Dieng attribue cette mévente à l”augmentation spectaculaire de l”offre par rapport à la demande.
"Nous n”étions qu”une poignée il y a environ 5 ans. Maintenant nous sommes un peu partout en ville et notre nombre s”accroît sans cesse", constate le commerçant dont le prix des meubles oscille entre 10 000 et 175 000 Fcfa. Le lit d”une place coûte 10 000 Fcfa tandis que pour les "3 places", il faut compter de 55 000 à 60 000 Fcfa. Le prix du lit de deux places va de 25 000 à 35 000 Fcfa selon la qualité et le modèle. Les armoires de 4 rangées sont proposés à 100 000 Fcfa (à discuter). Un salon vous coûtera entre 150 000 et 175 000 Fcfa.
"Les prix sont vraiment abordables maintenant car nous savons que les temps ne sont pas faciles", assure Dieng qui assure ne pas craindre la concurrence. "Chacun a sa chance. Nous avons choisi de venir écouler nos produits au Mali parce que nous nous considérons comme chez nous ici. Nous n”avons pas de difficultés majeures. C”est vrai que nous avons souvent quelques petits problèmes avec les populations et les autorités municipales qui nous accusent d”occuper des espaces sans autorisation. Les affaires se développent au Mali et le pays est bon pour des gens qui se débrouillent comme nous", se réjoui le commerçant.
Boureïma Bah un autre commerçant de meubles se présente comme originaire du Fouta Djalon. Il s”est installé, il y a deux ans, à Djicoroni Para non loin de l”École nationale des postes et télécommunications. Bah est menuisier de profession. Il possède un atelier à Conakry et s”occupe lui-même de la vente de ses produits à Bamako. Il indique avoir appris le métier de menuisier à Monrovia où il vivait avec son père, un ébéniste. Il a regagné Conakry après la reprise de la guerre civile au Liberia en 2001.
Le transport des meubles se fait par camion. Plusieurs commerçants de meubles se mettent ensemble (à 4 ou 5) pour louer le poids lourd qui transportera les meubles. Si la location revient de 50 000 et 65 000 Fcfa, propriétaires de la marchandise et camionneurs font ensemble face aux frais de route et de carburant.
QUESTION DE QUALITÉ ? :
"L”invasion" des meubles guinéens ne menace-t-elle pas les menuisiers nationaux ? Boubacar Niaré dit "Becken" installé à Hamdallaye répond par la négative. "Partout où il y a des affaires, il y a forcément de la concurrence. Personnellement j”ai pas peur de la concurrence. Mieux, la concurrence me donne l”envie de mieux faire. J”ai presque grandi dans ce métier que j”exerce depuis ma tendre enfance. Je me suis forgé une identité et j”ai mes clients fidèles", assure Niaré en refusant toutefois à porter un jugement sur la qualité des meubles venus de la Guinée.
"C”est vrai qu”en toute honnêteté, je dois avouer que j”apprécie certains modèles", ajoute "Becken" en reconnaissant que les meubles guinéens sont moins chers. "C”est ce qui nous pose problème car les gens aux revenus modestes préfèrent toujours ce qui coûte moins cher, sans se soucier de la qualité". Le prix du "salon complet" chez Niaré varie entre 250 000 et 350 000 Fcfa. Soit nettement plus que chez les Guinéens.
Aliou plus connu sous le nom de "Guinéen", balaie d”un revers de main les accusations portées contre les Guinéens de perturber le marché des meubles à Bamako. "Nous ne sommes pas venus pour concurrencer nos frères Maliens. Nous sommes là simplement pour écouler nos produits. Si vous voyez que nous les vendons à bas prix c”est que nous avons nos raisons pour le faire. C”est aussi la loi du marché. De toute façon, nous ne vendons jamais à perte", assure le commerçant. Et "Guinéen" de poursuivre : "nous aussi, nous connaissons des moments de mévente. Des fois, on peut passer toute une semaine sans rien vendre. Nous sommes à Bamako parce que beaucoup de Maliens aiment nos produits".
Il faut dire que le commerce de meuble n”est pas le seul secteur d”activité que les Guinéens ont investi. Ils sont aujourd”hui nombreux dans la couture, même si en la matière, les Sénégalais ont toujours la suprématie. Mais cela est une autre histoire.
S. BADIAGA
L”Essor du 24 Mai 2007
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