Dr. Etienne Fakaba Sissoko sur la situation économique actuelle du Mali : « L’Etat vit au dessus de ses moyens »

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Dr. Etienne Fakaba Sissoko

Dans cet entretien qu’il a bien voulu nous accorder, le Dr. Etienne Fakaba Sissoko, parle entre autres de la situation économique du Mali, des relations confuses qui existent entre le Mali et les PTF, du bilan économique du Président IBK un an après son investiture, de l’achat de l’avion présidentiel sur le Budget Spécial d’Investissement.

 

InfoSept : Pouvez-vous nous faire une analyse de la situation économique du Mali ?

Etienne F. Sissoko : nous sommes dans une situation qui est assez particulière. Nous venons de sortir d’une crise assez particulière, une crise politique et institutionnelle assez difficile pour notre pays et la reprise économique se fait petit à petit. Comme situation économique, aujourd’hui nous avons un manque à gagner au niveau de l’Etat qui a été occasionné par les différentes crises que nous avons connu en 2012 et dont les séquelles ont continué en 2013 avec une embargo qui a rendu considérablement les biens et services que nous avons dans notre pays.

 

Donc, à tout cela, il faut greffer le budget que nous avons, parce que ce budget reste exorbitant, énorme et qui a été rectifié par l’Assemblée Nationale à la hausse pour justement prendre en compte quelques irrégularités qui ont été signalées dans l’exécution de ce budget. Aujourd’hui, on a un budget qui est au dessus de nos moyens, ce qui fait qu’il des problèmes à ce niveau.

 

La deuxième chose est le train de vie de l’Etat dans la mesure où l’Etat vit au dessus de ses moyens. Parce que par cette crise, on a pensé qu’il était nécessaire de procéder à une rationalisation de nos dépenses pour pouvoir couvrir le manque à gagner. Mais, paradoxalement, les dépenses de l’Etat continuent à s’accélérer en s’accentuant. Et, au même moment les entrées d’argent se font rares avec le retrait des bailleurs de fonds et des PTF. A cela il faut ajouter les problèmes quotidiens que nous vivons comme le chômage des jeunes, la faiblesse du pouvoir d’achat, la crise sociale qui continue à s’accentuer avec la grève des deux jours de l’UNTM qui dénote d’une crispation véritable de la situation politique et économique de notre pays. Donc, aujourd’hui, la situation économique est vraiment alarmante et désastreuse et il y a lieu de se ressaisir pour sortir de cette crise.

 

 

InfoSept : Un an après l’investiture du Président, quelles lectures économiques faites-vous de ses 365 jours au pouvoir ?

Etienne F. Sissoko : La lecture que je fais est qu’il y a un décalage énorme entre l’orientation politique et économique que nous prendre et les faits de nos gouvernants. Aujourd’hui, on se demande si IBK et son gouvernement ont vraiment une vision économique du pays. Parce que, il y a un réel problème au niveau de la priorisation de ce que le peuple attend de ce gouvernement. Il y a ce qu’on appelle communément la crise mais qui en réalité qui touche l’ensemble du peuple malien et cette crise est la priorité est la priorité. Et la deuxième chose que nous pouvons dire c’est que cette crise menace le Mali dans son essence et que cette crise touche l’ensemble du secteur économique de notre pays. Donc, le principal défi que le Président IBK avait c’état de faire en sorte qu’au delà de cette crise qu’il arrive justement à donner au Mali une réorientation économique qui peut le permettre de sortir de ce marasme. Mais, il est regrettable de constater aujourd’hui que cela soit dans le domaine de l’éducation, de la sécurité, de la lutte contre la corruption et dans tous les secteurs sociaux de bases, force est de constater que le Mali est à la traine faute d’orientation économique, de programmes du Président de la République et faute également d’hommes d’Etat pour amener le pays à bon port.

 

Et, ce n’est pas surprenant que nous soyons à ce stade là parce que les hommes qui composent le gouvernement ne sont pas à la hauteur du défi qui attend le peuple malien. Les hommes qui sont au pouvoir ont trempé dans tous les mauvais coups de ce pays. Et, aujourd’hui c’est à eux qu’on confie encore de relever et de sortir le pays d’un trou que eux-mêmes ont contribué à créer. Nous sommes face à cela et un an après, il est regrettable de constater que le Mali a perdu sur toute la ligne. Dans la mesure où nous avons perdu du point de vue de notre intégrité, de notre aura sur la scène internationale, du pouvoir d’achat du malien et même notre dignité. Donc, aujourd’hui, un an après beaucoup de gens regrettent véritablement d’avoir choisi IBK comme Président de la République. C’est une réalité et on sait pertinemment que cela ne peut pas continuer. Les gens ne nous font pas confiance et nous-mêmes nous ne nous faisons pas confiance parce que simplement nous avons des médiocres qui dirigent notre pays.

