“Le Mali est devenu un pays de distribution, de consommation des produits de pays côtiers”
La production, la commercialisation et la transformation du coton malien était la problématique débattue à la 3e édition de l’émission “Au cœur de l’économie”, une coproduction Ortm-Spirit communication organisée le mercredi 13 novembre 2019 au Mémorial Modibo Kéita sur le thème “La filière coton”. Baba Berthé (Pdg de la Cmdt), Gérard Achkar (Pca des Grands Moulins du Mali), Alioune Badara Diawara (Dg Batexci), Keffa Diarra (Secrétaire général adjoint de la Confédération des cotonculteurs du Mali), Siriman Sacko (expert Apcam) étaient sur le plateau de Sidiki Dembélé et de Niania Aliou Traoré (les animateurs de l’émission) pour débattre des questions sur les défis de la production, de la commercialisation et de la transformation industrielle du coton en présence du ministre de l’Agriculture.
ur la production du coton au titre de la campagne cotonnière 2019 de la Cmdt, Baba Berthé (Pdg Cmdt) dira que l’objectif de la campagne réunit un certain nombre de conditions. Il a rappelé qu’au Mali le coton n’est pas irrigué, mais fluvial. Et si le coton n’est irrigué, on peut lui apporter tous les éléments à l’exception de l’eau. Il a révélé que, cette année, la Cmdt a été très ambitieuse dans le plan de campagne élaboré qui prévoyait 800 000 tonnes de coton. A ses dires, il n’est pas sûr d’atteindre cet objectif. Et cela, à cause de l’installation tardive de la pluviométrie.
Keffa Diarra expliquera que les cotonculteurs avaient de l’ambition et tablaient sur 1 million de tonnes. Et l’arrêt précoce de la pluie et sa mauvaise répartition n’ont pas permis d’atteindre leur objectif.
Au nom des agro-industriels, Gérard Achkar indiquera cette situation les pénalise. A défaut de cette pénurie de graines de coton, les agro-industriels sont obligés d’importer de l’huile de palme qui est dangereuse pour la santé des consommateurs. Il soutiendra que l’huile de coton est la meilleure huile, après l’huile d’olive. A ses dires, raffinée pure, l’huile de coton est bonne pour la santé des consommateurs et est même vendue dans les pharmacies aux Etats-Unis.
Selon Alioune Badara Diawara (Batexci), l’industrie locale n’a pas de grande crainte concernant le déficit dans la campagne cotonnière. D’après lui, il y a beaucoup de coton au Mali pour que les industriels soient bien servis. Ces industriels n’utilisent même pas 1 % de la production de coton au Mali.
Siriman Sacko, de son côté, dira que le Mali était 1er producteur de coton dans la sous-région, mais il a perdu cette 1ère place au profit du Bénin et se retrouve 2e. Le Mali est dans une vision pour récupérer sa 1ère place. Pour cela, il y a de la volonté politique, de la stratégie et des acteurs engagés. Et ils sont en train de se donner les moyens pour atteindre leur objectif. Ils sont en train de corriger les défauts pour avancer. L’indisponibilité des intrants à temps a été dénoncée par les producteurs de coton. Ce qui a joué sur leurs productions.
Sur la commercialisation, Siriman Sacko a soutenu que le Mali a beaucoup d’atouts. A ses dires, le coton du Mali fait partie des meilleurs cotons du monde et il est compétitif sur le marché international. Il a révélé que, dans le monde, à part le Texas, la qualité d’égrenage du coton du Mali et la qualité de sa fibre sont les meilleures.
Sur la fixation des prix au producteur et sur le marché mondial, le Pdg de la Cmdt dira que c’est l’interprofession qui fixe le prix du coton graine avant fin avril de chaque année. Avant de semer le coton, l’interprofession se réunit et en fixe le prix en tenant compte des paramètres définis par les services techniques de la Cmdt. Le prix de la fibre est déterminé par les cours mondiaux fixé par deux sites qui sont New York et Liverpool. Ce prix est corrélé au cours du dollar. “Ça nous permet de vendre sans perte. Nous avons fait calculer par nos techniciens le seuil de rentabilité. Pour produire 1 kg de fibre, la Cmdt tient compte de ce qu’il a dépensé pour avoir ce kilo afin de ne pas vendre à perte”, a-t-il précisé.
