Les présumés auteurs avaient joué aux cachotiers, mais l’intuition des douaniers a pesé lourd dans la découverte, sous un assemblage de pièces de rechange de climatiseur, de la drogue qu’ils avaient tantôt désigné comme des « petits colas », tantôt du « chicha »
Les auteurs se sont persuadés aisément qu’il existait peu de métiers qui vous fassent gagner aussi rapidement et aussi facilement beaucoup d’argent que celui de contrebandier. Le mot ne semblait pas les déplaire, d’illustres précédents semblaient danser dans leur mémoire, et ils se trouvaient un air de Pablo Escobar du meilleur ton. Le plus difficile pour eux était d’atteindre alors le magasin de Djicoroni-Coura, à quelques encablures du centre-ville de Bamako. Ils étaient assez lucides pour se rendre compte que la nécessité ne les poussait pas seulement, mais surtout leur démon favori, le goût de transcender la loi. Jusqu’ici, les contrebandiers s’étaient contentés de mettre en jeu leur honneur et leur liberté pour le cannabis. Jamais l’idée ne leur était venue de franchir le palier supérieur en recourant à la résine de cannabis, réputée très novice pour la santé et très chère.
Le jeu de cachotier
Le cœur du détenteur des clés s’était mis à battre très fort et son esprit vif comme l’éclair lui montrait les avantages de faire poireauter les douaniers pendant trois heures d’horloge. Fatigués de faire le pied de grue, ces derniers finiraient par perdre patience et s’en iraient. Ainsi, le pot aux roses ne serait point découvert.
Le chef de la patrouille des enquêtes douanières Salifou Traoré est d’un âge moyen, de taille moyenne, de corpulence moyenne. Trois ou quatre touches grises dans ses cheveux argentés et quelques rides au visage indiquaient seuls qu’il n’avait plus l’âge auquel il avait fait ses débuts à la douane. Droit comme un I, le ventre toujours plat, les yeux plus vifs et malicieux, il est très apprécié pour sa patience et son entêtement au travail.
Avec une poignée d’hommes doués d’excellent coup d’œil et de flair, ils faisaient enfin leur entrée au magasin suspect sans se laisser arrêter par l’étrange odeur qui s’échappait du fouillis pas très distinct de marchandises accumulées devant leurs yeux : pièces de climatiseur enchâssées dans des cartons, au-dessous desquels étaient empilés nombreux colis. Le renseignement était trop précieux et valait bien de minutieuses fouilles.
Les yeux scrutaient les colis en sacs blancs de polyéthylène estampillé « Graines et tubercules de Guinée ». Les douaniers auraient donné cher afin de savoir ce que renfermaient ces colis au nombre de 107 qui laissaient échapper un liquide chocolaté identique à la couleur du henné. « Petits colas » se justifiait le fils du commerçant propriétaire du magasin. Un second emballage émergeait dès le premier enlevé, puis un troisième, un quatrième et enfin un cinquième en rajoutaient une couche supplémentaire à la suspicion. Le fils du commerçant aimait beaucoup les marchandises, mais pas du tout les douaniers. Il en savait probablement plus qu’il ne le disait. « Chicha » rectifiait-il d’une vilaine voix, dure, rauque. Il parlait du coin de la bouche.
Odeur écœurante
L’esprit des douaniers travaillait rapidement en silence : chaque colis était constitué de trois paquets refermant chacun vingt briques de substance molle couleur chocolat. Une odeur écœurante envahissait le magasin. Tous les regards se posaient sur le produit mou. C’était du boulot régulier que de tout embarquer et une fois au Bureau du renseignement et des enquêtes douanières procéder à une analyse des échantillons prélevés. Les douaniers n’avaient pas l’habitude de ce genre de prise pour deviner du coup qu’il s’agissait de la résine de cannabis, obtenue à partir d’une association intelligente de fleurs mâles et femelles.
Grande première dans l’album de l’histoire de la douane malienne : trois tonnes de résine de cannabis, d’une valeur marchande d’un peu plus 4 milliards de F CFA méritaient bien les hommages appuyés du Directeur du renseignement et des enquêtes douanières, Amadou Sanogo, qui a une sainte horreur de la routine journalière et qui a abattu une énorme besogne en persuadant le propriétaire du magasin d’ouvrir, puis il est resté permanemment en contact avec ses hommes du début à la fin de l’opération. Avec son allure de bolide comme s’il venait d’apprendre que des camions bourrés de drogue, d’armes de guerre, etc. se baladaient sur le territoire national. Lui n’a jamais rechigné devant une mission délicate ou une corvée supplémentaire.
Grâce à eux, la douane affichait à son tableau de chasse une saisie record qui fait redouter la mutation du Mali de pays de transit en pays de consommation.
Georges François Traoré