Il y a un an les présidents français Emmanuel Macron et ivoirien Alassane Ouattara annonçaient la fin du franc CFA dans les huit pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa). Cette monnaie commune à quinze pays africains, dont les Comores, le CFA pour « colonies françaises d’Afrique » a été créée le 26 décembre 1945, soit une quinzaine d’années avant les Indépendances des pays d’Afrique occidentale française et d’Afrique équatoriale française. Ce qui explique que les pays où cette monnaie a cours se trouvent dans deux zones. Ils sont huit en Afrique de l’Ouest, six en Afrique centrale. Indépendamment des Comores, ils sont dans deux unions monétaires distinctes.
L’une, celle de l’Afrique de l’Ouest avec les pays de l’Union monétaire ouest-africaine (Umoa), est l’une des sous-régions les plus actives en matière d’intégration. Elle a connu de belles avancées avec notamment la création de la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et la concétisation de projets comme la libre circulation des biens et des personnes, un passeport unique, etc. Ainsi en 2019, cette zone qui, dans son ensemble, comprend quinze pays au total, a enclenché le 29 juin 2019 à Abuja son processus de création d’une monnaie commune, l’éco. Auparavant, il a donc été acté que les huit pays utilisant le franc CFA en son sein s’en extirpent. Et c’est en substance l’annonce qui a été faite le 21 décembre 2019 dernier à Abidjan par les deux chefs d’État.
Depuis, la France a ratifié le 10 décembre dernier l’accord de coopération monétaire conclu il y a donc un an avec les États de l’Union monétaire ouest-africaine (Uemoa). Pourtant, l’éco, ainsi mise sur orbite, n’est toujours pas en cours, et de nombreuses questions concrètes restent encore en suspens. Qu’en est-il ?
Éco/franc CFA : ce qui va changer
Outre le changement symbolique du nom de la devise, l’avènement de l’éco devrait modifier deux choses : d’abord, la France va cesser de participer aux instances de gouvernance de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), ensuite, la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (Bceao) ne devra plus déposer la moitié de ses réserves de change auprès de la Banque de France, obligation qui était perçue comme une dépendance humiliante vis-à-vis de la France par les détracteurs du franc CFA. « Ce sont deux questions particulièrement symboliques qui cristallisaient la quasi-intégralité des critiques adressées au franc CFA », assure à l’AFP une source à l’Élysée.
Éco/franc CFA : ce qui ne va pas changer
Une chose ne change pas en revanche : l’indexation de la devise sur le cours de l’euro qui apporte une stabilité aux économies des pays de la zone, mais les rend également dépendants de la politique monétaire de la Banque centrale européenne. « Cette réforme Macron-Ouattara est un coup de bluff. Le cadre de la politique monétaire demeure inchangé. Elle a juste porté sur les symboles qui fâchent comme le nom », déplore Ndongo Samba Sylla, économiste à la Fondation Rosa-Luxembourg à Dakar. « La question de la parité a été méticuleusement discutée en amont de l’annonce de la réforme et la réponse de nos interlocuteurs africains […] était qu’il était souhaitable de maintenir cette parité, essentiellement pour des questions d’attractivité », répond une source à l’Élysée, reconnaissant un débat « légitime ».
Information complémentaire importante : une autre union monétaire en Afrique centrale, celle de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (Cemac), distincte de l’Uemoa, utilise également le franc CFA. Elle n’est pour l’instant pas concernée par la réforme.
Les pays concernés par la monnaie commune
La nouvelle monnaie commune concerne le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. Cela dit, l’idée d’un éco plus large est régulièrement évoquée car il conviendra d’y intégrer d’autres pays comme le Ghana et surtout le Nigeria, poids lourd économique du continent qui pèse 70 % du PIB de la sous-région ouest-africaine. À maintes reprises cependant, la ministre des Finances, Zainab Shamsuna Ahmed, a répété que les pays ouest-africains n’étaient pas prêts à une quelconque union monétaire, tant qu’ils ne respecteraient pas les critères de convergence. Comprendre : un déficit budgétaire n’excédant pas 3 %, une inflation à moins de 10 % et une dette inférieure à 70 % du PIB. « La question derrière tout ça est de savoir quel est le degré de solidarité auquel sont prêts les pays africains entre eux. C’est un débat difficile avec beaucoup de non-dits », analyse l’économiste togolais Kako Nubukpo.
Que manque-t-il pour lancer l’éco ?
« L’éco n’existe pas encore. Aujourd’hui, nous sommes toujours avec le franc CFA. On a l’impression de tourner en rond », déplore l’ancien ministre de la Prospective et de l’Évaluation des politiques publiques du Togo qui prépare un rapport sur les modalités de transition entre les deux monnaies. Le Covid a obligé les États à revoir leurs priorités mais l’épidémie n’est pas la seule raison qui explique cette mise en œuvre poussive. « Ce qui bloque, c’est un problème purement politique. Il y a des dissensions entre les dirigeants d’Afrique francophone », estime l’économiste franco-ivoirien Youssouf Carrius. Selon plusieurs observateurs, la Côte d’Ivoire, principale économie de la zone francophone avec le Sénégal, n’est pas particulièrement pressée de faire bouger les choses. Plusieurs fois, le président Alassane Ouattara a défendu le franc CFA, « une monnaie solide », dont la parité avec l’euro assure une certaine stabilité économique.
Payer en franc CFA, jusqu’à quand ?
L’arrêt du franc CFA suppose avant tout l’impression de nouveaux billets de banque. Pour l’heure, ils sont toujours imprimés à Chamalières, dans le centre de la France, dans une imprimerie de la Banque de France. Aucune date n’a pour l’instant été dévoilée pour changer les billets. « C’est un calendrier africain. Il y aura cette question-là dans les sujets qui seront débattus au prochain sommet Afrique-France en juillet 2021 », assure l’Élysée. Un avis que partage Lambert N’Galadjo Bamba, conseiller au ministère de l’Économie et des Finances ivoirien : « Nous avons dû réactualiser la feuille de route en raison de la crise du coronavirus et nous donner plus de temps pour travailler sur la convergence. Tous ces processus demandent du temps. Il faut compter quelques années encore » avant le lancement effectif de l’éco. « Les Européens ont mis près de trente ans pour avoir leur euro », rappelle l’économiste Ndongo Samba Sylla. Une manière de faire comprendre qu’il faudra s’armer de patience avant la concrétisation de l’éco.