Alioune Badara Diawara (Batexci) et Gérard Achkar ont dit que les industriels ne sont pas associés à la fixation du prix du coton graine et de fibre. Alioune Badara Diawara (Batexci) précisera d’ailleurs que son usine achète le coton malien au cours mondial, au même prix que les industriels de Chine. “Il n’y a pas de prix malien. Seulement, les industriels maliens ne paient le prix de transport, d’assurance. Sinon, nous payons le même prix (1000 Cfa le kilo) que celui qui est en Chine”, a-t-il soutenu.
Et Achkar de dire que la graine de coton est moins chère au Togo qu’au Mali. “On ne nous a jamais consulté sur le prix de la graine de coton parce qu’il n’y en a pas assez pour tout le monde. Nous l’achetons au prix imposé. A l’avenir, il faut produire d’avantage de l’huile pour freiner l’importation asiatique qui vient par Abidjan avec une certification Cedeao sur les bidons sans frais de douane. Et cette huile asiatique est une concurrente sérieuse à l’huile malienne. Je m’approvisionne en graine de coton en Côte d’Ivoire, au Togo, au Bénin”, a dit Achkar. Est-il normal de vendre le coton aux industriels maliens au même prix qu’à un industriel chinois ?
Baba Berthé a réagi que la Cmdt est une société commerciale. “Si on veut que la Cmdt donne le coton à un prix subventionné, qui va supporter cette subvention ? Et si la Cmdt se casse la figure qu’est-ce que les gens vont dire ? Il faut saluer le gouvernement qui a instauré des contrats de performance et les unités textiles en ont bénéficié et continué d’en bénéficier”, a-t-il indiqué. Et Alioune Badara Diawara de dire que sa société ne bénéficie plus de ce contrat depuis 5 ans. Et que seule la Comatex en bénéficie.
Baba Berthé a précisé qu’aucune graine de coton malien n’est vendue à l’extérieur. Ce sont les industriels nationaux qui sont privilégiés parce que les sous-produits de la graine de coton servent à alimenter l’économie malienne. “Et il n’est pas question pour moi de vendre un kilogramme de coton graine à l’extérieur à une entreprise qui n’est pas nationale”, a-t-il dit.
Achkar soutiendra que les sous-produits de la graine de coton sont extrêmement importants. Il a expliqué que son usine utilise la coque de graine de coton comme carburant pour alimenter la chaudière qui fait le traitement de purification de l’huile. La pâte noire est intégrée dans l’aliment bétail. Le résidu de coque est mélangé au son de blé avec du tourteau pour donner un aliment bétail de grande qualité. “Il n’y a pas un gramme de la coque qui est perdu. Tout est exploitable et consommable sur place”, a-t-il soutenu.
Sur la transformation du coton malien, Siriman Sacko soutient : “un Etat qui est dans la politique de désengagement des questions de production et de commercialisation ne doit pas se substituer au secteur privé”
Sur la transformation du coton malien sur place, le constat est amer. Le Mali ne transforme que 2 % de sa production cotonnière exponentielle. Siriman Sacko dira qu’il y a des objectifs de transformation par rapport aux perspectives. Il informera que le Mali a fait plusieurs initiatives comme la Comatex, Batexci, Fitina, les artisans locaux et les autres unités de transformation. Il pense que le problème de transformation est une question d’organisation économique. Parce que, a-t-il soutenu, un Etat qui est dans la politique de désengagement des questions de production et de commercialisation ne doit pas se substituer au secteur privé.
“C’est là où le travail doit être fait pour que le secteur privé soit associé. Nous sommes dans un espace économique Uémoa où nous avons un objectif de transformation de l’ordre de 20 à 25 % du coton au niveau local. Donc, il faut que les politiques travaillent pour que le secteur privé soit associé à ce genre d’initiatives. C’est le cas de Batexci”, a-t-il souligné.
Alioune Badara Diawara avancera que pour réussir la transformation, il faut beaucoup de facteurs. Cette transformation, à ses dires, ne dépend pas que de la fibre. “Pour réussir la transformation, il faut les banques, mais l’argent coûte très cher au Mali. Il faut de l’électricité stable qui coûte pas trop chère, il faut surtout de la formation. Actuellement au Mali, il n’y a plus de jeunes formés dans l’industrie textile.
