Le Groupe de suivi budgétaire (GSB) ont livré le samedi dernier à la Maison de la presse les résultats d’une analyse faite sur l’impact de la crise politique, économique et sécuritaire au Mali sur le budget 2012. En résumé on retiendra que le Mali a perdu 48% de son budget soit une enveloppe de 312,4 milliards de FCFA. Les résultats ont été livrés lors d’une conférence de presse animée par Oumar Dembélé, responsable du plaidoyer budgétaire et Tiémoko Souleymane Sangaré, président du GSB. Nous vous livrons ici l’intégralité du document.
Depuis le coup d’état du 2012, en plus du fait que la plupart des bailleurs ont suspendu leur aide au gouvernement, on a assisté à une contraction de l’activité économique qui fait que les ressources internes du pays ont baissé de 16% et le pays est rentré en récession avec un taux de croissance révisé de moins (-) 1,2% (contre 5,3% en 2011). Le taux d’inflation s’élève à 5% (contre 3,5% en 2011) du fait de la hausse des prix des produits alimentaires et pétroliers.
Selon la loi des finances rectifiée 2012, (loi rectificative devant être votée par l’assemblée nationale) les ressources de l’état ont baissé de FCFA 312, 5 milliards de FCFA suite à la suspension de l’aide et la diminution des ressources internes. Un nouveau cadrage budgétaire1 a été publié pour la période 2013-2015 en mai 2012. Et ce cadre budgétaire se base sur trois priorités de la transition : la défense, les actions humanitaires en faveur des personnes déplacées et l’organisation des élections en 2013. Quant à la mise en œuvre du Cadre Stratégique pour la Croissance et la Réduction de la Pauvreté, 3ème génération (CSCRPIII), les priorités sont : la promotion d’une croissance durable et créatrice d’emplois, l’accès équitable aux services sociaux de qualité et la consolidation de la gouvernance et des réformes structurelles.
Ces projections semblent trop aléatoires car le nouveau cadrage a été élaboré sur base des scénarios économiques optimistes (taux de croissance de 7% en 2013, 5,7% en 2014 et 5,3% en 2015) et il dépend en grande partie de la mobilisation des financements extérieurs, toujours incertains.
Impact de la crise sur les recettes et les dépenses de l’Etat
Selon la loi des finances rectifiée 2012, les ressources de l’état ont diminué de 28% (FCFA 312.4 milliards au total. Ceci comprend : 160,6 milliards de FCFA de dons dont 28,3 milliards de FCFA d’appui budgétaire correspondant à 14% du budget et 151.9 milliards de FCFA de recettes dont FCFA 84.1 milliards de FCFA de recettes budgétaires (impôts, taxes…) et FCFA 67,8 milliards de FCFA de recettes fonds spéciaux et budgets annexes.
Par rapport à l’exécution du budget à la date de juin 2012, sur un montant annuel de FCFA 1080,09 milliards de FCFA de recettes prévues, FCFA 441,044 milliards de FCFA avaient été mobilisées, soit un taux de réalisation de 40,84%.
Et sur un montant annuel d’appui budgétaire (dons et prêts confondus) attendu de 127, 537 milliards de FCFA, seuls FCFA 5,358 milliards avaient été mobilisés.
Concernant les dépenses, elles ont globalement diminué de 38% allant de FCFA 1350,4 milliards à FCFA 832 milliards. Dans le budget rectifié de 2012, le gouvernement maintient les dépenses courantes et diminue les dépenses en capital. Le budget du personnel n’a pas du tout été réduit pour 2012. A l’horizon 2015, les investissements seront privilégiés surtout en financement interne. Ils augmenteront de 12,9% (21,2% pour le financement interne ; 7,5% en financement extérieur) alors que les dépenses courantes n’augmenteront que de 5,8%.
L’analyse des données montre que les secteurs de l’eau (94%), la dette (92%), les transports (84%) et l’agriculture (70%) ont été les plus affectés par les révisions budgétaires de 2012.
De manière générale, le budget de l’axe 1 du CSCRP (la croissance économique) a été le plus diminué. 70% de son budget a été coupé comparé à 30% pour les Services Sociaux de Base et 24% pour la Consolidation de la gouvernance et des reformes structurelles
En ce qui concerne les services sociaux de base, les ressources allouées à l’éducation ont diminué de 17%, de 35% pour la santé et 94% pour l’assainissement et l’approvisionnement en eau potable.
Même si le budget de l’éducation a été coupé, sa part dans le budget national augmente de 20,02% à 27,94%. Pour la période 2013-2015, la part de l’éducation dans le budget national restera stable à environs 21,5%. La part de la santé restera également stable à 8%. Après une grande baisse en 2012, la part du secteur de l’eau se stabilisera autour de 2,6% entre 2013-2015.
Le budget de l’agriculture a diminué à 7,49% du budget total mais reviendra à une moyenne de 13,10% pour la période 2013-2015. Toutefois, Le budget du secteur de la défense est resté pratiquement inchangé.
Sous l’axe « Consolidation de la gouvernance… », 20 milliards de FCFA sont prévues pour l’organisation des élections en 2013.
Constats
Les actions pour un renforcement de la croissance économique ont été le plus touchées par les réductions opérées sur le budget 2012 (baisse de 70% du budget initial affecté). Or, le gouvernement table sur une projection de 7% de croissance attendu en 2013, ce qui est contradictoire. Autrement dit, l’objectif de croissance n’est pas réaliste si les actions pour la stimuler ont été supprimées en 2012. Il y a de quoi être très prudent dans les projections de recettes internes.