 

 

InfoSept : Justifiez-vous économiquement l’achat de l’avion présidentiel sur le Budget Spécial d’Investissement ?

Etienne F. Sissoko : Non, il y a un problème au niveau de l’achat de cet avion. D’abord en termes de priorités, le Mali sort d’une crise et au regard de cette crise, l’achat d’un avion (bien que tant légitime sous d’autres cieux), dans le contexte du Mali, n’avait pas sa raison d’être. Economiquement, on était sous perfusion financière des bailleurs de fonds. Aujourd’hui, acheter un avion au moment où les gens meurent de faim, des gens ont un pouvoir d’achat très bas, je dis que c’est une insulte vis-à-vis du peuple malien et des PTF qui nous entretiennent et qui continuent de nous entretenir malheureusement et c’est dommage et nous soyons là. La justification ne peut se trouver nul part. ni en terme de légitimité, ni économiquement, l’achat de cet avion ne peut se justifier, c’est réel gâchis pour notre pays.

 

InfoSept : Que pensez-vous de la situation d’imbroglio dans les relations qui existent entre le Mali et les PTF ?

Etienne F. Sissoko : Aujourd’hui, les partenaires techniques et financiers sont dans leur droit dans la mesure où le bras qui te nourrir a un droit de regard sur ta façon de gérer les choses qu’il te confie. On avait un avion (malgré les difficultés qu’il avait) et on achète un autre qui a visiblement de très sérieux problèmes tant au niveau de l’immatriculation et tant au niveau du coût d’acquisition de l’avion, on n’a pas suffisamment d’informations. Mais ce qui vraiment créer le problème, c’est au niveau des procédures qui n’ont pas été respectées.

 

Donc, aujourd’hui, les bailleurs de fonds ayant mis à la disposition du Mali une partie des fonds qui avaient été récoltés dans le cadre de la reconstruction du pays et c’est au même moment que le Mali se donne le droit d’acheter un avion. Là, les bailleurs ont demandé des comptes au Mali et c’est tout fait normal. Suite au fait que le gouvernement a été incapable de fournir la documentation complète sur l’acquisition de cet avion et c’est ce qui a créée des problèmes. Donc, il y a urgence que nous puisons voir dans quelle mesure on peut créer pour aller vers une prise en charge de nos dépenses les plus vitales.

 

 

InfoSept : Alors, les PTF ont le droit d’imposer des priorités à un Etat souverain ?

Etienne F. Sissoko : Non ! Les partenaires n’ont pas le droit d’imposer des choix, ce n’est pas cela la question. Aujourd’hui, que cela soit les Instituions de Bretons Wood avec la BM et le FMI ou les autres PTF, et avec l’accord signé avec les pays en voie de développement qu’on a appelé le Club de Paris, il est question d’harmoniser les interventions de ces partenaires, qu’ils s’alignent sur les priorités des pays en question et qu’ils se consultent entre eux pour ne pas intervenir différemment dans les mêmes secteurs dans le même pays. Donc, aujourd’hui, il y a tout un arsenal juridique qui existe entre nos pays et ces partenaires. Mais, là où il y a le problème, c’est au niveau de la bonne gouvernance, c’est-à-dire que l’argent du contribuable et des bailleurs soit bien géré.

 

J’ai un très mauvais regard sur le partenariat qui existe entre nous et ces partenaires, mais il faut reconnaître aujourd’hui qu’ils sont dans leur droit de demander des comptes à l’Etat malien chaque fois que ces questions touchent à la bonne gouvernance. Donc, il y a visiblement un réseau mafieux qui a accompagné l’acquisition de l’avion présidentiel que même les maliens avaient demandé avant que les PTF n’entrent dans la danse. Et aujourd’hui, il faut que le gouvernement arrive à fournir les documents de l’avion aux maliens et aux PTF pour permettre une reprise de notre économie.

 

 

InfoSept : Quelles solutions économiques pour un Mali émergent ?

Etienne F. Sissoko : Aujourd’hui, il y a d’abord des priorités que nous avons comme l’intégrité de notre territoire, comment faire en sorte que la cohésion sociale qui était notre force d’antan revienne, comment faire en sorte qu’après les négociations qui sont en cours à Alger le Mali retrouve se vitalité économique. Et, il est clair que la situation de crise que nous vivons nous impose de réduire notre train de vie qui passe par une prise en conscience de nos autorités de la nécessité de réduire un temps soit peu leurs train de vie pour permettre au Mali d’avancer.

