Energie : EDM à la croisée des chemins

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Le ministre de l’Energie et de l’Eau a officiellement dit aux Maliens que pour circonscrire  les délestages, il faut 2900 milliards F CFA. Et que trouver une réponse aux problèmes d’électricité au Mali demande un sacrifice de tous.  Pour de nombreux analystes, le bout du tunnel n’est pas pour demain. Outre le rééquilibrage de ses comptes, EDM doit impérativement augmenter sa capacité de production et améliorer l’état du réseau. Sortir de cette spirale infernale de délestage demande beaucoup d’initiatives. 

 

Infrastructures vétustes, déficit chronique, mauvaise gouvernance, absence de planification… Ces écueils empêchent toute réforme de celle qui est surnommée « Energie du mal » dans les rues de Bamako, où le taux national d’accès à l’électricité était de seulement 38 % en 2016, pour plus de 40 délestages majeurs par an, écrit Estelle Maussion, journaliste à Jeune Afrique dont nous publions un article consacré à EDM.

« EDM est à la croisée des chemins et est confrontée à des défis multiformes tant sur le plan technique que financier », a reconnu lors de sa prise de fonction son nouveau DG, Oumar Diarra, nommé en novembre 2020.

Depuis de nombreuses années, l’entreprise publique est enfermée dans un cercle vicieux. D’une part, elle vend son électricité à un tarif encadré qui ne couvre pas ses coûts de production, à savoir un prix moyen de vente de 92 F CFA/kWh (environ 17 centimes de dollar) contre un coût de revient de 130 F CFA/kWh (24 centimes de dollar) en 2019.

D’autre part, elle fait face à de nombreux impayés, aggravés par le fait qu’environ un quart de l’énergie produite par EDM (22,5 % en 2015) n’est tout simplement pas facturée, a vivement regretté le régulateur malien (la Commission de régulation de l’électricité et de l’eau, CREE), soulignant que ce taux de pertes est le double du taux contractuel.

Le réseau et le service se dégradent, alimentant mécontentement et impayés.

Résultat, EDM est structurellement en déficit, survivant grâce aux subventions de l’Etat (pourtant mauvais payeur des factures adressées à ses services). Cela empêche l’entreprise d’investir pour entretenir son réseau et augmenter ses capacités de production alors même que les besoins en électricité sont en hausse de 12% en moyenne par an depuis 2016.

Conséquence, le réseau et le service se dégradent, alimentant mécontentement et impayés, ce qui rend d’autant moins acceptable une hausse des tarifs pendant que le parc électrique continue de péricliter…

 

Manque de formation

Cet engrenage explique le piètre bilan d’EDM. Sa production d’électricité a certes progressé de 1573 GWh en 2014 à 2412 GWh en 2019, mais grâce notamment aux achats d’énergie auprès des pays voisins. Elle est censée officiellement bondir à 6057 GWh en 2025, un objectif jugé inaccessible au regard de ses capacités d’investissement et du ralentissement de la croissance de la production depuis trois ans.

En 2018, EDM affichait un chiffre d’affaires d’environ 277 millions d’euros, pour près de 100 millions d’euros de pertes. Selon le FMI, son endettement (arriérés compris) atteignait à la fin juin 2019 le montant record de 319 milliards de F CFA (486 millions d’euros). Cela représente 3,1 % du PIB malien et plus que le budget de la Défense à la même époque ( 277,9 milliards de F CFA ».

EDM pâtit aussi du manque de formation de ses 2 200 employés. Malgré les « transferts de compétences » en cours, lors des délestages l’an dernier, l’opérateur a longtemps attendu l’arrivée des techniciens de l’équipementier finlandais Wartsila, bloqués à Dakar en raison du Covid-19, pour réparer les unités en panne.

Sans surprise, la défaillance de la société publique pénalise le développement du pays. Selon la Banque mondiale, les coupures qui représentent 124 jours en 2019 sur le réseau moyen tension  coûtent près de 10 % de chiffre d’affaires aux entreprises concernées.

