Le franc CFA a été crée à l’issue de la dernière guerre mondiale pour éviter d’imposer aux colonies françaises d’Afrique une dépréciation monétaire aussi importante qu’en Métropole, ce qui, estimait-on, aurait constitué une injustice. L’accroissement du pouvoir d’achat des détenteurs de francs CFA a facilité l’approvisionnement en produits importés à une époque où la production locale, notamment en matière agricole, n’aurait sans doute pas permis de faire face aux besoins d’une population urbaine en rapide expansion. Ce fut un facteur de paix sociale.
Après leur accession à l’indépendance, nos partenaires africains ont souhaité mettre résolument la monnaie et le crédit au service du développement. Il en est résulté une expansion considérable mais mal maîtrisée des crédits à l’économie. Les dépenses publiques n’ont pu, elles non plus, être raisonnablement contenues.
A partir de 1985, la dégradation de la conjoncture mondiale, la dépréciation du dollar par rapport au franc, l’explosion des arriérés de paiement publics et privés ont provoqué une illiquidité croissante du système et une dégradation du bilan des banques centrales. Face à cette situation, la Direction du Trésor avait, dès 1987, envisagé officieusement l’éventualité d’une dévaluation de 40% du franc CFA, mais pour l’écarter aussitôt, au motif qu’une telle mesure n’était pas justifiée par l’évolution des prix et qu’on ne pouvait en attendre aucun effet réellement positif au niveau de l’ajustement.
C’est l’inquiétante progression des transferts hors de la zone qui à conduit à la suspension des rachats de billets CFA par la Banque de France en août 1993 (ils atteignaient cette époque 1 milliard par jour), puis à la dévaluation de janvier 1994.
Quoique tardive, celle-ci a pleinement atteint ses objectifs. Les réserves de change ont été reconstituées, les équilibres fondamentaux ont été rétablis et les gains de compétitivité liés à la dévaluation n’ont pas, à ce jour, disparu, même s’ils ont tendance à s’amenuiser.
Le problème du développement n’en est pas pour autant résolu, ni celui de la pauvreté et le système monétaire actuel peut être apprécié sous divers aspects :
1. Les Unions monétaires
C’est le grand mérite de la coopération monétaire de les avoir suscitées et l’actuelle crise ivoirienne permet d’en mesurer tout l’intérêt. Elles ont permis de maintenir une étroite solidarité entre les Etats qui constituaient autrefois les Fédérations d’AOF et d’AEF et qui paraissent trop petits pour développer de façon autonome. Ils se sont engagés ensemble dans un processus d’intégration régionale porteur d‘avenir. C’est en particulier, le cas du Droit unifié des affaires (OHADA) dès à présent adopté par 16 Etats d’Afrique subsaharienne, que pourraient bientôt rejoindre d’autres partenaires. Une extension des Unions Monétaires peut aussi être envisagée, même si la taille de certains candidats potentiels pose problème.
2. Le financement des investissements
La reconstitution des avoirs extérieures des banques centrales, l’assainissement des établissements de crédit et l’importance de l’épargne disponible dans la zone permettrait, si les autorités monétaires en ont la volonté, de dégager d’importants moyens de financement d’investissements rentables, sans avoir à recourir à des bailleurs de fonds étrangers ni à supporter de risque de change. Avis aux promoteurs du NEPAD !
3. Les conséquences de l’adhésion de la France au Traité de Maastricht
L’adoption de l’Euro par la France n’a en rien modifié les accords de coopération monétaire qu’elle a souscrits avec ses partenaires, si ce n’est que la garantie de convertibilité du franc CFA est désormais exprimée en euros. Les pays africains de la Zone Franc n’ont pas adhéré au Traité de Maastricht et ne sont pas assujettis aux règles très strictes qu’il édicte, notamment en matière de déficit budgétaire. La parité du franc CFA demeure ajustable vis-à-vis de l’Euro comme elle était vis-à-vis du franc français et elle continue à relever des seules relations entre la France et ses partenaires africains, sans que la Banque centrale européenne ait à intervenir. Il lui suffit d’être informée.
