Pays d’élevage par excellence, le Mali profite-il du secteur ? En tout cas, c’est un fait : à la veille de la Tabaski ou “l’Aïd al-Adha”, le prix du mouton grimpe dans la capitale en raison de plusieurs facteurs dont la spéculation sur les marchés à bétail. Enquête.
A quelques jours de la fête de Tabaski, quel est l’état des marchés de bétail ? Nous avons tenté d’en savoir plus. Un tour sur plusieurs marchés de bétail “Garbal”, nous a permis de nous situer sur ce qui attend les futurs clients.
Au marché de Djélibougou, en ce mardi 23 juillet 2019, nous sommes loin de l’affluence habituelle. “Nous ne sentons pas pour le moment la ferveur habituelle à l’approche de la fête de Tabaski. Ce sont plutôt des ventes ordinaires que nous constatons”, confie H. Barry, vendeur de mouton.
Non loin, un autre vendeur du nom de S. Diallo estime que même s’il est trop tôt de parler d’affluence, il reconnait néanmoins qu’à deux semaines de la fête, le marché doit être plus fourni. “Notre marché est par excellence un endroit prisé, puisque les bétails proviennent de Banamba et Nara, en grande partie. Donc, à cette période, il devrait y avoir plus de bétail”, laisse-t-il entendre.
Pourquoi un tel faible approvisionnement ? Si l’on se réfère aux explications de responsables des coopératives d’éleveurs, il y a des obstacles qu’il faut vite gérer. “Nous avons maintes fois attiré l’attention des autorités sur les mesures d’assouplissement, notamment les conditions de transport du bétail en cette période. Mais, nous sommes au regret de constater que les taxes et autres droits de passages sont toujours en vigueur à quelques jours de la Tabaski”, déplore H. Ongoïba, membre de la coopérative des éleveurs.
Quelles sont les mesures prises pour permettre aux citoyens surtout aux Bamakois d’avoir des moutons à moindre coût et surtout quelles sont les difficultés dans ce secteur ? Un spécialiste de la question nous fait des révélations qui sonnent comme une alerte pour plus hautes autorités.
“Le Mali dispose d’un potentiel énorme en bétail. Mais il est l’un des rares pays où les conditions de pâturage ne sont pas réunies. A ce jour, il n’existe pas de couloir de pâturage favorable à l’épanouissement du pâturage, d’où la transhumance des animaux de notre pays à ceux de la sous-région”, relève-t-il.
Impensable ! Pendant qu’au Mali, les éleveurs sont chassés, en Côte d’Ivoire, en Guinée, au Sénégal et d’autres pays des facilités énormes leur sont accordées. “Un éleveur de bétail préfère se rendre dans les pays voisins pour faire des bonnes affaires que de venir à Bamako ou ailleurs dans le pays”, fait remarquer notre interlocuteur.
Paradoxe
Plus on s’éloigne de la capitale, plus on se rend compte de l’écart. Non seulement le bétail est disponible mais également le prix est très abordable. En déplacement dans les régions de Kayes et Koulikoro, nous avons fait le constat d’une grande différence qui confirme la forte spéculation dans le secteur.
Par exemple, à Diéma, la ville compte un grand potentiel de bétail. Un mouton par tête est vendu à moins de 50 000 F alors que sur le marché de la capitale, il est cédé à plus de 80 000 F CFA. “J’achète le mouton à 40 000 F, je paye le transport à 2000 F de Nara à Bamako et je peux obtenir le double du bétail en quelques jours sur le marché de la capitale”, témoigne I. Dramé, marchand de bétail.
Transporteur de son état, A. Traoré confirme avoir acheminé de Nioro du Sahel à Bamako, plus des milliers de têtes de bétail. “En 3 mois, j’ai assuré le transport d’une quantité importante de moutons dans des véhicules de 10 tonnes. Il est impensable que ces animaux ne puissent pas servir à approvisionner les différents marchés à bétail”, déplore notre transporteur.
Visiblement, il y a une forte spéculation qui entoure le marché de bétail dans la capitale. Une question qui préoccupe certains éleveurs. “Désormais, le secteur est monopolisé par ceux qui ont l’argent, qui malheureusement, payent le bétail à bas prix mais revendent au double”, analyse Allaye Niangadou que nous avons croisé au Dral de Kati.
Impact de la crise sécuritaire
Dans le Nord et le Centre du pays, le cheptel est considérable et il fait office de richesse locale. Cependant, l’impact de la crise sécuritaire est énorme sur ce secteur pourtant vital dans cette partie du territoire national. Dans le Gourma et le Delta intérieur du Macina, difficile de nos jours de pratiquer l’élevage.
“La situation est telle que nous avons peu de marchands de bétail, qui acceptent de s’aventurer sur ce terrain. En temps normal, à une période pareille, nos recettes sont significatives en raison de la fréquence des camions de transport de bétails en direction de la capitale. Mais à peine si une dizaine de véhicules assurent la navette”, déclare D. M., péagiste à Douentza.
Confinés dans des espaces restreints, les éleveurs sont frappés de plein fouet par l’insécurité caractérisée par le terrorisme. Ce qui a réduit considérablement la mobilité des marchands de bétail “Téréré”. “Si tu ne fais pas attention en compagnie des animaux, on risque de confondre à un jihadiste”, alerte H. Bah, ancien vendeur de bétail, converti en boutiquier au poste de contrôle de Niamana.
Ses inquiétudes sont partagées par plusieurs membres de coopératives d’éleveurs qui se voient dans l’obligation d’abandonner les zones en crise sécuritaire pourtant pourvoyeuses de bétails très prisés par les clients. “C’est vraiment difficile d’assurer l’acheminement correcte de bétails. Nous attendons la concrétisation des promesses des autorités de garantir la sécurité des transporteurs sans quoi, il faut s’attendre à un faible approvisionnement du marché de bétail”, prévient-il.
Que font les autorités ?
Plus qu’une fête importante, le charme de la Tabaski reste le mouton. Depuis quelques années, le gouvernement s’est engagé dans des ventes promotionnelles de moutons. Cette année, l’opération concerne Kayes, Koulikoro, Sikasso, Ségou, Mopti, Gao Tombouctou et le district de Bamako. Au total, elle compte 31 307 têtes dont 12 300 Bamako, selon une source du ministère de l’Elevage et de la Pêche.
Est-ce une alternative pour juguler le besoin en moutons de Tabaski ? Malgré certaines lacunes, force est de reconnaitre la pertinence de l’initiative. C’est pourquoi, les populations souhaitent voir des mesures plus fortes pour rendre disponible le bétail à la bourse de tout le monde.
Comment comprendre qu’un pays où l’élevage représente 10 % du PIB, le mouton est cédé à un prix d’or ? Et dire que la pratique de l’élevage reste la principale ressource de 30 % de la population ? Le hic est que 75 % du bétail malien est constitué de troupeaux transhumants. Malgré le besoin national, le bétail est le troisième produit exporté par le Mali.
En attendant des solutions pérennes, les citoyens vont se démener comme des beaux diables pour se procurer un mouton de tabaski à des prix exorbitants.
Heureusement que l’on peut compter sur la solidarité et la générosité de notre société pour que la célébration de la fête de Tabaski ne soit pas un luxe à cause de la cherté des prix du mouton.
Avec L’Action