Il n’y a plus de main-d’œuvre disponible. Nous essayons de former les jeunes, mais au bout de 3 à 4 mois ils abandonnent. Ils trouvent que dans le secteur le travail est dur. Il n’est pas évident que les industries textiles puissent avoir le personnel pour réussir la transformation des 4 500 tonnes”, a-t-il indiqué.
Gérard Achkar affirmera que la transformation de 2 % seulement n’est pas honorable. ” Parce que c’est lamentable qu’on ait un groupe producteur de fibres et qu’il n’y ait pas l’industrie qui suit. Le Mali étant un pays de l’intérieur n’a aucune protection douanière. Le Mali est devenu un pays de distribution, de consommation des pays côtiers. Cela a toujours existé. Pour le changer, il faut une politique de sauvegarde, d’accompagnement, de protection économique. Tant que le Mali n’aide pas ses industriels comme l’a fait l’Union européenne, rien ne changera. Nous, industriels, ne demandons pas une subvention. Nous demandons une protection économique, fiscale et douanière pour nous mettre à niveau avec les pays de la Cedeao. Sans cela, nous allons continuer à ramasser des claques.
Il faut changer cela parce qu’il y a beaucoup de chômage au Mali et il y a beaucoup de volonté de développement industriel. Mais la concurrence est rude comme c’est le cas de l’huile qui vient d’Asie et transite par Abidjan sans payer un droit de Douane avec un certificat Cedeao. Cela est du bluff. Il y a beaucoup de bluff dans cette histoire d’huile. Pour protéger l’économie malienne, il faut demander aux opérateurs économiques d’informer les autorités de les accompagner avec preuve à l’appui. Nous ne sommes pas des délateurs, nous sommes des gens qui veulent développer le Mali, créer de l’emploi, de la valeur ajoutée. Et tout cela ne peut pas se faire sans qu’il y ait un accompagnement de l’Etat”, a-t- développé.
Baba Berthé soutiendra qu’il y a un déficit de capacité d’égrenage. D’après lui, les 18 usines d’égrenage de la Cmdt correspondent à une capacité d’égrenage de 640 000 tonnes. “La Cmdt est prête à accompagner le secteur privé à aller vers la transformation des fibres. Ce qui arrange la Cmdt. Pourquoi, aujourd’hui, il y a volatilité des prix ? C’est parce que nous ne transformons pas la fibre chez nous. Si nous la transformons le problème ne se serait pas posé. Je suis convaincu que la filière pourrait jouer son rôle dans le développement du pays. Il faut aller vers la transformation”, a-t-il ajouté. Selon lui, pour les ventes locales 2014-2015 de la Cmdt, les unités industrielles locales ont acheté 3 500 tonnes. Il s’est interrogé si cette quantité a-t-elle été transformée.
En 2015-2016, les industriels ont acheté 2 884 tonnes, 2016-2017, 3 492 tonnes, 2018-2019, 3 890 tonnes et 2019-2020, 1 151 tonnes. “Cela veut dire que ce n’est pas suffisant. Et pourquoi ? Parce qu’il y a un problème de prix ou d’accès à l’électricité. Ce qui est un premier handicap. Le 2e handicap réside dans une mentalité de certains opérateurs. Parce qu’il est difficile pour un commerçant industriel de transformer directement. Il n’est pas habitué à investir le matin et récolter le fruit le soir. Mais un industriel fait un investissement dont le résultat ne se fera sentir que dans 10 ans. Et ceux qui ne sont pas prêts à attendre ce résultat, évidemment, ils ne vont pas aller vers la transformation du coton. Je pense qu’il y a des initiatives à prendre. L’accompagnement de l’Etat est nécessaire. Il faut encourager les opérateurs à ne pas aller seulement en solo. Ils doivent aller avec d’autres opérateurs et créer une société de transformation du coton. Et notre Code d’investissement le permet. Il faut aussi la protection des industriels. Parce qu’ils peuvent produire les tissus, mais s’ils ne sont pas protégés contre la concurrence, ils vont se casser la figure”, a-t-il laissé entendre.
Siaka DOUMBIA