Quoi que les observateurs aient pu dire pour justifier le limogeage des directeurs administratifs et financiers, devenus à la faveur d’une récente réforme directeurs du matériel et du personnel, cette révocation laisse une impression de nettoyage superficiel. L’auteur de cette opération «kokadjé» est soucieux de se tenir le plus possible à l’écart de la saleté, mais ne fait guère un point d’honneur ceci : se débarrasser des immondices. Ça pue encore dans les écuries d’Augias !
Un technicien de surface est tout l’opposé d’un nettoyeur d’écuries. Le dernier va au charbon, plutôt aux excréments des ânes, des cheveux, des mulets. En un mot, il se salit pour se débarrasser de toutes les puanteurs animales. Par contre, il n’y a pas plus propre qu’un technicien de surface. Bien sûr, il peut se défaire des crasses des carreaux (à l’aide du balai à manche…) sans jamais être en contact avec elles, car il ne veut pas se salir.
Au fond, si l’abrogation des décrets de nomination des DAF des différents départements ministériels, a ceci de particulier qu’elle peut être entendue comme un premier coup de délai donné à une opération gigantesque, cette mesure devrait s’étendre à toutes les directions administratives et financières en République du Mali. Mais dans l’opération, des directions administratives et financières ont été superbement ignorées, celles de la présidence la République et de la primature. Faut-il commencer par balayer devant sa porte ou celle des autres ?
Evidemment, en balayant devant sa porte on pourrait penser que c’est sale. Or, l’esprit de cette mesure est ailleurs, il réside justement dans ce réflexe instinctif de se boucher le nez devant une puanteur, qu’autre chose. Où est alors la volonté d’en finir avec une vieille habitude ? Il serait difficile dans ces conditions d’ôter de l’esprit des plus sceptiques l’idée selon laquelle la rupture annoncée n’existe que dans la tête de ceux qui veulent y croire. Toutes proportions gardées, une déclaration de biens des membres du nouveau gouvernement aurait eu le mérite de convaincre monsieur tout que personne n’est épargné dans cette opération «mains propres». Et puis, le Daf est sous l’autorité du ministre, et sans sa complicité certaines seraient impossibles ; ses dépenses sont contrôlées par une entité et exécutée par une autre. Quid de celles-ci ?
Quand Héraclès nettoie mal les d’écuries d’Augias
Le Daf forme avec le contrôleur financier et l’agent du trésor la triade de comparses. Le premier ordonne ou engage, le deuxième contrôle l’honnêteté, la sincérité et la légalité des dépenses, le troisième exécute. Mais sont tous censés dénicher la petite bête. Si la faute du dernier est dans une certaine mesure mineure, celle des deux autres est impardonnable. On a vu des cas où une amitié montée de toutes pièces, à la limite contre nature, lie ces trois hommes. Qui portent souvent des projets non prévus dans le budget d’Etat, et ne manquent pas d’astuces pour obtenir des financements à ces projets surtout quand les crédits ne sont pas épuisés. Ils s’abritent derrière des GIE et autres sociétés-écran, pour soutirer des dizaines de millions de nos francs des caisses du Trésor public. Une entreprise d’autant plus aisée pour eux qu’ils sont au début et à la fin de la chaîne de l’ordonnancement, du contrôle et de l’exécution du budget.
La corruption a tellement gangrené le circuit du contrôle financier que des blocages systématiques sont constatés. La pratique consiste à rejeter tous les dossiers même ceux dont la sincérité et la légalité sont établies, notamment par rapport au fisc (là encore ça ne sent pas bon). Cette même pratique est de mise au niveau du Trésor. Dans ces écuries de loups, il faut montrer patte blanche pour pouvoir rentrer. A défaut, on se donne plaisir à piétiner les dossiers. Alors se débarrasser d’un seul maillon de cette chaîne ne résout guère le problème, en d’autres termes le nettoyage n’atteint pas la profondeur. Le président de la République se montre plus au travers de l’abrogation de tous les décrets de nomination des DAF-DFM comme un technicien de surface.
Appelez donc Héraclès ! Lui seul, comme nous l’enseigne la mythologie grecque, a pu nettoyer les écuries d’Augias. Pour la petite histoire, Augias, roi d’Elis, ex-argonaute, possédait, comme son père Hélios, d’énormes troupeaux de bétail. Ses écuries étaient tellement sales qu’on ne pouvait plus y rentrer, elles n’avaient plus été nettoyées depuis plusieurs dizaines d’années. Il fut exigé d’Héraclès qu’il remit en état les étables en une seule journée, ce qui n’avait jamais été fait auparavant. Pour ce faire, il détourna le cours de deux fleuves, Alphée et Pénée, afin que les eaux traversent les lieux en entier. L’expression « nettoyer les écuries d’Augias image donc le fait de faire un travail énorme de remise en ordre en peu de temps et sans hésitations.
Ce qui n’est pas le cas du président de la République Amadou Toumani Touré, pour toutes les raisons évoquées plus haut.
Issiaka Sissoko
