#Mali : Transhumance : Ces menaces sur le cheptel malien

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Le bon déroulement de ce mouvement migratoire nécessaire au bien-être du bétail est de plus en plus difficile. Conséquence : de nombreux éleveurs migrants vers des contrées plus clémentes voire dans les pays voisins pour se mettre en sécurité et assurer la tranquillité de leurs animaux

Le cheptel malien se chiffre à 13,63 millions de bovins, 23,31 millions d’ovins, 32,19 millions de caprins, 632.340 équins. S’y ajoutent 1,23 million d’asins, 90,393 porcins, 1,34 million de camelins, et 60,31 millions de volailles, selon le rapport annuel 2023 de la direction nationale des productions et industries animales (DNPIA). La semaine dernière, à la faveur d’un atelier, le ministre de l’Élevage et de la Pêche, Youba Ba, révélait que 327.427 bovins, 192.340 petits ruminants, 4.311 asins du Mali ont traversé la frontière pour la Guinée, 9.000 bovins et 1.890 petits ruminants ont été transhumés en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso.

Ces chiffres dénotent l’importance qu’occupe la transhumance dans les systèmes d’élevage de notre pays. Pour les éleveurs, la mobilité transfrontalière apparaît comme une nécessité pour permettre à leurs animaux de poursuivre leur cycle de croissance en allant périodiquement pâturer dans les pays côtiers qui recèlent d’importantes ressources fourragères herbacées et ligneuses. Ce mouvement qui leur permet aussi de changer d’air et d’espace est pratiqué dans notre pays depuis la nuit des temps.

La plupart des transhumants viennent des régions du Nord, du Centre et de l’Ouest du pays et se déplacent à travers les autres régions pendant la saison sèche, pour ensuite faire leur retour en début d’hivernage. Ce qui leur permet d’exploiter les complémentarités écologiques entre les zones semi-arides du Nord et les régions humides situées au sud.

Ces dernières années, cette mobilité pastorale est confrontée à des facteurs de vulnérabilité, dont les plus majeures sont le changement climatique, l’augmentation de la pression foncière et l’insécurité récurrente. La crise affecte le déplacement traditionnel des pasteurs, obligeant beaucoup d’entre eux à s’installer dans les pays voisins.

Dans le Cercle de Kangaba, on constate une plus grande présence des éleveurs jusqu’à la frontière guinéenne. Les troupeaux sont disséminés sur différents points, selon leur choix. Certains se sont installés sur le territoire guinéen. Il est vers 17 h ce jeudi 20 juin, troisième jour de la fête de Tabaski. Nous rencontrons le jeune Hadou dans un champ à Farani, un village situé dans la préfecture de Siguiri en République de Guinée. De teint clair, taille moyenne, il est arrêté sous un karité auprès d’un sentier étroit, un bidon d’eau de 10 litres est accroché au tronc de l’arbre. Autour de lui, des animaux broutent l’herbe fraîche germée par les premières pluies de l’hivernage et qui donnent une beauté attrayante à la nature.

2,5 millions de francs guinéens- Hadou, qui vient de rejoindre ses frères après le mois de Ramadan, explique que cela fait plus d’une année que leurs bétails paissent dans cette zone de la Guinée. Le jeune berger du Macina fait savoir que c’est la crise sécuritaire qui les oblige à rester hors du pays natal, parce qu’ils sont victimes d’enlèvements du bétail et des attaques meurtrières de la part des bandits armés. «Quand ils te trouvent seuls en brousse, tu risques de perdre la vie. Nous traversons une période très difficile dont nous sommes devenus des parias à cause d’une minorité de personnes», laisse-il entendre, ajoutant qu’ils sont tranquilles ici.

Pour leur installation dans ce village, notre interlocuteur précise que les éleveurs payent 2,5 millions de francs guinéens (FG) environ 174.546 Fcfa tous les 4 mois. Après cela, ils ne sont plus des inquiétudes. Ils vendent le litre de lait à 10.000 FG, environ 1.000 Fcfa, ce qui leur permet de prendre en charge leurs besoins. Hadou et ses paires sont sollicitées par les paysans guinéens pour qu’ils pissent dans leurs champs avant la saison de labour.

Les maisons d’animaux déposées servent d’engrais organiques. Notre interlocuteur avoue avoir des difficultés pendant la saison sèche à cause de la rareté de l’aliment bétail et de l’accès à l’eau. Parce que, explique-t-il, pendant cette période, le feu de brousse consomme toutes les herbes et les rivières tarissent aussi. Les éleveurs doivent alors se contenter des mines artisanales abandonnées pour abreuver les troupeaux.

