Mali- Agoa : Leurres ou lueurs ?

3

L’Agoa de l’acronyme anglais « Africa Groth and Opportunity Act », traduit par Loi sur la croissance et les opportunités en Afrique est une initiative du Président Clinton accordant à certains Etats Africains au Sud du Sahara la possibilité d’exporter sans quota leurs biens en direction des Etats Unis en franchise totale de droits de douanes. L’initiative a été concrétisée en 2000, au moment où la problématique de l’efficience de l’aide publique au développement se posait avec acuité dans tous les forums et sommets.

 

En effet, l’évocation « an 2000 », année de départ du millénium, sonnait comme une sorte de tocsin pour les grands décideurs du monde qui subitement prenaient conscience d’une responsabilité historique dans la résolution de la question du développement. Des voix ont commencé à mettre en cause la responsabilité des pays riches dans la pauvreté rampante de l’Afrique, et certains en sont arrivés à conclure, non moins cyniquement, que si les pays riches n’aident pas l’Afrique à se développer, ils allaient inévitablement être envahis par la nuée de « la misère mondiale » qui commençaient déjà à se montrer pressants sur leurs côtes à travers les boat people et autres assaillants infortunés de l’immigration clandestine.

 

Les fameuses « boîtes à idée » ou « think tank » de la superstructure géostratégique qui gouverne le monde, mues beaucoup plus par la frayeur existentielle que par des considérations d’efficience économique,  entreprirent alors d’échafauder  toutes sortes de propositions dont la synthèse allait éclore lors du millénium sommet de l’ONU. La décision consistant à doubler le niveau de l’aide publique au développement a été prise afin de pouvoir réaliser les objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Et pour parvenir à cet objectif de financement, les pays riches ont été invités à affecter 0,7% de leur revenu national à l’aide publique au développement des pays pauvres.  Il faut signaler que les USA ont tout de suite marqué leur réticence à cette proposition, indiquant que rien ne prouve que ce flux additionnel puisse contribuer à assurer une meilleure efficacité de l’aide. Ils ont dénoncé le caractère mécanique et arbitraire de cette disposition estimant qu’au lieu de penser à augmenter le niveau de l’aide, il faut plutôt chercher à savoir pourquoi l’aide publique au développement n’a pas été efficace jusque là. Selon leur analyse, l’une des raisons de l’échec de cette option est la corruption et la mauvaise gestion calamiteuse des pouvoirs publics concernés. Pour pallier à l’échec de l’option aide publique, les Etats Unis proposeront un partenariat fondé sur du business. En d’autres termes, il faut privilégier l’initiative privée dans les stratégies de développement, conformément à la fameuse doctrine « trade not aid ».

 

Pour les Etats Unis, la croissance et le développement qui s’ensuit, doivent être portés par le secteur privé dans le cadre d’un partenariat « gagnant – gagnant », archétype du modèle libéral. C’est ainsi que l’AGOA a vu le jour. 44 pays africains au sud du Sahara, dont le Mali, en bénéficient aujourd’hui sous la double conditionnalité de promouvoir l’initiative privée et la bonne gouvernance selon les principes de l’Etat de droit. La loi l’instituant arrive à expiration en 2015, mais les Etats africains sont fortement demandeurs pour sa reconduction pour une durée de 15 ans.

 

 

Pourquoi l’initiative sera reconduite ?

Lors du sommet USA-Afrique des 4 et 5 août 2014, les Etats africains ont sollicité du Président américain Barak OBAMA de requérir du Congrès américain le renouvellement de l’AGOA pour 15 nouvelles années. En prélude à ce sommet, le gouvernement américain avait invité 500 jeunes leaders africains pour un voyage d’étude et de prise de contact avec les milieux d’affaires américains. Cela s’appelle de la vision stratégique. L’Amérique sait être prévenante. Elle sait que l’Afrique renferme du potentiel. Elle sait que cette Afrique qui s’habitue désormais à afficher des taux de croissance de 5 à 7% est entrain de faire réorienter le curseur de l’attractivité économique mondiale. Elle sait que cette Afrique dispose d’un potentiel humain intéressant  avec une classe moyenne en développement constant et un taux de croissance démographique digne des années de baby-boom. Oui, assurément les Etats Unis sont désormais intéressés par l’Afrique et ils entendent réduire substantiellement l’écart considérable qu’ils accusent sur le géant Chinois en termes d’investissements en Afrique. Il est irréfutablement dans l’intérêt géostratégique des USA de renouveler cette préférence commerciale qu’est l’AGOA en faveur des pays africains. Les américains se singularisent par leur pragmatisme. Quant « ça sent bon » ils n’hésitent pas une seconde à s’investir. Quid de l’Afrique et singulièrement du Mali ? Sommes-nous prêts ? En quoi l’initiative nous est-elle profitable et comment en tirer le meilleur profit ?

 

 

En quoi l’initiative est- elle profitable au Mali ?

