Le Mali est confronté à un problème de mobilisation des ressources internes pour financer ses dépenses publiques ; ce qui s’explique par un système fiscal qui n’arrive pas à faire respecter le principe d’égalité fiscale entre tous les contribuables.
Au Mali, bien que les impôts représentent 54,57% des recettes budgétaires soit 1260 milliards de Fcfa en 2024, le système fiscal n’arrive pas à faire respecter le principe d’égalité fiscale entre tous les contribuables. Le principe d’égalité fiscale est entendu comme l’égalité des contribuables devant l’impôt et qui est par ailleurs le fondement de la justice fiscale. En effet, 5% des contribuables paie 95% des impôts.
Une situation qui traduit des insuffisances dans le recensement des contribuables. « Certains contribuables sont les seuls identifiés et sont les seuls contribuables aux impôts», reconnaît Ibrahim Abdoulaye Camara, Inspecteur des impôts, agent à la division législation de la direction générale des impôts. Des propos tenus le 30 novembre dernier lors du Webinaire organisé par le Conseil national du patronat (CNPM) sur le thème « Amélioration de l’assiette fiscale au Mali : défis et opportunités ».
Les services des impôts souffrent de l’absence d’un système de recensement moderne capable d’appuyer sur la réalité. « Sans cela, on ne pourra jamais faire de l’élargissement de l’assiette fiscale. Et les ressources fiscales que nous attendons ne seront jamais au rendez-vous », prévient Sory Ibrahima Makanguilé, conseiller fiscal. Comment évaluer un régime fiscal lorsqu’on n’a pas de statistiques et lorsque l’économe est largement informelle, s’interroge Modibo Mao Makalou, ancien Sherpa de la Commission de l’Union africaine et du NEPAD, qui assurait la modération du Webinaire. Il a rappelé que c’est seulement 20% de l’économie malienne qui repose sur les structures formelles par conséquent connues de l’Etat.
Il existe plusieurs types d’impôts au Mali dont l’impôt synthétique. Il est calculé sur la base du chiffre d’affaires. L’application de la fiscalité actuelle (impôt synthétique) entraîne la faillite immédiate du contribuable, insiste l’ingénieur Youssouf Traoré, responsable de la SONATAM.
À titre d’exemple, un commerçant qui vend un sac de riz par an avec un chiffre d’affaires de 20 000 Fcfa et sa marge est de 500 Fcfa. À la fin de l’année, l’impôt va lui réclamer 3%. Un montant supérieur à son fonds de commerce et à sa marge. « Ce qui fait que plusieurs contribuables évitent les services des impôts. Le système est fait aujourd’hui qu’il est obligé de rentrer dans la clandestinité. Et tant que les gens seront dans la clandestinité, l’assiette fiscale ne pourra jamais être élargie », explique-t-il.
Impôt minimum forfaitaire, un frein à la création des petites et moyennes entreprises industrielles
L’impôt minimum forfaitaire constitue un autre goulot d’étranglement. Il s’agit du minimum en deçà duquel le montant de l’impôt ne peut être calculé (1% du capital). Ce minimum forfaitaire est dû même en cas de déficit et quelle que soit l’importance de ce déficit. « Cet impôt est un extraordinaire frein pour la création de petites et moyennes entreprises industrielles dans le pays », juge Youssouf Traoré, étant entendu que l’industrie est par définition un temps long à l’inverse du commerce.
Cet impôt oblige, selon lui, l’entreprise qui veut faire de l’industrie à emprunter à la banque pour faire face à ses obligations fiscales. « Non seulement, vous avez besoin de cash pour faire fonctionner le process industriel et vos produits, mais en plus cela vous êtes obligé d’emprunter de l’argent à la banque. Ce qui peut réduire considérablement le retour sur investissement qui devient un frein pour avoir le financement pour créer les entreprises industrielles. Ce n’est pas possible d’avoir ce genre d’impôt et de penser qu’on va industrialiser notre pays », a-t-il fait remarquer.
Concernant l’impôt minimum forfaitaire, Sory Ibrahima Makanguilé estime que notre système est très mal conçu en la matière et que nous ne faisons même pas attention à ce qui se passe autour de nous. À l’en croire, l’impôt minimum forfaitaire existe un peu partout. Toutefois, souligne-t-il, le Mali est l’un des rares pays à avoir un impôt proportionnel aux chiffres d’affaires.
