Dans ce numéro, nous vous proposons la première partie de la grande interview exclusive que le Président de Mali Folkcenter, lauréat du prestigieux Prix Albert Einstein, Dr Ibrahim Togola, a bien voulu nous accorder
M. Togola, vous venez de recevoir le Prix Albert Einstein. Vous êtes, en l’occurrence, le premier Africain à être récipiendaire d’un tel prix. Quels sentiments cela suscite-t-il en vous?
Effectivement, le Prix Albert Einstein est aujourd’hui la plus grande distinction dans le domaine des énergies renouvelables, qui est décernée, chaque année, lors du Salon international des énergies renouvelables, en particulier l’énergie solaire, à Munich en Allemagne.
Vous n’êtes pas sans savoir que l’Allemagne est le leader mondial dans ce domaine. Donc, en tant que Malien, Africain, et comme premier Africain à recevoir ce prix, j’éprouve un grand sentiment de fierté qu’un prix aussi prestigieux soit attribué à un citoyen malien.
Je dédie, à mon tour, ce prix au Mali, à ma famille, particulièrement à mon père, qui m’a beaucoup encouragé à l’école, à mes professeurs, du premier cycle au lycée. Cela prouve que le Mali compte beaucoup dans le secteur des énergies renouvelables.
Vous êtes le premier responsable de Mali Folkcenter. Pouvez-vous nous présenter brièvement cette ONG?
Effectivement, je suis co-fondateur de Mali Folkcenter. Ce fut une grande aventure, après que j’eus quitté le Danemark avec mon diplôme d’Ingénieur en électromécanique, spécialisé dans les technologies des énergies renouvelables. Je suis également économiste en planification. J’ai décidé de rentrer au Mali en 1999 pour créer cette ONG, pour la simple raison que la question énergétique n’était pas suffisamment prise en compte dans les différentes spécialisations. On s’est donc lancé dans cette aventure.
Au départ, en 2 000 Mali Folkcenter comptait seulement sept personnes, de jeunes célibataires, dédiés corps et âme à la cause énergétique et environnementale. Mali Folkcenter est toujours restée une ONG spécialisée sur ces questions d’énergies renouvelables, changement climatique et environnement. Nous avons fait notre première installation solaire dans une école de la région de Sikasso. On était, à l’époque, deux personnes. A ce jour, Mali Folkcenter a réalisé plus de 500 installations solaires dans différents endroits du Mali: dans des écoles, des centres de santé, en les dotant de systèmes de réfrigération solaire, des places publiques, des systèmes d’adduction d’eau, avec systèmes solaires châteaux d’eau qui varient de 5 m3 à 80 m3, des systèmes d’adduction complets, des systèmes de goutte-à-goutte.
Très récemment, depuis 5 ans, nous avons commencé l’électrification des villages, avec des systèmes d’éclairage complets, et aussi la fourniture d’électricité en partenariat avec l’AMADER et aussi avec des partenaires externes. Bref, sur la gamme énergétique, nous avons fait énormément de choses et nous continuons à le faire. Nous avons aussi compris que rien n’est possible sans un environnement favorable, environnement politique et institutionnel s’entend.
Par ailleurs, les autorités maliennes et celles de l’UEMOA et de la CEDEAO nous ont offert des opportunités que nous avons saisies, en participant, entre autres, activement à l’élaboration de certaines politiques et stratégies et plans d’actions sur les énergies renouvelables, sur les questions énergétiques et de changement climatique, comme le Livre blanc de la CEDEAO sur les énergies, à l’élaboration duquel Mali Folkcenter a beaucoup contribué.
Nous avons été l’ONG africaine sélectionnée, après une compétition, par l’Union Africaine. La Commission de l’Union Africaine a élaboré une stratégie africaine de développement durable des biocarburants, qui a été adoptée par le Conseil des ministres. Donc, nous avons beaucoup travaillé, au double plan sous-régional et régional. Mali Folkcenter a saisi l’opportunité qui lui a été offerte par ses partenaires de travailler sur l’accès au financement par les entreprises nationales et internationales pour la promotion des énergies renouvelables. Nous avons appuyé, à ce jour, des initiatives individuelles entreprenantes, qui sont devenues aujourd’hui de grandes entreprises au Mali.
