Le Mali célébrera la Journée de l’Industrialisation de l’Afrique les 28 et 29 novembre prochain sous le thème : « Des PME pour l’éradication de la pauvreté et la création d’emplois pour les femmes et les jeunes ». Organisée par le Ministère du Commerce et de l’Industrie, l’Organisation Patronale des Industries (OPI) et l’Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel (ONUDI), cette journée sera, à nouveau, l’occasion pour les principaux acteurs du secteur que sont le Gouvernement, les Partenaires Techniques et Financiers (PTF) et les acteurs du secteur privé de parler produits manufacturés avec en perspective le développement économique du pays. C’est cette conjugaison des intelligences et des capacités qui inspira à l’OPI la politique dite des « 4 P » : Partenariat-Public-Privé-PTF. Plus de deux ans après l’élection d’Ibrahim Boubacar Keita, comment se porte l’Industrie malienne ? Arrive-t-elle à jouer son rôle de locomotive de l’économie nationale ? Toutes les doléances formulées par l’OPI, dans son livre blanc de l’Industrie, ont-elles été prises en compte ? Le vœu du Président de créer 200 000 emplois en cinq ans est-il réalisable sans industrialisation ? Que non !
Selon Abraham Lincoln, ancien Président des Etats Unis, « lorsque nous achetons un bien à l’étranger, nous avons le bien et l’étranger a l’argent. Mais lorsque nous achetons un bien chez nous, nous avons le bien et l’argent ». Que dire d’un pays comme le Mali où la part de l’industrie dans la production des biens est presque insignifiante soit moins de 4% du PIB national contre 11% pour la moyenne dans l’UEMOA et 20 à 30% pour les pays développés. La création des 200 000 emplois souhaitée par le président IBK est impossible dans un pays où le nombre d’unités industrielles se chiffre à seulement une centaine contre des milliers dans certains pays voisins. Au Mali sur 500 unités industrielles recensées seuls 17% sont des sociétés à capitaux inscrites au formel avec des NIF, soit 85 unités en activité. Le Sénégal recense 4000 unités soit 8 fois plus quand la Cote d’Ivoire recense plus de 6000 unités soit 12 fois plus. Au Mali, le tissu industriel est affaibli par une domination de l’importation qui se traduit par un déficit de la balance commerciale chiffré en 2011 à plus de 380 milliards.
Toute chose qui rend hypothétique le développement économique et l’idée d’un Mali émergent qui ne peut se faire sans industrialisation. Cependant, le pays regorge d’énormes potentialités dont une liste de 22 filières porteuses a été dressée par l’OPI que sont : Bétail de viande, Cuirs et peaux, Lait, Mil-sorgho, Mais-blé, Riz, Echalote, Mangue, Tomate, Haricot vert, poids sucré, pomme de terre, Hibiscus, Coton, Poisson, Gomme arabique, Avicole, Arachide, Karité, Sésame, Soja et Matériaux de construction.
Toutes ces filières souffrent malheureusement de nos jours d’une sous exploitation. Un Mali émergent sur le plan industriel ce sont des entreprises qui transforment les produits locaux pour satisfaire en premier lieu les besoins de la consommation domestique et ensuite écouler le surplus à l’exportation. Mais quand on parle d’industrialisation, de quoi s’agit-il réellement ?
Qu’est-ce que l’Industrialisation ?
L’industrialisation est le processus de fabrication des produits manufacturés avec des techniques permettant une forte productivité du travail et qui regroupe les travailleurs dans des infrastructures constantes avec des horaires fixes et une réglementation stricte. Pour financer le développement économique national, il est impérieux de créer plus d’unités industrielles au Mali pour exploiter nos matières premières dans un processus qui emploierait un grand nombre de maliens. Pour promouvoir le « label Mali », le tout n’est pas que dans la création industrielle mais aussi et surtout dans la protection des produits « Made in Mali » contre la concurrence déloyale des produits manufacturés étrangers. Cette vision présente un intérêt triple. D’abord, le Mali, premier pays importateur de l’UEMOA qui contribue fortement à l’économie d’autres pays au détriment du sien, sera de moins en moins un pays uniquement de consommation. Ensuite, des produits locaux, négligés et sous évalués se révèleront au grand jour qui boostera l’économie locale notamment au niveau des marchés forains au grand bonheur du Mali profond. L’Etat malien achète plus de 300 milliards de produits manufacturés par an sur lesquels la Commande Nationale ne représente que 5%. Il est grand temps d’inverser la tendance.
Et enfin, cette vision permettrait au président d’exaucer son vœu de campagne de créer 200 000 emplois en 5 ans. Seule l’industrie permettrait de créer le quota de 40 000 emplois annuels qu’exige la réalisation d’un tel vœu. Il faut surtout mettre en exergue une politique qui privilégie la main d’œuvre et l’expertise locale au détriment de celles étrangères. Faut-il encore le rappeler, un tiers de la population malienne vit toujours sous le seuil de la pauvreté avec moins de 2 dollars par jour et le taux de chômage dépasse largement les 30%. Tous ces maux dont souffre l’industrie malienne ont pourtant été bien diagnostiqués dans un livre blanc qui reste encore d’actualité. Que dit-il en réalité ?