Le gouvernement dit clairement dans son document de cadrage que le secteur de la défense et de la sécurité sera privilégié au niveau des budgets à élaborer. Ceci pourrait entrainer une diminution des allocations à d’autres secteurs y compris les Services Sociaux de Base.
La priorisation des investissements sur les dépenses courantes pour la période 2013-2015 implique que les ressources nécessaires pourraient ne pas être disponibles par exemple pour le recrutement des enseignants selon les objectifs du gouvernement. Par exemple, il est prévu dans le plan sectoriel de l’éducation (PISE III) de recruter 3500 enseignants par année pour atteindre le ratio élèves-maître de 40/1 en conformité avec les objectifs Education pour Tous.
Des actions et des sacrifices
Les recommandations qui suivent sont basées d’une part sur la prudence qui devrait être observée dans l’élaboration du budget 2013 et d’autres part, sur les formes de contributions des différents acteurs à la résolution de la crise, au regard de l’amenuisement des ressources budgétaires.
Au Gouvernement
Les engagements des partenaires à reprendre leur appui ne sera effectif qu’avec les élections. Ces élections ne pouvant être organisées en 2012 et les procédures de décaissement des fonds des PTF prenant du temps, le budget 2013 va certainement être exécuté sur une grande partie de l’année sans l’essentiel des ressources extérieures. Pour y remédier le gouvernement peut mener les actions concrètes ci-après:
Concernant les recettes :
Evaluer les ressources potentielles du pays et élaborer le budget 2013 en ne comptant que sur les ressources internes pour éviter d’éventuels désagréments.
– Développer de nouveaux partenariats avec des bailleurs de fonds, différents de ceux qui ont arrêté les interventions;
– Trouver des financements innovants pour contourner les problèmes suscités par l’arrêt des appuis des anciens bailleurs;
– Evaluer et maîtriser la dette intérieure ;
– Recenser les appuis spécifiques accordés par les communautés pour faire face à la crise et analyser la possibilité de l’intégrer au budget à l’aide d’un collectif budgétaire.
• Concernant les dépenses : Opérer des arbitrages courageux sur certains postes budgétaires pour dégager des économies qui seront affectées aux secteurs sociaux. On pourrait s’intéresser aux postes budgétaires suivants :
Communications : limitation des appels intérieurs et internationaux, exception des services dont la mission nécessite des appels hors ville et hors pays ;
Déplacements et missions : supprimer les déplacements et missions non urgents ;
Carburant et lubrifiants : fixer des quotas de réduction pour chaque ministère et institution (hors défense et sécurité) et contrôler l’évolution en cours d’année tout en prenant des mesures pour réduire les consommations ;
Electricité et Eau : opérer une bonne sensibilisation au niveau des ministères et institutions pour une forte diminution de la consommation. A moyen terme, l’Etat pourrait auditer les branchements d’eau et d’électricité pour déceler d’éventuelles irrégularités2 ;
Autres postes de dépenses courantes non essentiels en temps de crise (avantages hors salaire, formations, fournitures, fêtes et cérémonies, etc.)
Concernant l’exécution dépenses : améliorer les procédures de gestion des fonds
Ces mesures, si elles sont bien suivies, permettront de dégager des économies qui pourront réallouer aux secteurs sociaux qui risquent de souffrir des mesures d’austérité. Elles pourraient permettre notamment de continuer à recruter les 3 500 enseignants tels que prévus dans le PISE III.
Aux populations
La population pourrait contribuer à l’effort de résolution de la crise à travers une contribution en nature ou en espèce. Il reviendrait à l’Etat de susciter cette contribution et d’organiser une gestion efficace des éventuelles ressources qui seront
2 Un audit opéré sur les branchements d’eau et d’électricité permet de décelé des branchements privés, des utilisations sans lien avec les misions de l’administration, des fuites d’eau permanentes, etc. Cela permet également de faire des économies substantielles.
Cet effort s’adressera particulièrement aux opérateurs économiques, aux acteurs non étatiques (OSC, ONG, syndicats, etc.) ? Ces forces vives pourraient mobiliser leurs membres pour une forte participation à l’effort de libération du Nord et de l’accès aux services sociaux de base, notamment, l’Education, la Santé et l’Assainissement et l’Eau Potable.
Aux PTF
Appuyer le gouvernement dans l’organisation des élections à travers une contribution aux dépenses d’organisation du scrutin. Cela est essentiel pour créer les conditions de transparence et augmenter ainsi les chances que les résultats soient acceptés par toutes les parties prenantes.
La contribution des PTF pourrait prendre les modalités suivantes :
Appui au Gouvernement pour l’organisation des élections (financier, matériel et logistique) ; appui aux OSC pour l’observation du scrutin et Appui à la presse pour une bonne couverture du scrutin.
Aux collectivités territoriales
La contribution des collectivités territoriales (institutions responsables du développement local) peut être déterminante dans le renforcement de la solidarité et de l’entraide en faveur des groupes vulnérables (enfants, femmes) et des personnes déplacées par la mise en place de facilités pour l’accès aux services de base.
Aux medias
Les medias sont un pilier dans l’œuvre de construction nationale et des partenaires majeurs dans la diffusion de l’information grâce aux chaînes de télévision, aux radios, aux journaux et aux médias de l’internet.
Ils doivent : contribuer à travers leurs messages, à la cohésion plutôt qu’à la haine.
Diffuser plusieurs fois les messages qui prônent l’entente, la discrétion, la vigilance et la participation qualitative.
Sensibiliser les populations à la discrétion par rapport à toute information pouvant nuire à l’état.
Sensibiliser la population à la vigilance pour empêcher une infiltration quelconque de l’ennemi en son sein.
Participer aux différentes rencontres qui s’organisent sur la question de la crise.
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