Nombreux sont les intellectuels d’Afrique Subsaharienne (ASS) qui pensent que l’arrivée de Barack OBAMA à la tête des États-Unis n’a pas comblé leurs attentes en matière de coopération commerciale. Considéré comme « fils du continent », il a fait moins que ses prédécesseurs Bill CLINTON et Georges W. BUSH. Sa tournée africaine au Sénégal, en Afrique du Sud et en Tanzanie replace la problématique de la coopération américano-africaine à la une de l’actualité internationale et même nationale au point d’occulter la crise politico sécuritaire que traverse le Mali. Ceci offre donc l’occasion de méditer sur deux questions qui préoccupent les Africains à savoir l’impact de cette coopération sur les économies africaines et les perspectives.
Abordant la première question, il est pertinent de noter que ces relations sont régies par des lois américaines adoptées conformément aux règles du GATT/OMC pour offrir un traitement spécial et différencié aux pays en voie de développement. Dans un cadre multilatéral, le traitement préférentiel que les États-Unis accordent aux États africains remonte à 1976, date d’entrée en vigueur de la loi sur le commerce et le développement (19U.S.C. 2461 et seq.) adoptée en 1974 et qui autorise les États-Unis à mettre en place un Système Généralisé de Préférences (SGP). Il accordait une entrée en franchise de droits de douane à près de 4650 produits originaires de 144 pays et territoires dont 46 d’Afrique Subsaharienne. Par la suite en 1997, cet avantage a été étendu à 1770 produits en provenance uniquement des pays moins avancés. Mais, ces avantages ont eu un impact limité sur les économies des bénéficiaires en raison de certaines faiblesses comme l’administration unilatérale des préférences par le donneur, l’absence de diversification des exportations essentiellement basées sur les produits miniers, la soumission des secteurs à avantage comparatif (agricole, habillement) à des droits de douane prohibitifs en cas de dépassement de quotas.
Pour combler ces lacunes, l’administration américaine a eu recours, dans un cadre unilatéral, à la Loi sur la croissance et les opportunités en Afrique, plus connue sous son appellation anglophone, African Growth and Opportunity Act (AGOA) qui est le Titre I de la Loi sur le commerce et le développement votée par le Congrès le 18 mai 2000 initialement pour huit ans. C’est une loi-programme qui accorde un accès en franchise de droits de douane et sans contingent à 1800 produits d’Afrique subsaharienne en sus des 4650 produits bénéficiaires de privilèges sous le système généralisé des préférences (SGP) en vigueur depuis janvier 1976. Afin de l’adapter à l’évolution du contexte, les autorités américaines l’ont, sur demande des bénéficiaires, régulièrement modifiée — AGOA II, AGOA III et AGOA IV — ajoutant chaque fois des avantages nouveaux pour les États éligibles.
L’AGOA est un instrument d’incitation à des reformes politiques et économiques (établir une économie de marché, un État de droit, lever les obstacles aux échanges et investissements, protéger la propriété intellectuelle et les droits des travailleurs, lutter contre la pauvreté et la corruption, lutter contre le transbordement illicite, respecter les règles d’origines américaines, ne pas porter atteinte à la sécurité nationale des États-Unis ou à leurs intérêts en matière de politique étrangère). Pour faciliter sa mise en œuvre, Américains et Africains se concertent régulièrement dans le cadre du « Forum de coopération économique et commerciale afro-américain » ou « Forum AGOA » qui aborde en même temps les questions de création de zones de libre-échange et d’allègement de dette africaine. En outre, les investisseurs africains peuvent bénéficier d’appui des secteurs publics et privés américains à travers l’Overseas Private Investment Corporation (OPIC) et l’Import Export Bank (Eximbank). L’AGOA encourage vivement les États d’ASS à prévenir et réduire l’incidence du VIH/SIDA en établissant un « Fonds de lutte contre le VIH/SIDA.