Mais le rattachement du franc CFA à une seule monnaie (européenne) ne permet pas de prendre en compte les fluctuations du dollar US, monnaie dans laquelle est traitée une grande partie des échanges mondiaux. La poursuite de la baisse du cours du dollar, consécutive aux importants déficits américains, pourrait affecter la compétitivité de la zone CFA.
En conclusion, l’avenir de la coopération monétaire franco-africaine, comme toute coopération, aura fait la preuve de sa pleine efficacité lorsqu’elle cessera d’être nécessaire. Le moment n’est pas encore venu, mais l’objectif ne doit pas être perdu de vue.
Christian Joudiou, ancien Directeur général de la Banque des Etats d’Afrique Centrale
Economie :
Son fonctionnement en Afrique
Tout Africain a le sentiment de vivre aujourd’hui une époque de changement. Les façons de faire, de travailler, exigent que chacun s’adapte à de nouvelles conditions en se posant des questions. Les jeunes se demandent : quelle profession choisir, pour chercher du travail ?
Les paysans sont en quête de bonnes terres, de produits dont la culture leur permettrait de gagner convenablement leur vie. Les commerçants cherchent une clientèle. Ceux qui ont de l’argent hésitent entre une dépense immédiate et une économie (épargne), puis en ce qui concerne les fonds épargnés, entre leur thésaurisation et leur investissement (c’est-à-dire leur placement en une activité productrice). Les chômeurs cherchent un travail soit en restant dans leur région soit en émigrant vers les villes ou à l’étranger. De même, les autorités responsables, les fonctionnaires, les membres du gouvernement doivent se soucier des problèmes collectifs. Comment augmenter les ressources de l’Etat afin d’ouvrir des écoles, des hôpitaux, ou de construire des routes ? Que faire pour diversifier la production, l’organiser, diminuer le chômage, combattre l’inflation, réduire les appels aux capitaux étrangers ? Tout le monde s’intéresse aux réponses à ces questions, aux décisions soit individuelles, soit collectives prises en conséquence. Comment apprécier les avantages et les inconvénients des unes ou des autres, si on n’a pas une idée de l’économie ? Il est donc indispensable que chaque citoyen soit en mesure de comprendre les principes élémentaires de fonctionnement de l’économie de son pays. Dans un essai de prospective sur l’Afrique en 2025, mené par Futurs africains, au sein du PNUD et publié par Karthala en 2003, plus de mille Africains originaires de 46 pays se sont penchés sur la question des devenirs possibles du continent. Ce travail aboutit à la conclusion que même si l’état des lieux de la situation actuelle en Afrique dresse un constat désastreux, les Africains sont aujourd’hui en train de se réapproprier leur histoire et leur destin. La question est bien sûr de savoir comment évoluera le continent d’ici là. Certes, les scénarios pour 2025 dépendent de quelques données internationales que l’Afrique ne maitrise pas :
– l’évolution du prix des matières premières ;
– l’ampleur des financements octroyés par la communauté internationale et notamment le règlement de la question de la dette ;
– l’adoption ou non de plans de développement globaux ;
– la croissance ou, au contraire, la récession des pays développés et des pays émergents, qui forment les principaux acheteurs des produits africains ;
– et, bien sûr, la question, qui est étroitement liée à ce dernier point, de savoir si l’Afrique pourra continuer de bénéficier d’un traitement de faveur dans les relations commerciales internationales (Accords de Cotonou, système généralisé de préférences, accord « tout sauf les armes », AGOA…), alors que l’OMC prévoit à terme la disparition de tous les régimes dérogatoires. Or, la vulnérabilité africaine explique que le continent ait absolument besoin de continuer à bénéficier de traitements préférentiels, sous peine d’être définitivement distancé dans la compétition économique mondiale.
Brin COULIBALY