Il y a 12 ans que l’Etat du Mali a vendu l’Huilerie Cotonnière du Mali (HUICOMA) au groupe Tomota suite à la signature d’un acte de cession. Cette société était composée de trois usines à savoir celles Koulikoro, Koutiala et Kita. Et en son temps, l’entreprise payait au titre des TVA plus de 7 milliards FCFA au budget d’Etat chaque année. Mais depuis le changement de gouvernance et du statut de la structure, les problèmes ont commencé. Faute de mesures d’accompagnement et à cause du non-respect des clauses de l’acte de convention, les 1024 travailleurs se sont retrouvés dans la rue.
Pour la simple raison qu’ils ont été abusivement licenciés et laissés pour compte. Après plus d’une décennie de combat pour réclamer leurs droits, les travailleurs de l’Huicoma n’ont rien obtenu. La situation reste tendue en dépit des promesses tenues par le Gouvernement. Pas plus que deux semaines, les femmes des travailleurs licenciés de Koulikoro ont décidé de marcher nues sur Koulouba pour exprimer leur indignation au chef de l’Etat IBK. Beaucoup de personnes spéculent sur ce dossier de privatisation de l’Huicoma. Dans les journaux et sur les ondes, on en parle beaucoup. A qui la faute ? Qui bloque le dénouement de l’affaire ? Votre fidèle serviteur s’est rendu à cet effet à la Bourse du Travail, siège de l’UNTM. Ici, des travailleurs licenciés des trois villes précitées observent un sit-in depuis le 5 janvier 2017.
En face du grand bâtiment, il est écrit sur une banderole : « Huicoma : Pas de résolution, pas d’élection à Koulikoro». Tout près sous un arbre, étaient assis sur des bancs des victimes de cette crise. Le plus âgé, Alou Coulibaly, s’est prêté à nos questions. A ses dires, au moment de la privatisation, il avait 53 ans. «Je n’avais pas atteint l’âge de la retraite, je fais partie des licenciés», a soutenu le vieux. Selon lui, ce n’est pas un crime de privatiser une entreprise, mais il faut des mesures d’accompagnement pour éviter une crise sociale. C’est le 16 mai 2005 que l’Etat a vendu l’Huicoma au groupe Tomota, a-t-il rappelé. A l’entendre, Tomota n’est qu’un sous-couvert. A l’en croire, c’était les grands dignitaires du régime Alpha qui étaient à la base de cette affaire.
«Nous savons que les premières procédures de privatisation ont démarré quand le président IBK était Premier ministre. L’affaire a été finalisée sous ATT quand ce même IBK était Président de l’Assemblée nationale. Nous pensons qu’il a les capacités de nous aider», a laissé entendre Coulibaly. Il a soutenu que Alou Tomota fait partie des 11 actionnaires qui ont acheté les usines Huicoma. Le vieux Coulibaly, serein, a ensuite fait savoir que les clauses de l’acte de cession précisaient clairement qu’il ne devrait y avoir de licenciement dans un délai de 18 mois après la privatisation et que tous les travailleurs devraient rester. Aux dires d’Alou Coulibaly, quand une société est privatisée, on doit mettre en place dans un délai de 60 jours un plan social pour gérer le personnel. En ce moment, souligne-t-il, les travailleurs qui souhaiteraient partir devraient être mis dans leurs droits. A ses dires, quels que soient les motifs du départ du travailleur, l’entreprise devrait lui verser un certain montant. Le vieux Coulibaly a poursuivi en disant que dans l’acte de cession, ce plan social devrait être ouvert à tous les travailleurs qui émargeaient sur le bulletin de salaire de l’Huicoma. Aussitôt, notre interlocuteur baissa la tête pendant des secondes, puis se ressaisit. Malheureusement, aucune de ces mesures n’a été respectée au profit des travailleurs, déplorera-t-il. A la question de savoir les raisons du sit-in, Alou Coulibaly a déclaré que l’objectif de cette action est d’interpeller les parties à respecter les engagements dans le protocole d’accord signé le 30 mai 2010 entre le gouvernement et l’UNTM pour régulariser la situation des travailleurs. « Il y a eu des mesures pour gérer la privatisation de la CMDT, l’EDM. ll n’y a pas de plaignants. Pourquoi pas pour l’Huicoma», s’est indigné Coulibaly. Les gens ne se sont jamais opposés à la privation de l’Huicoma, mais nous avons dénoncé l’absence de mesures d’accompagnement, a confessé le vieux Alou. Avant de mentionner que « nous sommes tous des intellectuels. Nous avons des droits. Les autres ne sont pas plus nobles que nous. Nous sommes au courant des mouvements des femmes de Koulikoro. Nous sommes avec elles. Avec cette crise, nos femmes sont exposées à la prostitution. Nos enfants sont aussi exposés à la délinquance et au banditisme. Au début de la crise, plus de 90% des travailleurs étaient mariés». Ceux qui travaillent chez Tomota au nom de Huicoma sont pour la plupart des parents des actionnaires, a confessé le vieux. Malgré la réduction du prix de la graine (matière premières), Tomota n’a pu rien faire pour prouver que la privatisation avait sa raison d’être, dira-t-il. Les usines Huicoma font la honte du Mali, a-t-il noté. «Allez-y faire un tour pour y voir. Ces entreprises sont devenues des passages d’animaux», a fait comprendre le vieux. De ce qui précède, Alou a déclaré que « nous faisons confiance à IBK. Nous restons convaincus que le président accorde beaucoup d’importance pour les questions sociales. Si le Gouvernement arrive à résoudre cette crise, il aura enlevé une grosse épine des pieds des travailleurs de l’Huicoma. L’espoir est là. Mais les gens sont malhonnêtes».
A en croire le vieux, la crise du nord n’est pas la seule priorité et la seule crise que connaît notre pays. «J’ai toujours confiance en ce pays. Pour le moment, on attend pacifiquement et patiemment pour voir les promesses se réalisées», a conclu Alou Coulibaly. D’autres licenciés ont fustigé la privatisation de Huicoma, action qu’ils ont qualifiée de «bradage». «Nous confions notre sort à Dieu. C’est dans cette cour de l’UNTM que nous avons perdu un nos camarades, mort de détresse pendant que d’autres s’en fichent de notre situation», a martelé un licencié.
Selon des sources, l’alerte des femmes et jeunes de Koulikoro a été prise au sérieux par le pouvoir. A notre avis, à défaut de la reprise de Huicoma, l’Etat a les moyens de résoudre cette situation sociale qui a fait perdre beaucoup d’argent à l’économie nationale.
Par Jean Goïta