Relève des douaniers de Sikasso : Guantanamo ou Eldorado ?

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Moumouni Dembele
Moumouni Dembele

Les agents des douanes de la région de Sikasso vivent dans une expectative angoisse. A quelques jours du mouvement de relève, ils sont sur des charbons ardents, ne sachant pas encore s’ils iront en enfer ou au paradis.

 

Le vendredi 23 mai, les agents des douanes de la région de Sikasso, à l’issue de la semaine la plus angoissante de ces trois derniers mois, seront fixés sur leur sort. Ce jour, autant attendu que redouté par tous ou presque, ils sauront où est ce qu’ils passeront le prochain trimestre, et dans quelles conditions. Selon une pratique établie, ils doivent effectuer un séjour de trois mois à leur poste, la relève devant se faire chaque trimestre suivant une certaine rotation.

 

Cette angoisse, ces agents la vivent périodiquement depuis la nomination d’Ag Boya comme directeur régional des douanes. Si cette rotation est nécessaire et obligatoire, selon plusieurs douaniers, ce sont les conditions dans lesquelles elle se fait qui sont mises en cause.

 

 

Aux dires de certains, en effet, la relève se ferait selon des critères propres au directeur régional et au petit cercle d’affidés qu’il  a constitué autour de lui. M. Ag Boya aurait choisi la politique de la carotte ou du bâton : les postes Eldorado et les goulags Guantanamo. Les premiers, les plus enviés, seraient le privilège, la récompense des agents qui auraient fait allégeance au chef, c’est-à-dire ses parents, amis et protégés. Eux seraient affectés aux postes frontaliers ouverts sur la Côte d’Ivoire ou le Burkina Faso, pays d’intenses échanges avec le Mali. Quant aux seconds, les goulags Guantanamo, ils seraient réservés comme punition aux douaniers « récalcitrants », difficiles, autrement dit les agents qui osent hausser le ton pour réclamer de meilleures conditions de travail et l’amélioration de leur traitement.

 

Guélénicoro, la terreur

Le poste le plus redouté par les douaniers est Guélénicoro, un village frontalier entre le Mali et la Guinée. Ce bled est réputé pour être un endroit fréquenté essentiellement par des scorpions, des serpents, des fauves et des…contrebandiers sans scrupules, plus sauvages que toute cette faune réunie, qui n’hésitent pas à dégainer pour protéger leurs produits frauduleux. Loin d’être une zone rentable –le village n’apporte rien à l’Etat en termes de recettes douanières- Guélénicoro représenterait plutôt un danger permanent pour les douaniers. En raison des contrebandiers qui l’empruntent fréquemment. Mais aussi parce que les douaniers qui sont affectés à ce poste inhospitalier ne bénéficieraient d’aucun traitement de plus (primes de risques, indemnités spéciales, etc.) ils ne bénéficient même pas de couverture sociale dans une zone propice aux multiples maladies tropicales dues aux piqures d’insectes ou la morsure de reptiles. Pour ceux qui échappent aux attaques de fauves mais tombent malades. Ceux qui ne crèvent pas sur place, Guélénicoro n’ayant pas de centre de santé, sont obligés d’effectuer le déplacement vers un hôpital pour se faire consulter et recevoir des soins. Tout cela se fait aux frais des agents eux-mêmes. Ce qui pose problème dans la mesure où ces agents, avant de rejoindre leurs postes, ne perçoivent rien de l’Etat.

 

 

Cette pratique discriminatoire, qui fait que certains connaissent régulièrement le bonheur des Eldorado tandis que d’autres sont voués infailliblement aux Guantanamo, ne serait pas le seul fait d’armes du directeur régional. Il y a quelques mois, selon un responsable de la douane, Ag Boya aurait été épinglé pour une sombre politique de favoritisme, pistonnage dont les principaux bénéficiaires seraient des Touareg. Selon le même responsable, le syndicat national des douanes avait été obligé d’intervenir à l’époque pour le rappeler à ses obligations de fonctionnaire neutre et impartial, et remettre les choses dans l’ordre.

 

 

Sans discrimination ni favoritisme

Concernant la rotation dans la relève, notre interlocuteur trouve qu’elle est normale car elle permet aux agents de s’aguerrir, de bien se former et s’entrainer, de connaitre le territoire et de maitriser tous les aspects de leur profession. Selon lui, il y a des agents qui ne veulent pas aller dans certains coins parce qu’ils n’y gagnent rien, préfèrent rester en ville ou toujours aller dans les postes rentables. Pour lui, ceux-ci ne seront jamais bien formés que s’ils acceptaient d’aller dans les coins les plus reculés. Toutefois, convient-il, la rotation doit se faire sur des bases justes et objectives, sans discrimination ni favoritisme encore moins de népotisme. Or, c’est justement ce que certains reprochent à Ag Boya.

 

Cheick TANDINA

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