Ce sont, au bas mot, cinq entreprises que Mali Folkcenter a appuyées sur le concept du plan des affaires. Certaines de ces entreprises emploient aujourd’hui plus de 200 personnes. Cela va du secteur du gaz butane à celui de l’efficacité énergétique, en passant par le secteur du séchage solaire. Dans le domaine énergétique, nous continuons à avancer. Nous avons fait beaucoup de transferts de technologie vers l’Afrique de l’Est et de l’Ouest sur les plateformes multifonctionnelles, comme en Tanzanie ou au Bénin.
S’agissant de toutes les questions environnementales ou climatiques Mali Folkcenter a eu le grand honneur de bénéficier d’une grande confiance placée en elle par ses paires ONG pour piloter le réseau Climat-Mali qui est aujourd’hui une référence en Afrique. Dans Réso Climat Mali, Mali Folkcenter gérait un certain nombre de fonds, assez importants, pour financer des initiatives sur les changements climatiques, à travers les différentes ONGs membres du réseau, qui en compte aujourd’hui plus de 100 et qui fait de très belles choses au plan national.
Nous contribuons, sur l’arène internationale, à l’avancée des différentes questions relatives au changement climatique. Résultat: grâce à ces contributions, depuis 2003, j’ai été d’abord été élu membre du Conseil mondial sur les énergies renouvelables et, depuis 2008, je suis Vice-président pour l’Afrique du Conseil mondial pour les énergies renouvelables. Je suis également membre fondateur et membre du Conseil d’Administration de l’Initiative Energies Renouvelables pour le 21ème siècle, qui est une initiative internationale logée au sein du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE).
Pouvez-vous nous dresser un bilan succinct de vos actions en matière de promotion de l’énergie solair ?
Si vous prenez les différentes branches de Mali Folkcenter, nous sommes autour 110 personnes. Il y a aussi les employés internationaux, qui sont au nombre de cinq. Ils viennent de temps en temps au Mali. Quand nous sommes arrivés, nous avons vu que notre pays jouissait d’énormes potentialités. Si vous voulez aider les gens en leur donnant de l’électricité, il faut aussi leur donner les outils et les moyens pour que cette électricité puisse servir à transformer leur économie. Et cela n’est possible qu’à partir de l’agro-sylvo-pastoralisme, qui occupe plus de 80% de la population malienne.
C’est pour cela que nous avons initié l’Initiative Agriculture-Développement et Industrie. Cette Initiative travaille aujourd’hui sur l’utilisation de l’énergie en milieu rural. D’abord dans la région de Sikasso, où nous cherchons à préserver le complexe forestier de Bougouni – Yanfolila en créant un cadre de développement et une agriculture durables, avec une approche chaîne de valeurs. Pour que nos parents cessent de dire «je ne suis qu’un paysan». En Europe ou aux Etats-Unis, quand tu dis «I am a farmer» (je suis un fermier) tout le monde va voir, tout de suite, des billets de dollars, parce qu’à leurs yeux tu es très riche. Ici, nos parents disent «ah, moi, je ne travaille pas, je ne suis qu’un pauvre paysan». En vérité, celui qui possède la terre et qui donne l’alimentation est un homme prospère.
Nous, nous intervenons dans l’agriculture pour que l’énergie puisse stimuler, transformer, créer la valeur ajoutée à la production agricole et pour organiser les producteurs afin qu’ils puissent avoir accès au marché. Aujourd’hui, notre approche dans l’agriculture, c’est de la valoriser par le biais de l’énergie. Il s’agit, par exemple, de l’énergie solaire thermique pour le séchage, de l’énergie des résidus d’élevage, en un mot, toutes les formes d’énergie doivent être valorisées.
Nous sommes en train d’initier un nouveau concept au Mali, la ferme énergétique: il faut que chaque ferme au Mali soit autosuffisante en matière énergétique. Un champ doit se suffire et permettre à son propriétaire de satisfaire non seulement ses besoins énergétiques mais aussi de créer la valeur ajoutée pour sa production. Voilà un peu ce que nous faisons dans l’agriculture. L’agriculture est un tremplin pour permettre la création de richesses.
Au lieu de dire, comme toujours, «on lutte contre la pauvreté», nous, nous disons, à l’instar des Chinois, que la meilleure façon de lutter contre l’obscurité c’est d’allumer une bougie. Au lieu de dire «on s’attaque à la pauvreté, il est beaucoup plus facile de dire «nous créons la richesse».
Nous créons la richesse avec ce que le Bon Dieu nous a donné, c’est-à-dire la biomasse, le soleil. Ainsi, on n’aura plus besoin de lutter contre la pauvreté, qui disparaîtra d’elle-même.
Propos recueillis par Yaya Sidibé