« Alors que chez nos voisins, le taux est par plancher avec un maximum. Ce qui permet aux gens de ne pas aller en faillite lorsqu’ils sont en difficulté et qui leur permettent surtout de revenir dans les meilleures affaires après une période de déficit », explique le président de la Commission d’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations de football (COCAN) 2002.
« Notre administration fiscale n’est pas à la hauteur, tranche Sory Ibrahima Makanguilé. Les inspecteurs viennent en vérification dans certaines entreprises ; leurs machines ne peuvent même pas prendre les fichiers ». Il appelle pour cela à doter les services des impôts de moyens techniques notamment la bande passante.
« Vous voulez aller dans un système de télé-déclaration avec un système de télécommunication qui ne marche pas ou avec une énergie qui n’est pas distribuée. On n’est pas dans un bon environnement pour avoir une administration fiscale performante », martèle-t-il.
L’absence ou l’imperfection de la recherche
Les locaux des impôts ne sont pas aussi dignes d’une administration moderne. Ceux-ci sont vieillissants, mal sains et impropres. La direction des grandes entreprises des impôts et certains centres des impôts dans le district de Bamako en sont l’illustration la plus parfaite.
« Comment comprendre que vous voulez déposer un chèque de deux milliards au guichet, il faut passer sur des flaques d’eau, devant des toilettes et des bureaux insalubres. Ce n’est pas ça. Une administration, c’est un modèle. L’administration, c’est de l’exemple. Ce ne sont même pas des problèmes fiscaux mais des problèmes de gestion d’administration simple » se désole-t-il.
Au Mali, le service des impôts se caractérise par l’absence ou l’imperfection de la recherche. « Vous ne pouvez pas avoir une administration fiscale moderne sans avoir un service de recherche pointu », note Sory Ibrahim Makanguilé, ajoutant que « payer les impôts ne plaie à personne. Prendre sur son revenu et le donner à l’Etat, s’il n’y avait de sanctions, personne ne veut le faire ».
Cette absence ou imperfection de la recherche explique en grande partie le fait que des personnes qui font de la publicité à longueur de journée sur les antennes des médias sont à l’impôt synthétique ou ne sont même pas identifiées par l’administration fiscale. « C’est un problème inhérent à l’administration fiscale », pointe Sory Ibrahima Makanguilé.
Il faut aussi noter l’insuffisance de dématérialisation des procédures. Celle-ci permet de lutter contre tous les comportements déviants et permettre de mettre le citoyen en confiance. Cette absence de dématérialisation pose un problème en matière de paiement.
« On a commencé un moment pour permettre aux contribuables de payer à travers les banques et autres. Mais chaque fois que certains de nos clients ont procédé ainsi, qu’on les a encouragés, des problèmes se posent. Parce qu’il y a un décalage. Le paiement, le virement qui est ordonné au niveau de la banque et le paiement qui est reçu au niveau du trésor. Donc entre le trésor et l’administration fiscale, il y a très peu de communication », souligne Cheickna Touré, conseiller fiscal.
Un déficit de communication
Les grandes réformes fiscales sont très souvent méconnues des contribuables. Ceci est révélateur du manque de communication du service des impôts. La direction générale des impôts ne dispose même pas d’un service de relation digne de ce nom et son site internet n’est suffisamment pas fourni.
« Une administration fiscale qui ne communique pas, c’est un problème », souligne Cheickna Touré. Selon lui, la direction générale ne donne pas suffisamment d’informations sur les réformes adoptées contrairement aux autres pays où en cas de grandes réformes, le directeur général des impôts même vient à la télévision ou devant les médias pour donner le maximum d’informations. « Ce qui n’est pas toujours le cas chez nous », regrette-t-il.
Malgré tout, des réformes sont en cours pour moderniser l’administration fiscale, indique Ibrahim Abdoulaye Camara, Inspecteur des impôts, agent à la division législation de la direction générale des impôts. Parmi les réformes en cours, on peut citer l’instauration de la facture normalisée, la digitalisation des services des impôts et l’instauration du paiement mobile.
Abdrahamane SISSOKO