Les difficultés que traverse le secteur privé du Mali et qui sont consécutives à la crise sécuritaire et politique étaient au centre d’une rencontre le samedi 5 janvier entre le ministre du commerce et de l’industrie, Abdel Karim Konaté, entouré des membres de son cabinet et une forte délégation du Conseil national du patronat du Mali (CNPM) conduite par son président Mamadou Sidibé.
La rencontre a eu lieu dans la salle de conférence du département dans un climat empreint de franchise et de grande responsabilité, car c’est la vie de nombreuses entreprises et des millions d’emplois qui sont en jeu. La question du secteur privé peut vite devenir une question de quiétude sociale si le gouvernement en relation avec le patronat et les partenaires techniques et financiers ne trouvaient pas très rapidement la solution. C’est donc du sort du Mali qu’il a été question et le ministre, qui avait reçu les recommandations du patronat en quatre points, a pris la pleine mesure des enjeux pour le secteur privé et pour l’Etat malien. Il a invité l’organisation dirigée par Mamadou Sidibé pour débattre de la question.
Les recommandations du patronat
Les préoccupations du CNPM sont de quatre ordres : la sauvegarde de l’intégrité territoriale du Mali, la sécurité des personnes et des biens, la relance de l’économie malienne, et l’organisation d’élections libres et transparentes. L’organisation propose son implication effective dans la libération des villes du Nord occupées, par les contributions financières, techniques, sociales et humanitaires à l’Etat malien en vue de lui permettre de faire face à l’effort de guerre. Elle soutient un encouragement du partenariat public-privé dans la recherche de solutions sécuritaires, logistiques et de la reconstruction du nord du pays.
Le CNPM recommande une garantie de la sécurité du personnel des entreprises des unités de production et points de vente, afin de permettre une continuité de la production et des services ; la fermeture des agences bancaires et points de vente à Kidal, Gao et Tombouctou et rapatriement du personnel et des ressources financières à Bamako ; l’indemnisation des opérateurs économiques victimes de la crise ; une large campagne d’information sur la situation du secteur privé en direction de l’Etat et des partenaires techniques et financiers du Mali ; la reprise de l’aide budgétaire, bilatérale et multilatérale ; la création d’une cellule de suivi au CNPM en vue de suivre l’évolution de la situation sociopolitique du pays ; l’informer des membres du CNPM et la coordination des actions ; l’évaluation exhaustive des dégâts subis par les entreprises dans les villes occupées et à Bamako ; l’assurance et l’accompagnement des entreprises sinistrées.
En ce qui concerne la relance de l’économie du pays, le patronat a proposé toute une batterie de mesures comme : le soulagement des entreprises par l’apurement des arriérés de factures impayées de l’Etat au niveau du Trésor Public ; le remboursement des obligations et autres titres de l’Etat échus ; la création par l’Etat d’un Fonds d’indemnisation des victimes de guerre avec une implication des assureurs dans la gestion dudit fonds ; l’implication du secteur privé dans le processus de relance des activités de l’économie nationale. Cela passe notamment par l’examen rapide par le Comité macroéconomique du document des 39 mesures en faveur de l’industrie malienne et l’opérationnalisation de l’Agence de Promotion des Exportations.
Allègements fiscaux pour les entreprises
Le patronat propose l’accompagnement spécifique du secteur du tourisme et de l’hôtellerie par la suspension du paiement des impôts et taxes, la mise en œuvre de moratoire en ce qui concerne les factures d’eau et d’électricité, le différé des échéances bancaires et la reconversion de certains acteurs par le financement d’activités novatrices. Il a proposé le report du paiement des impôts dus par les entreprises victimes dans l’immédiat, les allègements fiscaux et sociaux à octroyer aux entreprises et à leurs personnels afin de favoriser l’embauche et la croissance. Il en est de la refonte du barème de l’ITS, de la suppression de la CFE, de la réduction des charges sociales INPS et AMO, les allègements fiscaux à octroyer aux entreprises concernant : la patente professionnelle, avec une refonte de la base de calcul devant se limiter à la valeur locative des locaux professionnels et la valeur du matériel réellement fixé au sol ; le prélèvement à la source de l’IBC, notamment la réduction du taux, actuellement de 17,5% et la mise en place de la règle de la territorialité de la prestation ; la requalification de la TAF (taxes sur les activités financières) en TVA, permettant ainsi aux entreprises de la récupérer ; la réduction de l’impôt sur les sociétés (IS) à 25%et de l’impôt du minimum forfaitaire (MF) à 0, 5% du chiffre d’affaires ; la remise en place et le renforcement des dispositions d’allégements fiscaux au profit des entreprises qui réinvestissent tout ou partie de leur bénéfice ; l’extension de la TVA à taux réduit au tarif de l’eau et de l’électricité et aux produits de première nécessité. Bref le CNPM n’est pas parti avec le dos de la cuillère car cette énumération est loin d’être exhaustive. Pour l’organisation d’élections libres et transparentes, le CNPM préconise le retour à l’ordre constitutionnel normal, seul gage de respect de la démocratie et garant de la tenue, lorsque les conditions seront réunies, d’élections libres et transparentes.
