«La croissance économique est un oiseau très farouche qui s’envole et se cache au moindre danger. Pour nicher et se développer, il a donc besoin de se sentir dans un climat serein et apaisé». Cette assertion familière aux économistes, s’applique parfaitement à la situation économique de notre pays depuis l’éclatement de la crise politico-institutionnelle et sécuritaire.
Cette crise a porté un coup d’arrêt à l’activité économique, l’a gravement désorganisée et sévèrement mis à mal le tissu social. Le secrétaire général du Conseil national du patronat, Modibo Tolo, confirme ainsi « la destruction du tissu économique et social des régions du nord, la suspension de toutes les coopérations financières (bilatérales et multilatérales) entre notre pays et ses partenaires». Ces coups durs ont eu pour conséquence l’installation d’une « morosité économique ambiante ».
Du coup, précise-t-il, « la rentabilité du secteur privé a été érodée sinon annulée et sa survie a même été compromise». Il explique que les secteurs les plus touchés sont ceux du secondaire et du tertiaire en raison de l’arrêt des activités touristiques, hôtelières, commerciales et industrielles, la suspension des activités des projets d’investissement et d’infrastructures financés par les bailleurs de fonds, l’arrêt des activités bancaires dans les régions du nord. « La crise a en outre occasionné la disparition de la moitié des PME/PMI, des fermetures totales ou partielles d’unités industrielles et des délocalisations d’entreprises, avec pour corollaire de nombreuses pertes d’emplois, la montée du chômage et de la pauvreté », ajoute notre interlocuteur.
Pourtant avant la crise, le Mali était considéré comme un pays prometteur avec une croissance soutenue, un secteur primaire au dynamisme avéré et un secteur secondaire caractérisé par une croissance constante de 4,6% en 2008, 3,5% en 2009 et 6,3% en 2010. Le secteur agricole avait notamment bénéficié de mesures de soutien à l’agriculture vivrière, à travers des subventions d’intrants agricoles.
La croissance était principalement tirée par des investissements en cours dans le cadre de l’électrification rurale, la poursuite du programme de logements sociaux, des grands chantiers (construction du troisième pont de Bamako et de l’échangeur multiple, etc.).
Le secteur tertiaire avait aussi enregistré une croissance de 5,3% en 2010 contre 3,5% en 2009 et 4,3% en 2008. Cette performance était surtout imputable aux secteurs du commerce « des transports et télécommunication » et « des autres services marchands non financiers ».
Du côté de la demande, la consommation finale affichait une croissance de 4,7% en 2010 contre 2,4% en 2009 et 3,3% en 2008. Cette vitalité économique avait engendré la croissance des investissements et l’implantation massive d’unités agro-industrielles. Et la situation des institutions monétaires s’est caractérisée entre 2008 et 2009 par un accroissement de 32,23% des avoirs extérieurs nets.
Cette vitalité économique souffrait cependant de difficultés récurrentes notamment le problème énergétique, le taux élevé de la fiscalité, le non assainissement du climat des affaires, le problème de promotion du secteur industriels et les difficultés d’accès au financement des PME. La crise a accentué ces difficultés en affaiblissant les structures de financements (les banques et autres institutions financières), en rétrécissant le marché intérieur à travers la diminution des revenus aussi bien des acteurs commerciaux que des consommateurs. Pire, notre pays n’était plus un pays recommandé sur le marché international et nos importateurs ont vu le « risque pays » augmenter, leurs partenaires leur imposant de grosses cautions d’assurance et des « risques à l’exportation ».
FER DE LANCE. Pour la relance de l’économie, le monde des affaires insiste sur la nécessité de mesures favorisant le « réveil du secteur privé », en optimisant le potentiel économique du pays et en créant un environnement propice à l’innovation, l’esprit d’entreprise, la créativité d’emploi, bref le retour rapide des investissements et de la croissance.
Ainsi, le président du collège transitoire de la Chambre de commerce et d’industrie du Mali, Mamadou Tiény Konaté, estime que le nouveau président doit faire l’économie d’un nouveau diagnostic. « Le diagnostic est là, il est plus que jamais confirmé. Il lui suffit d’appeler les mêmes solutions proposées et de les mettre en œuvre de façon adéquate. Il s’agit de continuer la politique de développement des filières agricoles pour y installer les unités industrielles qui peuvent créer les meilleures valeurs ajoutées, de la richesse et des emplois et nous permettent d’être un pays exportateur et améliorer ainsi notre balance de payement », analyse-t-il.
Au niveau microéconomique, le patron de la CCIM propose l’intensification des circuits de financement des entreprises et le renforcement des institutions facilitant l’accès au financement comme le Fonds national d’investissement, le Fonds de garantie. « Les entreprises ont aussi un problème de compétitivité à cause de facteurs de production très élevés notamment l’électricité et la fiscalité », fait-il remarquer en suggérant aux nouvelles autorités la mise en œuvre de politiques volontaristes pour relancer le commerce international et faire de notre pays un véritable exportateur à travers notre capacité agro-industrielle. « Ce secteur reste le fer de lance de notre économie », souligne-t-il.
Pour sa part, le président Conseil malien des chargeurs, Babalaye Daou, souligne la problématique de l’approvisionnement correct du pays en produits de consommation. Selon lui, il faut développer une véritable politique de désenclavement de notre pays. « Les nouvelles autorités du pays doivent développer une stratégie de révision de nos accords commerciaux avec les pays de transit. Le Mali est le pays le plus convoité de la sous-région à cause du volume de nos importations. Nous sommes le seul à exploiter les ports de Dakar (Sénégal), de Nouakchott (Mauritanie), de Lomé (Togo), de Cotonou (Benin) et le grand port d’Abidjan (Côte d’Ivoire) que nous exploitons avec le Burkina Faso. Cependant, le moindre problème dans ces pays se ressent directement sur notre économie. Il faut donc créer des zones franches et redynamiser la libre circulation des personnes et des biens », préconise le patron des chargeurs qui souligne la nécessité de développer les capacités de stockage de notre pays en hydrocarbures et autres produits d’importation en constituant des stocks nationaux de sécurité.
Nos importations se chiffrent à 1.700 milliards de Fcfa par an. Les fournisseurs de notre pays sont l’Afrique (40,7%) dont 29,3% pour l’espace UEMOA, suivi de l’Europe (30,0%) et l’Asie (19,2%). Babalaye Daou plaide aussi pour l’instauration d’une gouvernance saine et la promotion du secteur privé en lui donnant plus de moyens pour innover. «Notre pays a une chance exceptionnelle, les plus grands importateurs et opérateurs économiques du pays sont des nationaux. Ils opèrent aussi bien dans le secteur des produits de première nécessité, des produits pétroliers que dans les secteurs prioritaires de développement. Ce qui constitue un avantage certain et une garantie pour la relance et le développement économique de notre pays. Il suffit d’encourager et d’accompagner ses opérateurs », souligne le premier responsable des chargeurs.
Dans notre pays, le secteur privé est le premier vecteur de croissance économique. Il se caractérise par la dualité entre l’informel et le formel. De façon pratique, la vitalité économique du pays est basée sur la mobilité du secteur privé. Cela à travers les importations et les exportations. Pays vaste de plus 1,2 million de km2, enclavé et partageant 7000 km de frontières avec 7 autres Etats, notre pays doit son approvisionnement correct en produits de première nécessité et en produits industriels aux échanges commerciaux aussi bien avec ses voisins qu’avec la communauté internationale.
Aux actes donc !
D. DJIRE