Au regard de ces avantages, les différentes administrations CLINTON, BUSH et OBAMA présentent l’AGOA comme un succès total. Toutefois, ce succès mérite d’être relativisé, car l’AGOA n’a profité réellement qu’à un nombre restreint de pays exportateurs de pétrole tels le Nigeria, le Gabon, l’Angola, la Guinée équatoriale, le Congo, le Tchad, le Cameroun totalisant plus de 90 % des achats américains. Les autres produits agricoles, industriels et artisanaux n’y comptent que de manière résiduelle, pour 4 milliards de dollars. L’Afrique du Sud y tire quelques avantages à travers ses exportations de platine, de diamant, de produits ferreux, de véhicules et de pièces détachées, de convertisseurs catalytiques, d’agrumes, de vin, de textile, etc. Il en est également ainsi, mais dans une moindre mesure, pour l’Ouganda, le Lesotho, le Botswana, le Kenya (textile), Madagascar (habillement et vanille), le Ghana (artisanat) ou la Namibie (raisin) avec, à la clé, la génération de quelque 300 000 emplois directs selon Hilary CLINTON.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce faible impact. On peut citer notamment la situation de rente des économies africaines qui fait qu’elles sont peu diversifiées, l’absence de soutien interne, des taux élevés du crédit rendant difficile l’accès au financement, l’absence de semence de qualité avec comme conséquence une production non compétitive avec des outils de production rudimentaires, un manque ou une insuffisance de l’énergie, des télécommunications, des voies de communication et des moyens de transport, un système éducatif incapable de répondre aux besoins du marché de l’emploi, les problèmes de santé récurrents, la concurrence déloyale, les subventions aux producteurs américains, les obstacles non tarifaires aux échanges comme les mesures sanitaires et phytosanitaires, les barrières techniques au commerce, les formalités administratives, la difficulté à s’insérer dans les réseaux de commercialisation, le manque de confiance des importateurs vis-à-vis d’un fournisseur donné, etc. Le corollaire d’une telle situation est la faible capacité d’absorption de l’aide au développement qui va en réalité à ceux des pays qui ne sont pas très pauvres.
Cette situation ne s’est pas améliorée sous l’administration OBAMA. Au contraire, le commerce avec les États-Unis a stagné, voire baissé considérablement en 2012; ce qui a fait dire à l’ex-Secrétaire d’État américaine Hilary CLINTON que l’AGOA est sous exploitée par les Africains. Pourtant, nombre d’Africains pensent à tort que l’aide de l’Amérique d’OBAMA était la panacée. Or, l’homme n’a fait que poursuivre la politique “trade, not aid” de ses prédécesseurs dont le principe est de stimuler les échanges entre les États-Unis et l’Afrique subsaharienne plutôt que de privilégier l’aide au développement. Ensuite, élu par les Américains pour résoudre les problèmes des Américains, il ne voulait pas que ses adversaires, qui contestent sa naissance sur le sol américain, lui reprochent d’avoir privilégié l’Afrique au détriment des États-Unis. De plus, sa présidence ayant coïncidé avec une forte récession de l’économie internationale, il devait se focaliser sur les problèmes domestiques comme l’emploi, la santé, l’immigration, le port d’armes, etc. Il n’empêche que l’homme porte l’Afrique dans son cœur et croit fermement à son avenir. Il a parfaitement conscience que l’Amérique doit renforcer sa position en Afrique face à une concurrence européenne, chinoise, brésilienne, indienne, turque, etc. Sa tournée actuelle en est la preuve. À l’étape sud-africaine, il a annoncé une aide de 7 milliards de dollars à l’Afrique (principalement à l’Éthiopie, au Ghana, au Kenya, au Liberia, au Nigeria et à la Tanzanie) sur cinq ans pour développer le secteur énergétique, en plus de 9 milliards de dollars du secteur privé américain. Outre l’octroi annuel de bouses de formation pour 500 jeunes leaders africains, le président innove avec l’organisation en 2014 à Washington d’un sommet de dirigeants d’Afrique subsaharienne. Cette tendance va certainement se confirmer.
