Sous développement : Des structures sociales oppressives et paralysantes

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Le problème des pays sous-développés s’est trouvé posé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Le sous-développement est en effet un phénomène global, une situation éminemment complexe dans chaque territoire, il se manifeste par une imbrication des symptômes économiques, sociologiques et démographiques et il procède d’une combinaison de facteurs imbriqués les uns aux autres ; leur nature est très diverse : héritage économique, social et politique d’un long passé et de bouleversements récents se combine aux conséquences des données physiques de base(grands traits du relief, du climat) et à celles du milieu naturel transformé par les hommes(sol, végétation).

 

De très violentes inégalités sociales

Un caractère absolument fondamental des pays sous-développés est l’importance considérable du contraste qui existe entre la richesse d’une petite minorité et la misère de la grande majorité de la population. Cette violente inégalité est le fait de tous les pays sous-développés. Un petit nombre d’entre eux, dans les quinze dernières années, ont été en mesure de faire disparaitre ce contraste entre l’extrême luxe et l’extrême pauvreté qu’ils ont connue pendant très longtemps.

La présence d’une minorité extrêmement privilégiée caractérise l’ensemble du Tiers-Monde. Ce fait fondamental est cependant bien souvent minimisé ou passé sous silence.

Pourtant, le premier contact avec une ville d’un pays sous-développé ne permet pas d’ignorer ce contraste : aux bidonvilles ou nombre de faits évidents dénoncent l’épouvantable misère s’opposent les quartiers riches qui dépassent en luxe tapageur et en confort les «beaux quartiers» des cités européennes.

En pays sous-développés, les riches sont plus riches et les pauvres plus pauvres que partout ailleurs. Il est souvent difficile de disposer de documents statistiques pour étayer ces impressions qui sont pourtant irréfutables. L’étude de la répartition des revenus, déjà délicate dans les Etats hautement évolués, se heurte en pays sous-développés à de nombreuses difficultés : absence de statistiques, système fiscal presque exclusivement basé sur les impôts indirects et négligeant d’imposer les revenus et surtout crainte que la publication du résultat des recherches fournisse des arguments redoutables aux adversaires du régime au pouvoir.

Le secteur d’économie moderne des pays sous-développés est dominé par de très puissants monopoles dont les pouvoirs sont très supérieurs à ceux dont disposent les très grandes sociétés en pays développés. Ces monopoles ne sont pas seulement des filiales de grands groupes internationaux, qui contrôlent le marché des produits destinés à l’exportation.

Des activités dépendant du marché intérieur (industries de consommation et plus rarement d’équipement, commerces importateurs) sont également contrôlées par des firmes disposant dans le pays d’une position de monopole. La violence des inégalités sociales qui caractérisent les pays sous-développés est aussi causée par le fait qu’une très importante proportion des terres cultivables est possédée par un nombre restreint de grands propriétaires. C’est en Amérique Latine que ce problème agraire est le plus évident : 1,5% des exploitations occupe 65% environ des terres exploitables.

Ces grands domaines  se caractérisent bien souvent par une mise en valeur très imparfaite : ils sont très partiellement exploités et d’une façon très extensive qui ne demande pas une main d’œuvre abondante qu’en petit nombre d’occasions. Une gestion aussi sommaire ne fournit pas à l’hectare un revenu élevé, mais elle assure la richesse à ceux qui possèdent des milliers d’hectares.

Dans la plus grande partie du Tiers -Monde, une autre cause de la misère des masses et de la richesse d’une minorité est l’importance des prélèvements que les propriétaires du sol sont en mesure d’effectuer sur les fruits du travail des métayers. Ceci est d’autant plus facile que le  surpeuplement rural multiplie le nombre des candidats au fermage et au métayage.

Les pouvoirs des nantis sont enfin très fortement accrus par l’appui que leur apportent bien souvent les représentants de la religion et par l’ignorance généralisée. L’illettré, auquel on prêche le fatalisme et la résignation, ignore ses droits ; il est aux ordres de chefs tyranniques et de patrons abusifs, à la merci des usuriers et des commerçants malhonnêtes, sous la coupe de fonctionnaires prévaricateurs.

 

Aussi les privilégiés s’opposent-ils par tous les moyens au développement de la scolarisation. Les catégories sociales privilégiées détiennent de la sorte une position extraordinairement forte, exorbitante en regard des pouvoirs dont disposent les classes dirigeantes en pays développés.

L’existence de minorités aussi puissantes dans l’ensemble du TiersMonde est le résultat d’une complexe évolution historique qui sera analysée ultérieurement. Il faut noter dès à présent que si cette minorité dispose de privilèges de type semi-féodal, elle se trouve également très intégrée à des formes d’organisation économique beaucoup plus évoluées.

Ainsi certains souverains moyen-orientaux, chefs féodaux et propriétaires d’esclaves ont démesurément renforcé leurs pouvoirs traditionnels par les «royalties» que versent les compagnies pétrolières. Dans la plus grande partie du Tiers-Monde, le rapport de production fondamental est (ou a été jusqu’à une époque très récente) de type capitaliste, mais il est combiné à des rapports de production précapitaliste, pour le plus grand profit des possesseurs du capital.

Aux grands propriétaires fonciers, aux commerçants, aux fonctionnaires nantis, aux usuriers d’origine autochtone ou étrangère qui résident dans le pays, il faut  ajouter les grandes firmes internationales, les compagnies de commerce, les grandes banques qui tirent profit de la fourniture à bas prix de produits primaires et de la vente d’objets manufacturés. Celles-ci ne pourraient maintenir leur emprise sur l’économie des pays sous-développés, si elles n’étaient pas secondées par le groupe de privilégiés qui y résident. Ceux-ci ne pourraient se maintenir et s’enrichir sans l’appui et l’intermédiaire des grandes entreprises capitalistes étrangères. Malgré quelques conflits, car elle n’est pas exempte de contradictions, cette association est fondamentale.

Dans la plupart des pays sous-développés, une oligarchie de grands propriétaires et de gros commerçants contrôle le pouvoir politique à tous les échelons et l’exerce à son profit quelles qu’en puissent être les conséquences.

Au sein du Tiers-Monde, les régimes démocratiques sont exceptionnels et ce sont les gouvernements oligarchiques, les pouvoirs théocratiques, les dictatures à base sociale plus ou moins étroite, les pseudo-démocraties qui, pour le moment, sont de loin les plus nombreux.

Dans un très grand nombre de pays sous-développés, l’administration se caractérise par sa vénalité et la corruption y est si générale qu’elle prend figure d’institution. Elle «détruit la hiérarchie des fonctions publiques, renverse les priorités, dévalorise les taches constructives, mine toute entreprise, empêche toute audace, ridiculise tout effort en même temps qu’elle est la raison de subsister d’élites qui veulent jouir des avantages du pouvoir», écrit J. Cheverny.

Cette corruption «quasi structurelle» est un des moyens les plus puissants dont dispose les firmes étrangères pour maintenir leurs avantages au détriment des intérêts du pays, vendu par ses «élites». Ces pouvoirs exorbitants qu’exercent les minorités privilégiées provoquent, surtout depuis une époque relativement récente, une tension politique de plus en plus forte, qui se manifeste par de très fréquentes révoltes.

 

Yves Lacoste

 

Source : Géographie du sous- développement


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