Contrairement au Mali, les paysans guinéens n’ont pas prévu de grands puits et réalisé des bassins d’abreuvage dans leurs champs. Le jeune pasteur dont la fiancée est conservée au village à la nostalgie du pays. Je souhaite l’apaisement de la situation pour y retourner. Car, selon lui, la transhumance est gratuite au pays et les éleveurs n’ont pas besoin de payer quoi que ce soit au village hôte. Enfin, il signale que son frère aîné est militaire. Ce dernier prend régulièrement de leurs nouvelles tout en les incitant au retour.

Les éleveurs venus de l’intérieur du pays sont aussi nombreux à Djoulafoundo, village frontalier de la Guinée, dans la Commune de Nouga (Cercle de Kangaba). Certains y sont restés, d’autres retournent pendant la saison des pluies. Dans ce village, «Foulakè» (nom d’emprunt) a trouvé un hôte bienveillant. Son troupeau est composé de bovins, d’ovins et de caprins. Vénus de la localité de Barouéli, il s’apprêtait, en juin dernier, à retourner auprès des siens après la fête de Tabaski. Selon l’éleveur, le trajet à parcourir pour rejoindre sa localité, actuellement verdoyante, lui prendra un mois de marche. Il nous apprend que beaucoup de ses collègues qui viennent du Centre (Mopti) ont choisi de se diriger vers le Sénégal et la Mauritanie. Un de ses collègues souligne que les bergers ne sont pas les bienvenus dans certaines localités. Ils font l’objet de railleries et ne peuvent même pas avoir de l’eau à boire au passage. «Tous ces gens les confondent avec cette minorité criminelle qui endeuille le pays», regrette-il.

PROTOCOLES D’ACCORDS- Pour davantage d’éclaircissements sur la transhumance au Mali, nous avons approché le chef de division aménagement et hydraulique pastoraux à la DNPIA, Otogolo Koné. Le spécialiste explique que les défis auxquels le sous-secteur fait face sont les pénuries fourragères variables selon les années, surtout dans la bande sahélo-saharienne, l’assèchement précoce des mares temporaires et parfois des cours d’eau pérennes, le déficit hydrologique des fleuves et des principaux cours d’eau. Il y a aussi la pression démographique et la prolifération anarchique des terres agricoles conduisant à la réduction des aires de pâturages et à l’occupation des pistes de transhumance.

Pour l’expert de la DNPIA, le changement climatique avec son corollaire d’aménagement des ressources a également conduit à la modification des circuits de transhumance. L’amplitude des mouvements de transhumance des pasteurs est devenue plus grande et les séjours dans les zones d’accueil et des pays côtiers deviennent de plus en plus longs. «Notre système pastoral souffre de la non application des textes reconnaissant les droits d’usage pastoral selon l’article 49 et 50 de la loi portant charte pastorale et qui le privé de droits réels dans l’affectation du foncier rural», signale-t -il.

À ces défis, vient s’ajouter celui de la mobilité face au péril sécuritaire (banditisme, terrorisme). Les groupes armés terroristes s’adonnent à l’enlèvement des troupeaux et aux braquages ​​des commerçants. Cela perturbe le fonctionnement des marchés à bétail, soutient l’agent de la DNPIA. Aussi, Otogolo Koné souligne les conflits affectant les vies humaines. Pour faciliter le mouvement des élévations à l’intérieur du pays, explique le chef de division aménagement et hydraulique pastoraux, l’État prévoit plusieurs actions.

On peut citer l’aménagement des aires de pâturages et des points d’eau dans le cadre de la mise en œuvre des projets d’élevage, le balisage des couloirs et pistes de transhumance, la lutte contre les feux de brousse, l’ensemencement des parcours dégradés et l’enrichissement des pâturages. Et dans le cadre de la réglementation de la mobilité du bétail, le Mali a signé des protocoles d’accords pour la gestion de la transhumance avec les pays voisins. Un Comité national de transhumance (Conat) a été créé pour la gestion des questions de transhumance interne et transfrontalière. Il existe également des commissions régionales et locales de conciliation sur la transhumance au niveau des régions et des cercles.

Également, le président de la Transition a pris l’initiative d’un nouveau projet dénommé Plan stratégique de stabilisation et de sécurisation du bétail malien. Ce plan s’étalera sur une période de 10 ans. Il instaurera les meilleures conditions pour un élevage performant, industrialisé en connexion avec la commercialisation et la consommation intérieure et extérieure du Mali.

N’Famoro KEITA

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