Dans un rapport de 24 pages, intitulé «la chute d’un chouchou des bailleurs et le rôle de l’aide dans la crise malienne», madame Isaline Bergamaschi, Professeure assistante, Département de science politique, Universidad de los Andes, Faculté des Sciences Sociales, Bogota en Colombie offre une perspective d’économie politique sur la crise malienne en mettant l’accent sur l’aide et les pratiques des bailleurs. Ce rapport montre également commet l’aide a consolidé un régime qui était devenu de plus en plus discrédité, de telle sorte que l’aide et les bailleurs (volontairement ou non), ont contribué à créer le contexte de fragilité d’avant 2012.
En effet, ce rapport introduit que 21 mars 2012, dans un contexte de confusion, l’équipe des experts du Fonds Monétaire International (en mission au Mali) a été capturée par des soldats à l’hôtel de l’Amitié, en plein centre de Bamako, à l’occasion de ce qui s’est révélé être un coup d’Etat militaire qui a renversé le Président Amadou Toumani Touré.
Comment les bailleurs ont soutenu la stratégie d’ATT au Nord ?
Les bailleurs ont volontairement ou non soutenu la stratégie de gestion du conflit définie par ATT, qui mêlait décentralisation imparfaite, laissez-faire, achat de soutiens politiques et, de manière significative après 2010, militarisation.
Ce rapport avoue qu’au crédit des bailleurs, l’aide a soutenu la politique de décentralisation que le gouvernement était réticent à financer. Elle pouvait donc potentiellement contribuer utilement à la paix car une plus grande autonomie est une revendication ancienne des leaders du Nord depuis des décennies, en même temps qu’elle était considérée par le gouvernement comme un moyen d’acheter l’apaisement de la menace touareg après la rébellion de 1991. Mais l’engagement a conduit les administrations locales et les projets à s’aligner sur les priorités, conceptions et procédures des bailleurs de fonds, particulièrement celles de l’Union Européenne. Lancée avec un élan endogène très vigoureux dans les premières années 1990, la décentralisation est progressivement devenue un processus technocratique, piloté par les bailleurs, en même temps que les contraintes et procédures des agences empêchaient le décaissement effectif des fonds de l’aide en temps voulu.
Dans les années 2000, les bailleurs traditionnels ont été moins actifs et moins présents dans le Nord. Du fait de la tension croissante entre le gouvernement et les groupes armés touareg, du narcotrafic et de la prise d’otages occidentaux, les agences d’aide ont évacué leurs agents, suspendu beaucoup de leurs projets, ou les supervisaient depuis Bamako. Pour des raisons de sécurité, de rentabilité ou de manque de courage institutionnel (pour la Commission Européenne), les nouvelles routes n’ont pas pu être construites et les anciennes ne furent pas réparées, alors même qu’elles auraient aidé à mieux connecter le Nord au reste du pays. Les ONG, les églises, les associations et organismes de coopération décentralisée entre régions ou villes poursuivirent quelques projets, mais souvent avec des moyens limités et une faible planification.
Des coopérants ayant travaillé dans des programmes de développement au Nord estiment que l’argent de l’aide ne manquait pas dans cette région. Mais ils assurent que cet argent a été mal utilisé et instrumentalisé dans la politique tant locale que nationale. Après la sécheresse de la fin des années 1970, le gouvernement central avait systématiquement filtré et limité l’allocation d’aide au Nord. Plus récemment, ATT avait tissé des réseaux d’influence et de clientélisme avec certains leaders locaux. Dans les communes du Nord, la sélection des projets, des partenaires ou des agences d’exécution était sujette à des arrangements frauduleux entre entités publiques et entreprises privées aux dépens de la population récipiendaire. Les femmes, les jeunes ou les groupes moins rompus au discours du développement et à l’art des montages politiques n’étaient pas en mesure de voir leurs projets financés.
Toujours selon ce rapport, lorsque les bailleurs se retirèrent du Nord, le filtrage et la sélection de l’aide par la capitale devint encore plus facile. L’Agence de Développement du Nord Mali, créée en 2005, ne fit rien d’autre qu’appliquer la politique du gouvernement, c’est-à-dire l’achat clientéliste de segments des élites du Nord. Ainsi l’aide a nourri une gouvernance de type mafieux, fondée sur de lâches réseaux de patronage et d’alliances personnelles. Les autorités du Mali et du Niger ont accusé ATT d’avoir laissé les leaders armés prospérer et gouverner les régions sahéliennes du pays. Ils lui ont aussi reproché d’avoir un accord avec AQMI pour faciliter la libération des otages étrangers et finalement de n’avoir pas négocié avec les soldats revenant de Libye un désarmement préalable et/ou un accord politique.