Le volume des exportations sens Afrique – USA s’est établi approximativement à 100 milliards de dollar US en 2013. Il faut évidemment s’empresser d’ajouter que 92% de ce volume concerne les produits pétroliers. Autre singularité de cette donnée, les pays anglophones de l’Afrique sud saharienne dament largement le pion à leurs homologues francophones alors que ces derniers représentent les 2/3 des pays bénéficiaires. L’on imagine que dans ce lot, notre pays, qui n’est ni anglophone ni producteur de pétrole, n’émergeât que très difficilement en terme de performance commerciale. Qu’à cela ne tienne, le Mali a tenté, à la faveur de l’AGOA, de pénétrer le marché américain à travers quelques filières comme le coton, la gomme arabique, le karité, et quelques produits de l’agroalimentaire. Mais force est d’observer que beaucoup d’obstacles structurels non tarifaires avaient, à mi-parcours, été identifiés dans le cadre de la mise en œuvre de nos stratégies d’exportation sous AGOA. Ce sont, entre autres :

– Le non respect des exigences de qualité à mettre au compte de la faible industrialisation locale pouvant permettre d’exporter des produits manufacturés de haute qualité et à forte valeur ajoutée ;

– Le non respect des normes sanitaires et phytosanitaires ;

– La faiblesse du dispositif d’accompagnement technique, de formation professionnelle et de renforcement des capacités des exportateurs ;

– Les problèmes d’accès au financement bancaire des acteurs tant au niveau des investissements que du fonds de roulement.

Que faut-il faire pour s’assurer une meilleure présence à l’horizon 2030 ?

Les pays africains dont le nôtre sont fortement demandeurs d’un AGOA 2 pour 2015-2030. A notre avis, nous serions mieux inspirés d’abord d’évaluer l’AGOA1.

Selon le congres man Républicain Christ SMITH, l’AGOA a permis de créer environ 1.000.000 d’emplois directs et indirects en Afrique. Nous aurions aimé savoir quelle a été la part qui est revenue à notre pays. Sur environ la centaine de milliards de dollar US de flux générés par l’AGOA en 2013, quelle a été la part du Mali ? Dans quels secteurs ou filières sommes-nous les mieux portés dans le cadre de l’AGOA depuis 2000 ? car il faut le rappeler nous étions parmi les premiers bénéficiaires de ce programme. Quelles ont été les principales contraintes identifiées dans le cadre de l’émergence de ces secteurs et filières « AGOA compatibles»? En quoi le système de pilotage et d’accompagnement a été défaillant ? A ce propos, Faudra t-il toujours continuer à faire assurer le pilotage de cet important programme par un simple point focal évoluant en « homme orchestre » au sein de la Chambre de Commerce et des Industries ou, de surcroît, par une cellule insuffisamment structurée au sein de l’appareil administratif d’un ministère? Que non! Les enjeux sont si importants qu’il convient, à notre avis, de vite mettre en place une structure pérenne d’accompagnement fonctionnant sur la base d’un cadre logique cohérent et suffisamment transversal. Cette structure, dotée de moyens et ressources propres à assurer un monitoring efficient,  opérera sur des objectifs précis et sera astreinte à une obligation d’évaluation permanente.

Des efforts ont certes été déployés ces dix dernières années dans le sens de l’amélioration de l’environnement des investissements au Mali et de l’accompagnement des acteurs économiquement dans le processus de création de la valeur exportable. On peut à ce titre citer l’exemple du Programme Compétitivité et Diversification Agricoles (PCDA) qui a largement contribuer à booster la filière mangue au Mali. Mais beaucoup d’efforts restent encore à faire pour atteindre de façon optimale, les performances à la hauteur de nos potentialités.

En définitive, au-delà du caractère  « exotique » de l’initiative,  il faut espérer que les pays africains saisissent cette chance historique pour marquer leur présence dans le concert des nations qui compteront demain au plan économique et géostratégique. Les américains ont donné le ton par cette rencontre préalable avec les jeunes entrepreneurs africains. Ils ne s’y sont pas trompés parce que si on veut bâtir une stratégie de long terme il faut le faire avec les jeunes. Les pays africains doivent dès à présent saisir la balle au bond pour fonder des stratégies gagnantes à l’horizon 2030 de l’AGOA. Ce n’est pas un enjeu simple. Pour lever les différentes contraintes critiques identifiées çà et là, il faut nécessairement une réponse globale, multisectorielle, cohérente et planifiée à tous les questionnements suscités par nos expériences passées. Nous avons là un exemple typique de Partenariat Public Privé sur le long terme dans lequel l’apport des pouvoirs publics est appelé à être plus déterminant compte tenu de l’immensité des défis structurels à affronter. Pour être bref, ils se doivent d’être les véritables porteurs de ce projet.

Nous voudrions conclure cette modeste contribution par cette parole chansonnière de l’artiste Ivoirien Tiken Jah Fakoly qui dans son dernier tube, un tant soit peu provocateur,  entonnait de sa voix alarmante que c’était « le dernier appel du vol Africa » ; façon pour lui d’inviter l’Afrique à prendre désormais son destin en main en ce 21ème siècle naissant. A y regarder de près, il faut admettre que nous ne sommes pas très loin de l’ultime tournant. Il urge donc d’agir.

Moustapha Adrien SARR,

Cadre Supérieur de Banque,

Directeur des Programmes de l’Institut Supiga.

 

Commentaires via Facebook :

3 COMMENTAIRES

  1. Chapeau M. sarr, vous avez touché du doigt le nœud de tous nos problèmes: absence de suite et de cohérence dans les actions que nous posons. Je ne savais pas qu’il y avaient des intellectuels aussi valables que vous (pensée bien faite, bien structurée et facile à lire) comme enseignant de nos écoles supérieures. Respect!!!!!!!

  2. Belle analyse, bonnes questions qui pourront etre repondues par une these d’un bon etudiant en maitrise.

Comments are closed.