Le livre blanc de l’industrie malienne, fruit du combat et de la vision d’un industriel de père en fils : Cyril Achcar
L’OPI, en prélude à l’élection présidentielle de 2013, avait élaboré le livre blanc de l’industrie malienne qui dressait très exhaustivement l’état des lieux de la problématique et énumérait toute une série d’actions concrètes que les nouvelles autorités devraient prendre pour sortir l’industrie malienne de l’ornière. Ce livre blanc de l’industrie malienne, s’il était appliqué par l’Etat, le Mali renouerait avec l’emploi et la part de l’industrie dans le PIB serait au-dessus de de 10% et capable même de dépasser la norme de l’UEMOA qui est de 11% pour atteindre les 20%. Mais, force est de reconnaitre que plus de deux ans après son adoption le secteur peine toujours à décoller. Les grandes préoccupations formulées dans le livre blanc ont très peu été prises en compte en dépit des nombreuses alertes données par le président de l’OPI, M. Cyril Achcar qui a maintes reprises a demandé au gouvernement l’adoption officielle des six études à même de révolutionner le secteur, validées par le comité ah doc les 30 septembre, 1er octobre et 2 octobre 2015. Et l’une des grandes mesures qu’il a toujours voulues au bénéfice des industries maliennes est la création du Conseil Supérieur de l’Industrie à l’image du Conseil Supérieur de l’Agriculture pour un meilleur suivi des politiques et programmes en faveur de l’industrialisation du Mali.
D’autres problèmes connexes sont à résoudre pour permettre un grand essor de l’Industrie au Mali. Il s’agit notamment du développement des infrastructures routières et la réduction du coût de l’énergie, de l’amélioration de la qualité de la main d’œuvre qui passe nécessairement par l’élaboration d’un programme de formation prenant en compte les besoins du secteur, de l’augmentation du financement, de la lutte implacable contre la fraude et la concurrence déloyale. Et comme si cela ne suffisait, le gouvernement a revu à la hausse la Taxe sur les Activités Financières (TAF) à 17% prenant ainsi à contre-pied les revendications de l’OPI. Beaucoup reste donc à faire. Ainsi, la Journée de l’Industrialisation de l’Afrique de cette année sera, à coups sûrs, l’occasion pour les principaux acteurs du secteur d’en débattre à bâtons rompus surtout que les Journées seront placées sous la haute présidence du Chef de l’Etat, le président IBK.
Le « Groupe Ami », pionnier de l’industrialisation au Mali avec un chiffre d’affaires autour de 35 milliards de F CFA par an
Bien que le chemin vers un « Mali industriel émergent » reste semé d’embûches, les pionniers de l’industrialisation n’ont jamais baissé pas les bras. Et comme le dit l’adage, « à cœur vaillant rien n’est impossible ». Dans le secteur formel, le « Groupe Ami » qui veut dire Achcar Mali Industries constitué par une première société privée, qu’était la confiserie a été fondé par Emile Achcar, grand-père de l’actuel président de l’OPI dès 1950. La confiserie deviendra la GCM SA en 1965. La structure sera transformée en SARL puis en SA en 1994. Aujourd’hui, Cyril Achcar est l’administrateur et directeur général du groupe AMI depuis 2006. Le Groupe fait figure de référence en matière d’unités industrielles au Mali avec un chiffre d’affaires autour de 35 milliards de FCFA par année. Il se compose de nos jours de la Grande Confiserie du Mali, SA (GCM), les Grands Moulins du Mali, SA (GMM), la Société des Eaux Minérales du Mali, SA (SEMM), la Compagnie Malienne de Développement de la Culture du Blé, SA (CMDB), le Groupe Achcar Mali Transit, SARL (GAM Transit Sarl) ainsi que la Fondation Emile Achcar (FEA). Le volet de la formation professionnelle n’est nullement occulté par le Groupe qui par une de ses entreprises, BAGAMI Sarl et son Centre de Formation en Boulangerie et Pâtisserie (CFBP), forme plus de 200 étudiants dans différents métiers de boulangerie.
