Alou Tomota : Après la gloire, le temps du doute :

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Naguère premier employeur privé du Mali, le milliardaire Aliou Tomota traverse une bien mauvaise passe.

52 ans, Aliou Tomota n’a rien perdu de son allure de play-boy qui se permet en toute simplicité de sages virées nocturnes à Bamako. Pourtant les temps ont bien changé. Après avoir atteint les sommets, il semble bien avoir commencé une chute dont nul ne sait où elle s’arrêtera.

Qu’il semble loin, le temps où le sémillant milliardaire était célébré de partout. Le prestigieux Institut international de promotion et de prestige (IIPP) lui a décerné le 29 septembre 2006 sa distinction du " Mérite au développement de l’industrie ". Tomota s’est dit naturellement honoré, non seulement par la présence de la présidente de l’IIPP venue exprès de Genève, siège de l’institut, mais, aussi et surtout, par le fait que, désormais, le groupe Tomota sera cité à côté des grands groupes mondiaux, IBM, Alcatel, Microsoft, etc. déjà primés.

  Fournisseur attitré du gouvernement

C’est par l’imprimerie que Tomota s’est fait une place au soleil des affaires maliennes. Auparavant, il était dans le commerce, à la fin de ses modestes études en gestion et comptabilité. Le petit commerce, même. Achat et revente de fournitures de papeterie, ramette de papier, stylos, cahiers… Il se formalise en créant la Librairie Papeterie du Soudan (LPS) en 1976. Appui déjà ou chance, il devient rapidement le fournisseur attitré du gouvernement.

Le vent a-t-il définitivement tourné pour Aliou Tomota ?

C’est le premier pas qui compte. Loin de se contenter de cette confortable rente, le jeune originaire de Mopti estime avec justesse que, plutôt que d’acheter et vendre, il gagnerait davantage à produire lui-même. Il se lance donc dans l’imprimerie en créant Graphique Industrie, qui ne se contente pas de la papeterie. Le PMU naissant a d’énormes besoins d’imprimés : les bulletins de jeux, les programmes. S’y ajoutent cartes grises pour les véhicules, les imprimés pour l’administration, les calendriers, les emballages… Tous les marchés lui sont comme dus. Son entregent fait merveille, mais ses équipements, les plus modernes du pays, n’y sont pas pour rien. Il ne tarde pas à pousser son avantage en rachetant, dans le cadre de la privatisation des entreprises publiques, les Éditions-Imprimeries du Mali (EDIM). L’enjeu, ou plutôt le marché, est de taille. Celui des ouvrages et cahiers scolaires qui se comptent par dizaines de milliers. Un marché, qui plus est, captif.

 

Décidément insatiable

Les gains réalisés lui permettent de se diversifier. A partir de la fin des années 1990, il se lance dans le BTP avec EGCC-BAT, le commerce avec la SOCOGEM, le transport avec Tata Transport, la bureautique avec SCD. Le groupe se développe même à l’international avec Graphique Industrie Niger et au Tchad.

Décidément insatiable, il franchit un ultime palier en se lançant dans l’industrie. En 2005, il met neuf milliards de francs CFA (13,5 millions d’euros) sur la table pour enlever l’Huilerie cotonnière du Mali (HUICOMA) à la barbe et au nez de professionnels du secteur, l’entreprise publique française Dagris, déjà actionnaire de la Compagnie malienne pour le développement du textile, et la Société Ndiaye frères qui avait remporté d’abord le lot avant de s’avérer incapable d’effectuer le premier versement. HUICOMA est la première unité industrielle du pays, qui produit 40 000 tonnes d’huile raffinée de coton, 15 000 tonnes de savon et plus de 230 000 tonnes d’aliments pour bétail pour un chiffre d’affaires annuel de 27 millions d’euros.

L’expansion se poursuit avec l’hôtellerie. Il entreprend, en 2006, la construction d’un réceptif, Ibis, avec le groupe Accor Afrique, pour un coût de six millions d’euros, dans le chic et nouveau quartier ACI de Bamako. Accor doit apporter une participation de 39,9%, contre 60,1% pour le groupe Tomota.

