Économie et finance : Accords commerciaux internationaux : les perspectives de la souveraineté alimentaire au Mali

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Au Mali, la libéralisation de la filière riz n’a pas produit les effets escomptés car elle n’assure aucune protection à la production locale, surtout avec l’application du Tarif extérieur commun (TEC) imposé depuis 2002 par le Programme d’ajustement structurel (PAS). Ainsi, la loi sur le riz brisé a été abrogée, laissant le riz local en concurrence directe avec le riz importé.

Cette situation de libéralisme rend la production locale vulnérable et moins compétitive sur le marché national face à la concurrence déloyale des importations d’excédents à des prix subventionnés par les pays développés. Cette pratique condamne l’agriculture malienne à la pauvreté. Aussi, le démantèlement des offices nationaux de commercialisation par les programmes d’ajustement du FMI et de la Banque mondiale n’a pas produit les résultats attendus. La libéralisation a échoué car elle ne s’est pas accompagnée d’une stratégie de développement permettant le maintien des aspects positifs de ces offices. Par ailleurs, en instaurant la TVA sur les importations d’intrants et d’équipements agricoles, la politique rizicole a renchéri les coûts supportés par le producteur. Le surcoût a été répercuté sur le prix de vente, diminuant ainsi la compétitivité du riz local. Dans cette dynamique, les petits agriculteurs sont devenus les acteurs les plus défavorisés et les plus mal protégés sur les marchés mondiaux et totalement abandonnés par les pouvoirs publics. Les jeux d’acteurs et les logiques en place au sein de l’UEMOA limitent la convergence autour d’accords régionaux communs, eu égard au fait que les pays intégrés au sein de l’espace régional peuvent avoir des relations plus tenues avec des voisins hors union et peuvent développer des politiques ou des stratégies souvent contradictoires vis-à-vis d’un produit agricole. C’est ce qui explique le comportement de certains pays côtiers (Gambie, Bénin, Togo…) qui consiste à importer du riz et à le réexporter vers les pays « intérieurs » au détriment de la production locale. Cette liberté de libre échange est l’une des causes essentielles de l’instabilité du marché national et régional et de la pauvreté des petits agriculteurs. L’accord agricole a entraîné des réductions tarifaires à l’entrée des pays développés, mais leur application est limitée car d’importantes restrictions en matière d’accès subsistent. Les normes sanitaires et phytosanitaires, et  des obstacles techniques au commerce mettent très souvent en difficulté les pays en développement. Les accords commerciaux militent en faveur de l’instauration d’un commerce injuste, inhumain et non équitable, avec ses cortèges de malheur, de pauvreté et d’exploitation de l’homme par l’homme. Comment alors parvenir à la souveraineté alimentaire ?

Conditions de sauvegarde de la souveraineté alimentaire

Au regard aux enjeux des accords agricoles pour l’atteinte de la souveraineté alimentaire, il faut  contribuer, entre autres, à la stabilité de la production par la maîtrise de l’eau (cultures pluviales soumises aux aléas climatiques) , à la facilitation de l’accès aux intrants et équipements agricoles par la mise en place d’un dispositif de crédit adapté, tout en multipliant les aménagements hydro-agricoles afin de permettre une extension des superficies cultivables au détriment de petites superficies de l’ordre 4,5 ha par exploitation familiale. Mieux, l’Etat doit instaurer un Code rural afin de protéger les terres de culture contre le lotissement abusif des terres à usage d’habitation par les mairies. La redéfinition d’une politique agricole implique les acteurs du monde rural et les accompagne dans la pratique de leur vision. Cette nouvelle politique ne doit pas être menée par les experts étrangers. La redéfinition des projets de développement  doit associer les vrais acteurs à la définition, à l’élaboration et la mise en œuvre des nouveaux projets.
La protection de l’agriculture malienne vis-à-vis des importations en provenance de l’extérieur et de la sous-région ne devrait pas être négligée. Cette stratégie contribuera ainsi à assurer la souveraineté alimentaire du Mali et de la sous-région tout en instaurant  des taxes d’importation sur les céréales de manière à rendre la production locale concurrentielle.