En matière d’industrialisation, le Mali est toujours derrière l’Algérie, le Niger, la Côte d’ivoire et le Sénégal et ne devance que de très peu la Guinée, la Mauritanie et le Burkina Faso, tous des pays InfoSept
Sur le sept pays InfoSept, trois sont des exemples à suivre pour le Mali en matière d’industrialisation. Il s’agit de l’Algérie, du Niger, de la Côte d’Ivoire et du Sénégal. D’abord l’Algérie qui contrairement aux idées reçues ne tient pas son développement que par l’exploitation exclusive de ses hydrocarbures. L’industrie algérienne, à elle seule, contribue à 47% du PIB et emploie près du tiers de la population active avec plus de 20 000 unités industrielles. Le Niger, grâce à la rente pétrolière et uranifère, totalise aujourd’hui contre toute attente, plus de 13 445 unités industrielles au 31 mai 2014. La Côte d’Ivoire comparativement au Mali, possède 12 fois plus d’entreprises industrielles avec plus de 6000 unités industrielles représentant 21,1 % de son PIB. Le Sénégal avec ses 4000 unités industrielles a huit fois plus d’industries que le Mali qui représentent la part de l’industrie 24,0 % de son PIB selon des chiffres de la Banque Mondiale. Face à ces géants de la région InfoSept, le Mali fait figure de petit poucet avec 500 unités industrielles dont seulement 80 relèvent du secteur formel. Si ces pays sont en avance sur le Mali, c’est parce qu’ils ont su donner à l’Industrie la place qu’elle mérite et qui lui revient de droit dans le développement.
Les pays que nous dépassons restent la Guinée avec 175 unités industrielles, le Burkina Faso avec 108 jusqu’en 1991 et la Mauritanie avec 80.
Avec ces chiffres, le Mali demeure donc très loin de l’objectif fixé par l’OPI à savoir 10 % à 20% de la part de l’Industrie dans le PIB. Le calcul est pourtant simple, faire tourner les unités industrielles permettrait de créer plus de 30 000 emplois supplémentaires en 5 ans.
La réaction attendue des consommateurs face aux difficultés de l’industrie malienne : cultiver le patriotisme économique pour consommer toujours et plus le label « Made in Mali »
Les immenses difficultés auxquelles fait face l’Industrie malienne trouvent leurs solutions à deux niveaux. Le premier est à rechercher au niveau des mesures gouvernementales d’incitation et l’autre au niveau de chaque consommateur. Si le premier est important pour définir le cadre et protéger contre la concurrence, seul le second a les vrais pouvoirs d’inverser rapidement la tendance. Si par une discipline personnelle, chaque consommateur malien privilégiait nos produits locaux, l’industrie s’en trouverait mieux. Pour cela, il faudrait un véritable sursaut en promouvant un patriotisme économique de « consommer malien ». Il faut que le Mali consomme ce qu’il produit et produit ce qu’il consomme. En Chine par exemple, avec le confucianisme, l’Etat a pu redynamiser le secteur industriel jusqu’à en faire une des plus performantes au monde. Tout près de chez nous au Burkina Faso, le régime révolutionnaire de Sankara a su imposer le consommé local avec le « Faso Danfani ». Le président de la République est donc attendu, à défaut de donner le meilleur exemple lui-même en s’habillant et en consommant malien, en exigeant de nos Directions Administratives Financières de privilégier la Commande Nationale pour faire du Le label « Made in Mali » une réalité plus qu’un slogan. Ce doit être un comportement de tous les jours : consommer malien pour que nos industries puissent réaliser des profits et contribuer à l’essor économique du pays.
L’OPI et sa politique des « 4P » : Partenariat-Public-Privé-PTF
Pour le développement harmonieux de l’industrie malienne et donc de son Economie, le Partenariat-Public-Privé-PTF reste l’une des solutions quand on sait que 40% du PIB est apporté par les PTF, soit sous forme de prêt concessionnel soit sous forme de subvention. C’est fort de ce constat que l’OPI, à juste titre, avait proposé qu’également 40% de l’industrialisation soit supportée par les PTF pour plus d’efficience et d’efficacité sur l’économie nationale. Une bonne application de la politique des « 4P » permettrait à l’Etat d’apporter l’assise physique en créant plus de zones franches industrielles assez incitatives et à des conditions préférentielles pour les entreprises. Aux PTF d’apporter leur assistance financière et technique. Et en définitive, au privé d’adopter des mesures standards de gestion et d’orthodoxie financière qui ont fait leur preuve ailleurs afin d’impulser un réel effet d’émulation entre les entreprises.
Ahmed M. Thiam
Encadré : Les 6 Etudes attendues pour révolutionner le secteur industriel au Mali
- Etude relative à l’évaluation de la politique communautaire des échanges commerciaux intracommunautaires par rapport au secteur industriel du Mali
- Etude concernant la création d’un taux réduit de la TVA application à la production industrielle nationale et l’aménagement ou la suppression de la Taxe sur les Affaires Financières (TAF) ;
- Etude visant à instituer une Autorité Nationale de Conciliation Fiscale
- Etude sur le renforcement des moyens de lutte contre la fraude (Révision du Décret n° 229/P-RM du 3 juin 2002 portant répartition des produits des amendes, confiscations, pénalités en matière de contentieux douanier) ;
- Etude portant sur la problématique de l’origine des produits industriels dans le cadre de l’UEMOA
- Etude relative à la mise en place d’un mécanisme de protection de l’industrie malienne à partir d’une exploitation des Accords de l’OMC et des règles de l’UEMOA (consignation des droits et taxes de douane.)