« Par ailleurs, le Mali présente des frais de connexion estimés à 200 dollars, largement supérieurs à la moyenne subsaharienne autour de 100 dollars, ce qui décourage les raccordements », souligne Hugo Le Picard, chercheur au Centre énergie et climat de l’Institut français des relations internationales (Ifri).

 

Progression trop lente des capacités électriques

Les capacités électriques progressent mais trop lentement pour répondre à la demande. En outre, la hausse de la production se fait principalement grâce à des centrales thermiques ou des solutions d’urgence, à la fois polluantes et coûteuses car fonctionnant avec des hydrocarbures importés.

En 2018, l’ardoise à régler aux trois principaux fournisseurs de solution d’urgence en activité dans le pays le britannique « Aggreko », le turc « Aksa » et l’émirati SES, Smart Energy Solutions  représentait plus de 20 milliards de F CFA (30 millions d’euros), contre 22 milliards de F CFA facturés par la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE), autre fournisseur phare du Mali.

« Le mix énergétique malien était plus vert il y a dix ans. La part de l’hydroélectricité s’est réduite sur la période », résume Elsa Di Meo, chargée de mission énergie à l’Agence française de développement (AFD) en poste à Bamako depuis trois ans. Les énergies fossiles représentent 58 % des capacités installées contre un objectif de 38 % fixé pour 2020. Le solaire compte pour moins de 1 %.

 

EDM victime  de l’Etat

Toute la faute n’est cependant pas à rejeter exclusivement sur EDM qui, de l’avis général, est aussi victime des errements de la puissance publique. Si la société a connu une expérience de privatisation entre 2000 et 2005, alors détenue à 60% par Saur (du groupe Bouygues à l’époque) et IPS (Industrial Promotion Service du fonds Aga Khan), elle reste marquée par sa très forte dépendance au pouvoir politique.

C’est ce dernier qui, pour acheter la paix sociale, maintient un tarif bas de l’électricité tout en sachant que cela creuse le déficit d’EDM. C’est aussi lui qui, nommant ses dirigeants, est responsable de l’instabilité à sa tête. Oumar Diarra est le huitième patron en dix ans  ce qui rend impossible des réformes de long terme.

En l’absence de chaîne de décision claire, des chantiers lancés il y a plusieurs années comme la modernisation du secteur et la révision de la politique énergétique stagnent, bailleurs et acteurs privés restant suspendus à des arbitrages qui ne viennent pas.

 

Changements en cours

 

Sans oublier que les pouvoirs publics montrent le mauvais exemple en tant que client : l’administration est responsable de la majorité des impayés. En 2017, l’énergéticien avait dû couper l’alimentation de l’Assemblée nationale afin d’obtenir le règlement de factures, dont certaines remontaient jusqu’à 2012…

Malgré ce tableau sombre, des changements sont en cours. Depuis plusieurs années, EDM mise sur les liaisons avec ses voisins dans le cadre de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) et du Système d’échanges d’énergie électrique ouest africain (WAPP). Si l’interconnexion avec la Guinée tarde à se concrétiser, celle avec la Côte d’Ivoire, établie depuis 2012, fonctionne à plein régime.

« L’une de nos priorités cette année, est de renforcer cette interconnexion pour arriver à la fourniture de 100 MW contre 60 à 80 MW actuellement », indique Boubacar Kane, le nouveau président du conseil d’administration d’EDM, nommé en décembre 2020 après dix ans à la tête de la Société malienne de gestion de l’eau potable (Somagep).

Le recours aux importations ivoiriennes malgré les récurrents retards de paiement permet à EDM d’accroître le volume d’énergie disponible et de réduire ses dépenses. Le courant ivoirien est importé à 65 F CFA/kWh, soit la moitié du coût de production d’EDM.

En 2019, les importations depuis la Côte d’Ivoire représentaient 27% du mix électrique malien, devant les achats à la Sogem dans le cadre de l’OMVS correspondant à la production des barrages de Manantali et Félou (24,8%).