En perspective, il est permis de croire que les relations commerciales États-Unis/Afrique Subsaharienne vont s’intensifier et se diversifier. Pour ce faire, la première équation à résoudre est celle de l’extension de la loi au-delà de 2015, date de son expiration. Conscientes des critiques contre l’AGOA (unilatéralisme, discrimination entre pays en développement, risque de poursuite judiciaire), les autorités américaines ont envisagé une possible harmonisation de leurs programmes de préférences commerciales en un système unique ouvert à des pays non bénéficiaires aujourd’hui comme ceux de l’Asie. Déjà en 2009, l’un des initiateurs de l’AGOA, le représentant démocrate Jim McDermott, a présenté au Congrès une proposition de loi intitulée “New Partnership for Trade Development Act of 2009” (Loi sur le nouveau partenariat pour le développement commercial) visant à intégrer l’AGOA au système préférentiel de l’Organisation mondiale du commerce sans restriction de quotas, et d’en étendre les bénéfices aux pays pauvres non africains. Un des amendements prévus est d’étendre les préférences de l’AGOA jusqu’en 2019 et même au-delà à condition que, dans le cadre de l’OMC, les négociations sur la libéralisation des échanges du cycle de Doha aboutissent avant la fin de 2015. Après 2019, les préférences seront renouvelées dans cinq ans pour les PMA considérés comme tels par les Nations Unies sans restrictions de quotas. Cette extension paraît courte pour certains auteurs selon lesquels les producteurs africains ont besoin de plus de temps pour être mieux connaître le marché américain. , c’est pourquoi, ils proposent une extension de la loi et de la “third country fabric provision » (disposition sur le tissu importé de pays tiers) jusqu’en 2025 (voir Africa Growth Iniative at Brookings, june 2012, p.28).
Dans cette perspective, il revient à Barack OBAMA de décider de cette extension. Ceci lui donne l’opportunité de montrer sa volonté de “stimuler la croissance économique, le commerce et les investissements par le biais d’une focalisation et d’un engagement plus profond et de l’affectation de ressources supplémentaires”. Le forum AGOA des 12 et 13 août prévu à Addis-Abeba placé sous le thème “La transformation durable par le truchement du commerce et de la technologie” se penchera sur cette question.
En outre, l’Afrique a besoin de diversifier ses exportations afin de diminuer la trop forte dépendance des hydrocarbures qui ne sont pas inépuisables. En ce sens, en 2009, le secteur privé américain réuni au sein du Corporate Council of Africa (CCA) (Conseil des entreprises privées sur l’Afrique) a élaboré à l’intention de l’administration OBAMA un document de 56 pages, intitulé : “Les États-Unis et l’Afrique : Recommandations politiques du secteur privé américain à l’administration OBAMA” dans lequel il a noté que “l’Afrique n’est plus simplement un défi humanitaire et de développement, mais plutôt une source d’énergie, d’opportunités d’exportation et de partenariat international croissante et dynamique”. Il faut donc un renforcement de l’AGOA qui passe non seulement par son extension à d’autres produits, mais aussi par l’encouragement du commerce et des investissements américains dans neuf secteurs-clés identifiés comme la sécurité, les finances, le commerce, l’agriculture, l’énergie électrique, les industries extractives, les soins de santé, les infrastructures et le tourisme.
En somme, la tournée africaine d’OBAMA vise à renforcer les acquis de la coopération amorcée sous ses prédécesseurs et ouvrir de nouvelles perspectives. Son message est clair : l’AGOA fonctionne sur le principe du gagnant – gagnant. Il existe un potentiel pour une réciprocité sans égalité des concessions. Grâce à son puissant soutien financier (Millénium Challenge Corporation, Agence pour le développement international, Fondation africaine pour le développement, initiative de lutte contre la faim en Afrique, initiatives en matière de technologies de l’information et de la communication, de transport, d’énergie, de lutte contre le VIH Sida et le paludisme), l’Amérique compte bien tirer vers le haut les faibles économies africaines. Aux Africains d’en profiter.