En outre, la crise malienne a suivi dix années de programmes américains de contre-terrorisme, au titre desquels le Mali a reçu des millions de dollars, essentiellement sous forme de formation militaire et d’équipements. L’incapacité de l’armée malienne à résister aux attaques des groupes armés entre 2011 et 2013 a jeté quelques doutes sur l’efficacité de ces programmes, tout comme le fait que le capitaine Sanogo ait suivi une formation militaire aux Etats-Unis. Et la corruption des généraux de haut rang était un grief central des putschistes et de leurs supporters dans les rangs inférieurs et intermédiaires de l’armée. Ainsi non seulement la stratégie d’ATT a échoué à acheter la paix sociale au Nord, mais au contraire, elle a attisé des frustrations dans la population et nourri des tensions avec le gouvernement central, tout en aggravant les rivalités entre les nouveaux barons. Rétrospectivement, la marche des mères et femmes de soldats sur le Palais Présidentiel pour demander des moyens supplémentaires pour les troupes, le 2 février 2012, est apparue comme le point culminant de cette stratégie malencontreuse et un signe précurseur du coup d’Etat.
Comment l’aide budgétaire a alimenté le consensus ?
L’aide attribuée sous forme d’appui budgétaire a servi à consolider la politique de consensus et de mauvaise gouvernance, deux caractéristiques du régime d’ATT, une politique dont est né le mécontentement populaire à l’égard du “système” et de la classe politique dans son ensemble.
D’après les analyses, le coup d’Etat de mars 2012 s’est présenté comme un “coup de sauvegarde visant à sauver l’Etat des errements d’une gestion civile désastreuse. Les auteurs du putsch prétendaient que les militaires étaient entrés en action dans le but de sauver ce qui restait de la République. Bien qu’impréparé, le coup d’Etat reflétait certainement une insatisfaction profonde et largement partagée vis-à-vis du régime d’ATT.
Le consensus était faiblement structuré sur le plan idéologique. Il n’était pas fondé sur une vision commune ou un projet, mais sur un compromis fragile entre des forces politiques contradictoires dont le seul but commun était de partager le pouvoir. Il est largement suspecté d’avoir nourri la corruption, parce qu’il exigeait une redistribution permanente des postes et des ressources entre les membres de la fragile coalition.
Or l’aide, notamment lorsqu’elle prenait la forme d’appui budgétaire, c’est-à-dire passait directement dans le budget national, a alimenté cette politique consensuelle. Elle a fourni les ressources financières qui permettaient au consensus et à ses alliances instables de perdurer, dans un contexte où les partis politiques traitaient les ministères comme leur propriété. En dépit de leurs systèmes sophistiqués de suivi, les bailleurs n’avaient pas grand contrôle sur les utilisations de l’appui budgétaire. En outre, les mesures contre la corruption n’ont pas suffi à garantir la transparence et l’efficacité de la dépense publique.
Pourtant, l’ère de la démocratisation a incontestablement engendré une amélioration des conditions socio-économiques. Grâce aux programmes gouvernementaux et à l’aide, le taux de pauvreté absolue a diminué de 72,8 % en 1989 à 64,4 % en 2006 sur l’ensemble du pays, même si le progrès a été inégal : en effet le taux a diminué de façon spectaculaire dans les zones urbaines, pour y atteindre 31,8 %, mais il est resté élevé et stable (de 80,6 à 79,05 %) dans les zones rurales sur la même période.
En somme, pour ce rapport une évaluation critique de l’aide au Mali est nécessaire. Si l’élite dirigeante et les bailleurs ne changent pas significativement les termes de leur partenariat, le même processus politique pervers pourrait à nouveau se développer avec l’appui international. Certains représentants des bailleurs reconnaissaient que la crise de 2012 les avait pris par surprise, et avait constitué un vrai choc.
Notons que le coup d’Etat a entrainé une suspension presque totale des fonds d’aide. Pendant le retrait des bailleurs, à partir du 31 octobre 2012, certains coopérants et diplomates se sont reprochés d’avoir été trop “accommodants” et par là de porter une part de responsabilité dans la tournure des évènements.
Dieudonné Tembely
Encadré
Les trois plus fortes conditionnalités que les bailleurs ont attachées à leur aide dans les dernières décennies se sont concentrées sur des questions controversées et extrêmement sensibles
D’abord, dans les années 2000, la Banque Mondiale a fait pression sur le gouvernement pour qu’il privatise la Compagnie Malienne des Textiles (CMDT), une société para-étatique organisant la production de coton depuis l’indépendance.