Avec le handling à l’aéroport de Bamako. Il prend le contrôle de l’ASAM (Assistance aéroportuaire du Mali) en association avec Hand Diling, une entreprise française qui n’aurait mis sur la table que 225 000 euros pour une société qui avait 1,7 milliard FCFA au Trésor public.

Le groupe est alors au faîte de sa puissance. Il compte onze sociétés, revendique le 4e rang des entreprises du Mali et le 465e du continent africain avec un chiffre d’affaires de 87 millions d’euros, emploie 2500 personnes et compte de solides partenaires financiers tels que la SFI (Société financière internationale) ou l’AFD (Agence française de développement). La Banque mondiale le consacre en le distinguant à l’occasion de la Foire régionale du développement (FRD 2006), qui se tient à Bamako, sur le thème " L’innovation en entreprenariat, moteur de croissance accélérée en Afrique de l’Ouest ". Tomota est l’une des cinq succes stories choisies pour faire partager leurs expériences. " La réussite n’est pas une course de vitesse, mais une course de fond. Et il ne faut pas oublier que le temps, c’est de l’argent ", dit-il sobrement.

 

Commission d’enquête parlementaire

Mais la chute est brutale. Le 6 avril dernier, à l’occasion de la deuxième session constitutionnelle 2010 de l’Assemblée nationale, Tomota a été cloué au pilori dans sa gestion d’HUICOMA par le député Dioncounda Traoré, qui a accusé le Premier ministre d’être le complice du milliardaire qui a " fragilisé des centaines de familles maliennes, détruit des foyers entiers ". Il a réclamé la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire pour " recueillir plus d’informations sur les nombreux griefs faits par les travailleurs d’HUICOMA au processus de privatisation de cette entreprise".

Les malheurs de Tomota sont-ils arrivés avec HUICOMA ? L’avait-il acheté trop cher ? Dagris n’avait mis que six milliards, un tiers de moins que l’offre de Tomota. En 2006, l‘entreprise a enregistré une perte cumulée de 780 millions FCFA.

Le repreneur accuse l’Etat. " Nous avons payé 9 milliards FCFA pour une entreprise dont le déficit s’élevait en théorie à 3 milliards en 2003, au moment où sa privatisation a été décidée. Mais en faisant l’audit, en 2006, nous nous sommes aperçus que le déficit cumulé était de 23 milliards FCFA. "

Selon les spécialistes du secteur, Tomota doit près de 40 milliards FCFA qu’il n’est pas près de pouvoir rembourser. HUICOMA n’a plus le monopole de la production d’huile au Mali. Depuis 2006, environ 200 licences ont été accordées à des huileries artisanales qui privent l’huilerie d’une partie de la production cotonnière (moins de 30% désormais) destinée à l’huile, sans compter les importations frauduleuses d’huile de palme. Les trois usines, qu’on dit par ailleurs obsolètes, ont tourné au ralenti avant de s’arrêter, peut-être définitivement, à moins que l’Etat ne fasse un gros effort financier pour permettre à l’homme d’affaires de se relancer. Pour Tomota, c’est l’État qui doit payer le déficit de la filière, comme il l’a fait pour la CMDT.

Un projet d’implantation d’une ferme agricole d’oléagineux d’une superficie de 100 000 hectares devrait démarrer en juin 2011 pour sécuriser l’approvisionnement des usines d’HUICOMA, mais rien ne semble encore acquis.

 

Accident ou acte criminel?

Un malheur ne venant jamais seul, l’idylle avec Accor a tourné court, les travaux annoncés tardant toujours à démarrer alors qu’ils devaient s’achever depuis 2007.

Le groupe a aussi connu des incendies à répétition. Plus de 6 milliards FCFA dans l’incendie d’un de ses entrepôts, un deuxième au marché de N’Golonina. La question devient inévitable : accident ou acte criminel ?

Le vent a-t-il définitivement tourné pour Aliou Tomota ? Difficile à dire. Le fait est que dans le monde féroce des affaires, les mains tendues sont plutôt rares. La tendance est plutôt d’enfoncer ceux qui sont en difficulté. Tomota affiche toujours son sourire de play-boy et fume les mêmes bons cigares. Il a ses certitudes. 

Hans GUEYE

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