 

Soutien des bailleurs de fonds

Autre point marquant, EDM bénéficie du soutien des bailleurs de fonds, Banque mondiale en tête. Cette dernière a approuvé, à la fin de 2019, une enveloppe de 150 millions de dollars pour le Projet d’amélioration du secteur de l’électricité au Mali (Pasem). Il prévoit : la restructuration de la dette d’EDM, la révision de sa gouvernance et des investissements dans les infrastructures de transport et de distribution.

En juillet 2020, la Banque mondiale a remis au pot, ajoutant 30 millions de dollars pour le Mali dans le cadre d’un projet avec la Cedeao pour encourager les échanges régionaux d’électricité. Le FMI, la BAD et l’AFD sont aussi mobilisés sur l’évolution du cadre réglementaire pour le premier et le financement de projets (entre autres) pour les deux autres.

La BAD, qui a prêté 25 millions de dollars pour la centrale solaire de Ségou (33 MW, porté par Scatec Solar), travaille aussi à la création de mini-centrales hydroélectriques. Quant à l’AFD, elle est mobilisée sur le doublement de la ligne haute tension Manantali-Bamako (80 millions d’euros), l’amélioration de la desserte de Bamako mais aussi l’électrification des zones rurales (20 millions d’euros).

 

Multiplication des signaux positifs

En réaction à l’intervention des bailleurs, EDM tente de multiplier les signaux positifs. D’une part, elle a durci en juillet 2019 (une première en dix ans) sa politique tarifaire en direction des entreprises afin d’augmenter ses recettes.

D’autre part, son nouveau DG a promis en novembre 2020 « des actions vigoureuses de maîtrise des charges et de lutte contre la fraude ».

« Nous prévoyons de moderniser la boucle moyenne tension autour de Bamako afin d’en renforcer l’approvisionnement ».

Mais ce sujet demeure un point de crispation entre la compagnie publique et les bailleurs. Ces derniers jugent les progrès réalisés par l’opérateur trop lents mais manquent de moyens de pression dans un contexte diplomatique mondial de soutien au Mali au nom de la lutte contre le terrorisme.

 

Investir dans les nouvelles technologies

Le chemin sera donc encore long avant de sortir de l’ornière. Outre le rééquilibrage de ses comptes, EDM doit impérativement augmenter sa capacité de production et améliorer l’état du réseau.

« Nous prévoyons notamment d’installer 20 MW à Balkou, près de Bamako, et de moderniser la boucle moyenne tension autour de la capitale afin de renforcer son approvisionnement », souligne le PCA Boubacar Kane.

Pour réduire les pertes, EDM aurait intérêt à s’inspirer de l’expérience de la CIE en Côte d’Ivoire ou de la Société nationale d’électricité du Sénégal (Senelec) et à investir dans les nouvelles technologies (pilotage de réseau à distance, compteurs prépayés voire intelligents).

Plus fondamentalement, EDM ne pourra gagner en crédibilité qu’à la condition de faire évoluer sa relation avec la tutelle étatique. Ce qui signifie obtenir deux choses d’elle : non seulement la définition d’une stratégie énergétique mais aussi davantage d’autonomie pour la mettre en œuvre. Pour EDM, le salut se trouve à bonne distance de Bamako.

 

Un espoir « vert » ?

Dans le courant de 2020, la centrale solaire de Kita (Sud-Ouest) est entrée en service (50 MW). Ce premier projet renouvelable d’un producteur d’électricité indépendant (IPP) dans le pays, développé par le français Akuo Energy, s’est déroulé sans encombre en dépit des craintes concernant la capacité du réseau à intégrer ce raccordement. Cette réalisation et la signature en fin d’année d’un accord avec le groupe émirati Phanes Energy pour construire une centrale solaire de 93 MW à Touna relancent les espoirs des acteurs privés et publics de voir EDM passer à la vitesse supérieure dans la conduite des projets comme des réformes. L’opérateur public doit aider le Mali à rattraper son retard vis-à-vis de ses voisins et au regard de son potentiel solaire dans les énergies renouvelables et coordonner l’action des IPP. « Cela suppose de disposer de compétences en interne pour négocier les contrats ou, dans le cas contraire, de se faire accompagner », pointe un bon connaisseur du secteur.

Estelle Maussion

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