Des défis pour l’Etat
Ainsi pour le patronat qui a souligné le caractère urgent de la mise en œuvre de ses recommandations, cette rencontre avec le ministre marque le « lancement officiel du calendrier des négociations Etat –Secteur Privé sur les préoccupations du secteur privé au regard de la crise actuelle ». Lesdites recommandations ont été communiquées au gouvernement par le CNPM depuis le mois de juin dernier. Compte tenu de leurs liens étroits, la primature a imputé le dossier au ministre du Commerce et de l’Industrie qui assure la tutelle de la plupart des acteurs du secteur privé. Du fait du changement de gouvernement intervenu en août dernier, l’actuel ministre Abdel Karim Konaté qui a hérité de ce dossier n’a pas de choix. Il doit jouer le rôle que la situation lui impose : trouver la solution dans la mesure du possible. C’est effectivement pour s’investir à fond que le ministre a invité le patronat dans ses locaux pour qu’il y ait un satisfecit pour toutes parties (gouvernement et patronat) avant la fin du mois. Mais faut-il le dire aucune solution n’est possible sans l’implication du patronat lui-même quand on sait que l’Etat tire l’essentiel de ses recettes des activités du secteur privé et que les partenaires techniques et financiers du Mali se sont retirés du Mali en crise en mettant en stand by les financements pour plus de 6 milliards de nos francs.
L’heure est grave et le pays vit une situation de crise sans précédent avec l’occupation des 2/3 de notre pays par des groupes armés et une crise sociopolitique consécutive aux événements du 22 mars 2012. Selon le ministre du Commerce et de l’Industrie « ces événements douloureux ont eu pour conséquences immédiates une crise économique aigüe qui s’est traduite notamment par une dégradation de la situation des entreprises et un coup d’arrêt à certaines activités, notamment dans les domaines du tourisme, de l’hôtellerie et des transports, avec comme corolaire la mise au chômage de nombreux travailleurs ». La crise qui s’est accompagnée par la suspension des appuis des PTF, a eu des répercussions négatives sur le bon fonctionnement de l’Etat comme l’atteste la réduction drastique des ressources du budget national 2012 de plus 312 milliards de F CFA. « Malgré ce contexte difficile, le secteur privé a continué à assurer à l’Etat les ressources financières nécessaires à son fonctionnement régulier », selon le ministre. Cet accompagnement de notre secteur privé s’est illustré aussi à travers l’approvisionnement correct du marché intérieur en produits de première nécessité, surtout pendant les moments les plus critiques, à savoir le Ramadan et la période de soudure. « Ainsi face à la dégradation de la conjoncture économique, il est aujourd’hui plus que nécessaire de prendre des mesures favorables à la compétitivité des entreprises. C’est conscient de cela et de l’apport décisif du secteur privé à notre économie que le Gouvernement se propose, dans la Feuille de route, d’encourager et de mobiliser le Mali qui entreprend, c’est-à-dire son secteur privé. Ceci est la condition de mon point de vue de la croissance de notre économie dans un monde plus ouvert et aussi la condition de sa pérennité pour le bien-être des populations », a soutenu le ministre.
Sous la conduite du Premier ministre, le ministère du Commerce et de l’Industrie en rapport avec les ministères concernés par ces problèmes qui sont transversaux, a examiné l’ensemble des propositions et la réaction du Gouvernement, consignée dans un document intitulé « observations sur les préoccupations du CNPM au regard de la crise actuelle », adressée au patronat le 04 décembre 2012.
« Du discours à la réalité pratique »
La rencontre de ce samedi avait pour objet de s’accorder sur les points de divergence et surtout de convenir d’une stratégie de mise en œuvre des actions qui auront fait l’objet d’un consensus. Le document finalisé sera soumis dans les tous prochains jours au Comité interministériel de suivi du cadre macroéconomique présidé par le Premier ministre. Il sera également soumis aux Partenaires Techniques et Financiers (PTF) pour bénéficier de leur accompagnement.
Soulignant le bien fondé des recommandations, le président du CNPM, Mamadou Sidibé, a indiqué qu’« aucun pays ne peut prétendre au développement sans un secteur privé épanoui et stable. C’est la première condition de l’émergence de l’économie d’un pays », a-t-il indiqué. Selon lui, la situation est particulièrement alarmante, le secteur privé malien ayant été sérieusement affecté par les évènements sociopolitiques issus du coup d’Etat du 22 Mars 2012 ainsi que la rébellion au Nord du pays : « le niveau élevé de destruction de l’outil de production, la crise énergétique récurrente, la paralysie de l’administration publique. S’ajoute à cela la désormais très mauvaise perception que l’opinion internationale a présentement de notre pays en termes de destination pour les investisseurs ».
Le Conseil National du Patronat du Mali, dont la mission est de représenter et de défendre les intérêts des entreprises, souhaite parvenir à l’adoption d’une position commune afin que les préoccupations exprimées par le secteur privé puissent être prises en charge dans un délai raisonnable. Et cela est impossible sans l’accompagnement du ministre du Commerce et de l’Industrie, selon le président du CNPM. Il a souhaité une très forte implication et un très haut niveau de représentation dans les rencontres avec les autres départements ministériels concernés par les questions soulevées dans le document du CNPM portant sur les préoccupations du secteur privé. Pour Mamadou Sidibé, « pour un secteur privé malien fort, il faut désormais passer du discours à la réalité pratique ». Les autorités de la transition y parviendront-elles ?
B. Daou