 

Après la réduction du train de vie de l’Etat, il y a une nécessité aujourd’hui de rationaliser le budget dans la mesure où n’importe quel secteur du budget de l’Etat que vous prenez, vous constaterez qu’il y a des problèmes. Il y a beaucoup d’argent qui sont injecté dans des secteurs qui n’ont pas lieu d’être. Quand vous prenez par exemple le domaine de la téléphonie, aujourd’hui, nous sommes à plus de 40 milliards de coût d’internet et de téléphone. C’est vrai on ne peut pas aujourd’hui fonctionner sans internet et téléphones, mais il faut les rationaliser.

 

Quand vous prenez les caisses de souveraineté de l’Etat qui sont officiellement de l’ordre de 20 milliards pour la Présidence, dépassent les 10 milliards pour la Primature et idem pour l’Assemblée Nationale.

 

Donc, aujourd’hui, on peut faire des réductions de ses budgets. Et, au regard de la situation crise, réduire considérablement ces volets budgétaires.

 

Aussi, vous prenez le domaine de l’habitat où il y a d’énormes dépenses qui sont effectuées dont on peut s’en passer.

Quand vous voyez la configuration de notre Administration, des départements, il y a énormément de démembrements (plus de 400) de l’administration, mais pour quelle efficacité. Pour qu’on soit efficace, il faut réduire ces différents volets de l’administration qui demandent des fonds de fonctionnement dont l’efficacité a du mal à être vu sur le terrain.

 

Il faut ensuite et au delà voir dans quelle mesure nous pouvons faire des investissements. Parce qu’après le retrait des partenaires, le problème qui se posera s’est comment relancer l’économie. Or nous n’avions qu’à l’époque deux possibilités à savoir faire de gros investissements ou relancer l’économie à travers la consommation des ménages. Aujourd’hui, il se trouve que nous n’avons pas la première possibilité, dans la mesure où les bailleurs se son retirés. Alors, il faut revaloriser le salaire des fonctionnaires qui sont les ménages. On peut aller au delà en créant une banque publique d’investissement qui demanderait à des opérateurs économiques ou citoyens de souscrire volontairement aux différentes obligations qui vont être émises par cette banque.

 

Tout cela ne peut se faire que si on a une volonté politique affichée et des cadres compétents pour la cause. C’est tout cela qui nous fait défaut aujourd’hui. Si vous prenez la configuration de notre gouvernement, vous vous rendez compte que pour un pays en crise c’est un gouvernement exorbitant. L’effectif est pléthorique et pour quel résultat.

Il y a une autre façon de revoir ces différents aspects, simplement en essayant d’aller vers ce que beaucoup de pays font actuellement, notamment au Canada et qui est la gestion axée sur les résultats en nous fixant des objectifs.

 

 

 

InfoSept : Alors Dr. Sissoko, peut-on dire aujourd’hui que IBK est un Président qui coûte cher aux Maliens ?

Etienne F. Sissoko : En tout cas ce que nous avons pu voir depuis son investiture jusqu’à maintenant, laisse présager que le Président a des d’énormes difficultés, il ne mesure les enjeux auxquels nous avons à faire. Il n’a pas les instruments et les hommes nécessaires pour faire sortir le Mali de cette crise. Lui-même, il n’est pas à la hauteur de l’espoir que les Maliens avaient placé en lui. Ce qui énerve d’avantage c’est surtout cette propension qu’il a à faire des dépenses inutiles comme la rénovation du palais qui nous as coûté plus de 3 milliards, la rénovation de son domicile qui nous coûté aussi des montants qu’on ne saurait qualifié. L’achat de l’avion présidentiel, d’un hélicoptère qu’il aurait payé et d’une voiture qu’il aurait payé aussi à plus de 600 millions, en tout cas moi aujourd’hui je m’interroge si les Maliens ont bien fait de choisir IBK comme Président de la République.

J’espère qu’il va se ressaisir et mesurer tous les enjeux qui sont dans notre pays actuellement, qu’il va se préoccuper plutôt du sort des Maliens que de sa propre personne et de sa famille et qu’aujourd’hui, nous allons amorcer un processus de relance de notre économie qui pourra permettre aux travailleurs et à l’ensemble du peuple malien de sortir victorieux de cette crise multidimensionnelle que nous avons connu.

Propos recueillis Par Dieudonné Tembely  (Source Infosept)            

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