L’alternative pourrait être imposée aux importateurs d’écouler une partie de la production vers les zones déficitaires. Cela permettra de doter rapidement l’exploitation familiale d’un statut juridique afin que les agriculteurs bénéficient de l’exonération fiscale pour les intrants et les matériels agricoles avec, à l’appui, l’accord de subventions aux petites exploitations familiales pour leur permette un seuil de viabilité économique. Ensuite, il faut soutenir et protéger les marchés intérieurs en vue de défendre l’agriculture malienne, tant au niveau national que sous-régional, pour réhabiliter nos produits, favoriser les filières de transformation locale et modifier les habitudes de consommation orientée vers les produits importés. A l’intérieur du Mali, il faudra prendre des mesures individuelles ou collectives adéquates pour que l’aide alimentaire ne soit ni un moyen d’écoulement des excédents des produits subventionnés des agriculteurs des pays développés, ni l’occasion d’introduire des Organismes génétiquement modifiés (OGM) au risque de renforcer la dépendance économique des agriculteurs maliens vis-à-vis des firmes internationales qui les produisent. Par contre, notre pays devra accepter de se battre pour la suppression totale des mesures de soutien interne et des subventions à l’exportation pratiquées par les pays développés et qui engendrent de graves distorsions sur le commerce de nos produits agricoles et alimentaires. En même temps, on doit réorganiser la commercialisation des céréales locales par l’établissement d’institutions et de mécanismes adaptés afin de pouvoir donner une formation aux ruraux et leur permettre de participer à la définition et la formulation des politiques agricoles au bénéfice de véritables programmes de développement. Depuis l’instauration de la démocratie au Mali, on constate une volonté affirmée de nos dirigeants en faveur de l’élaboration de politiques agricoles nationales et à l’échelle régionale. La Loi d’orientation agricole (LOA) en est un exemple. Les reformes au niveau de la riziculture au Mali montrent également le souci des pouvoirs publics d’harmoniser les politiques agricoles de notre pays. Mais ces politiques sont très ouvertes à la concurrence et ne sont pas adaptées à la réalité nationale car on met très souvent en avant  les préoccupations liées aux règles internationales au lieu de s’occuper des problèmes de modernisation de l’agriculture familiale et de répondre aux priorités les plus importantes de nos petits agriculteurs.

Dans le contexte malien, pour la sauvegarde de la souveraineté alimentaire, l’exploitation familiale semble être l’outil le plus efficace et le plus précieux car elle place l’homme et la famille en position centrale du processus de décision. Aussi prône-t-elle une diversification des cultures au détriment de l’approche filière qui privilégie la promotion d’une culture dite de rente. Chaque fois qu’une agriculture au Mali est orientée vers la promotion des filières exportation, c’est la catastrophe car très souvent, la garantie de la souveraineté alimentaire va au détriment de la production céréalière. Dans notre pays, les défenseurs des thèses néolibérales font l’apologie de la spécialisation en agriculture en espérant sa modernisation. Ils vont jusqu’à en faire la principale condition de la professionnalisation des producteurs en lui attribuant le terme « filière », alors que le concept n’a de signification que s’il est compris comme un moyen d’analyse et non comme un mode de production. L’exploitation familiale met l’humain en position centrale : la famille, cellule de base de la société, et chacune de ses composantes, hommes, femmes, et enfants. Le marché est un moyen, parmi tant d’autres, de faciliter son épanouissement et non l’inverse. Ce que refuse la famille paysanne, c’est de n’être considérée que comme un vulgaire marché où l’on viendrait placer du crédit, des intrants et des formations à un client anonyme.  Cependant, pour asseoir une sécurité alimentaire durable, l’une des conditions serait de  développer des cultures dites alternatives capables d’assurer un revenu potentiel aux producteurs sur son marché. Si la bataille de la disponibilité est en train d’être gagnée au Mali, le combat de l’accessibilité physique et économique de tous les Maliens à cette disponibilité doit être intensifié.

Jean Pierre James

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