En second lieu, à partir de 2009, les bailleurs nordiques, l’Union Européenne et le Canada ont poussé pour la modernisation du code de la famille du Mali dans le but d’améliorer les relations de genre et les droits des femmes.
En troisième lieu, la question des accords de ré-admission et de co-gestion des flux migratoires internationaux a été également problématique. Le Président français intima à
plusieurs reprises à ATT de faciliter l’identification et l’expulsion vers le Mali des migrants résidant de manière illégale en France.
Encadre 2
Pendant longtemps, le Mali n’a pas été un pays d’intérêt pour la discipline des relations internationales. Mais récemment la sécurisation du Sahel a attiré l’attention, principalement par le biais des politiques étrangères de l’Union Européenne et des Etats-Unis . D’autres recherches ont souligné la contribution d’acteurs régionaux dans la médiation et dans les négociations de paix, et sur les conséquences de la crise malienne.
C’est quoi la balance commerciale ?
La balance commerciale est la différence, en termes de valeur monétaire, entre les exportations et les importations de biens ou de biens et services (dépend du pays) dans une économie sur une période donnée. On parle aussi de solde commercial.
La balance commerciale d’un État est l’élément de comptabilité nationale qui répertorie et résume ses exportations et importations de biens, et de services marchands (on parle de la balance des biens et services). Toutefois, dans certaines nomenclatures, le terme de balance commerciale est limité aux échanges de biens, hors services.
Les biens et services marchands peuvent comprendre : biens manufacturés, matières premières, produits agricoles (tous inclus dans la balance commerciale), voyages et transport, tourisme, prestations de sociétés de service et de conseil (parfois exclus), etc.
Le solde de la balance commerciale est la différence entre les valeurs des exportations et des importations de biens et de services. Une balance commerciale positive signifie que le pays exporte plus de biens et services qu’il n’en importe : on parle alors d’« excédent commercial » ou de « balance excédentaire ». Quand elle est négative, on parle de « déficit commercial ».
La mesure de la balance commerciale peut être problématique, cela est dû à la difficulté de l’enregistrement de l’ensemble des données commerciales. Une illustration de ce problème est la suivante : quand l’ensemble des déficits et excédents commerciaux sont additionnés, il apparaît que le monde enregistre un excédent commercial avec lui-même, de quelques points. Cela ne peut être le cas, car l’ensemble des transactions correspondent soit à un crédit soit à un débit dans le compte de chaque pays et doivent de ce fait s’équilibrer. Une explication à ce phénomène peut résider dans les transactions pour laver l’argent sale, ou d’autres problèmes encore.
Les facteurs qui peuvent influencer la balance commerciale sont entre autres les taux de changes ; la compétitivité des entreprises ; les traités de libre-échange ; les droits de douanes ; les barrières non tarifaires à la douane ; les délocalisations ou à l’inverse les relocalisations des entreprises nationales.
Un échange commercial est mutuellement profitable aux partenaires, et implique un enrichissement pour les deux ; les mots « excédent » et « déficit » sont donc inappropriés dans la mesure où ils sous-entendent respectivement un enrichissement et un appauvrissement. Ils sont apparus dans le cadre du mercantilisme, doctrine selon laquelle il est préférable d’exporter des biens (acquisition de monnaie contre des biens) plutôt que d’en importer. Ils ont subsisté par tradition et par persistance de la doctrine mercantiliste.
Si ni l’excédent ni le déficit commercial ne sont dangereux pour une économie nationale, ils peuvent cependant être le signe et la cause d’autres problèmes économiques (en cas de déficit : faiblesse de l’industrie, surévaluation de la monnaie favorisant les biens importés par rapport à la production indigène ; ou, inversement en cas d’excédent, sous-consommation ou sous-évaluation de la monnaie permettant aux étrangers d’acheter à bas prix l’outil industriel du pays).
Pour évaluer la situation d’un pays par rapport au reste du monde (évolution de l’épargne et de l’endettement, part de capital détenue par l’étranger ou au contraire à l’étranger…), la balance commerciale ne suffit pas : elle est une composante de la balance courante, elle-même partie de la balance des paiements. Ainsi par exemple un pays très touristique peut avoir une balance commerciale déficitaire et une balance courante positive (si les dépenses des touristes payent plus que l’excès d’importations sur les exportations).
Dieudonné Tembely
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