Abdoulaye Sanoko, Directeur Général de l’Agence pour la Promotion des Exportations du Mali (APEX)
«Nous avons pris attache avec l’ambassade des Etats-Unis pour booster nos échanges avec ce pays et bénéficier des effets induits de l’AGOA»
Nous vous proposons dans ce numéro la première partie de la grande interview que le Directeur Général de l’APEX, Abdoulaye Sanoko, a bien voulu nous accorder.
Les Etats-Unis viennent de signer l’acte permettant au Mali de réintégrer le train de l’AGOA, après en avoir été débarqué à cause de la crise dont nous sommes en train de sortir petit à petit. En tant que Directeur Général de l’Agence pour la Promotion des Exportations du Mali (APEX), comment accueillez-vous cette mesure? Quels en sont les enjeux pour le Mali?
Je vous remercie de me donner une excellente opportunité de réagir par rapport à un événement d’actualité aussi important pour notre commerce extérieur et notre économie. Car, comme vous le savez, lorsqu’un pays réussit à développer ses exportations, cela se traduit par une augmentation de son offre, et l’accroissement de la production elle-même suppose qu’on mette en place des forces de travail.
Donc, cette nouvelle, nous l’avons apprise avec beaucoup de satisfaction, car nous savons tout le bénéfice qu’on peut tirer de ce régime commercial, que les Etats Unis ont octroyé à un certain nombre de pays africains depuis 2000. Au lendemain des événements du 22 mars 2012, avec notre sortie de ce qui est communément admis comme un régime démocratique constitutionnel, nous avions perdu le bénéfice de cette politique préférentielle.
Par ce fait même, la loi portant AGOA «Croissance Economique pour l’Afrique», adoptée par l’administration américaine sous Bill Clinton en 2000, ne concernait plus le Mali. Nous savions que la crise avait été gérée de telle manière que, avec l’évolution rapide des événements sur le terrain et au niveau des forces vives du pays, en étroite relation avec la communauté internationale, le bout du tunnel allait être finalement atteint. In fine, nous accueillons cette nouvelle avec beaucoup de satisfaction, mais aussi avec une grande sérénité, dans la mesure où il y a eu tout un processus électoral qui s’est déroulé normalement, de la présidentielle de juillet et août, sanctionnée par le plébiscite, à juste titre, d’un Président de la République, avec presque 78% de voix.
L’autre pilier d’une démocratie qui fonctionne à peu près normalement, c’est l’Assemblée nationale, après une Assemblée nationale de transition dont les sièges devaient être effectivement renouvelés, ce qui vient d’être fait à l’occasion des législatives. Tout cet exercice a pu être conduit dans les meilleures conditions.
Bien avant, les perspectives, après l’intervention des forces Serval et des forces africaines, dans le cadre de la MISMA puis de la MINUSMA, étaient aussi très rassurantes, dans la mesure où il y avait des accords pour la gestion rapide de la récente crise de la transition. Le Mali s’est donc assez tôt remis dans la bonne démarche pour parvenir à ce dénouement doublement heureux, dont peut se réjouir notre pays.
Et quels sont les enjeux pour le Mali?
C’est d’abord un marché potentiel dont l’accès s’était quelque peu obstrué pour nous. Obstrué, j’insiste sur ce mot, puisque, durant ces deux années de crise, le Mali a continué à faire commerce avec les pays de la sous-région, et même avec tous les autres partenaires habituels, y compris les Etats-Unis. Sauf que, puisque nous parlons de l’AGOA, pour ce qui était du marché américain, nous n’en avions plus le bénéfice.
C’est le lieu de dire un mot sur l’AGOA. L’AGOA, c’est, en fait, un régime commercial préférentiel, accordé, de façon unilatérale en l’occurrence, par l’administration américaine. Bien sûr, à partir du moment où c’est unilatéral, il faut dire que ce n’est pas tous les pays africains qui ont le bénéfice de l’AGOA. Pour bénéficier effectivement de ce régime préférentiel, il y a un certain nombre de conditions qu’un pays candidat doit remplir
J’en citerais quelques unes, comme avoir pris comme option économique une politique de type libéral, qui doit permettre aux différents acteurs de l’économie, notamment les producteurs et les exportateurs, de prendre des initiatives par eux-mêmes. C’est l’une des conditions. Il s’agit aussi de pays qui doivent avoir de bons indicateurs, des indicateurs à des niveaux satisfaisants en matière de gouvernance, tels que le respect des droits de l’homme et une gestion rigoureuse des affaires de l’Etat, de la Nation.
Cela dit, quand on est élu ou que l’on est éligible à l’AGOA, il y a des attentes de la part de nos pays, notamment pouvoir accéder au marché américain sans contingentement et sans droits de douanes, pour différents produits d’exportation…
On parle de 6000 produits?
On en est peut-être même à plus de 6400 produits qui sont éligibles pour tout pays qui apparaît sur la liste de l’AGOA. Mais, en ce qui nous concerne, nous n’en sommes pas encore là. Tant s’en faut. Nos principaux produits d’exportation restent traditionnels. On entendra toujours parler de l’or, qui est passé, depuis plus d’une décennie, au premier rang des produits d’exportation du Mali. Mais il y a également le coton, qui a un impact socio-économique considérable pour notre pays.
Le bétail suit de très loin. Ces trois produits, à eux seuls, constituent, à plus de 80%, des sources de recettes d’exportation pour le Mali. En dehors de ces trois produits, nous allons retrouver, pêle-mêle, les produits de cueillette, les fruits et légumes, les cuirs et peaux et les produits de l’artisanat. Là, nous parlons de biens physiques La question est autre lorsqu’on parle du secteur des services, notamment du tourisme.
Maintenant que faut-il faire, selon vous, pour que le Mali profite cette fois-ci pleinement de l’AGOA?
Vous avez raison de dire pour que nous puissions en profiter cette fois-ci, parce que la réalité des chiffres est implacable. Lorsque nous voyons l’évolution de nos exportations depuis que nous sommes devenus éligibles, c’est-à-dire en 2000, il s’avère que nous ne nous y sommes mis qu’à partir de 2003.
De 2003 à 2012, mettons 2011, nos statistiques sont très timides. Il y a eu, certes, quelques opérations, plus ou moins isolées. Bref, en 8 ou 9 ans, nous avons pu avoir plus d’une trentaine d’exportateurs agréés, qui ont pu entreprendre des opérations d’exportation sous ce label.
Mais ce qui est certain, c’est que les exportateurs eux-mêmes, à quelques rares exceptions près, et le secteur privé, en général, ont eu quelques regrets à savoir qu’il y a un potentiel énorme – nous parlons là du marché du pays le plus développé au monde – que nous n’arrivons pas à exploiter.
Comment faire maintenant pour tirer le maximum de profits? Les statistiques ne sont malheureusement pas toujours très fiables, mais les chiffres restent quand même toujours très modestes. Le milliard, on l’a atteint peut-être une année donnée, pour les produits exportés sous le régime de l’AGOA
Quelle année?
En 2010. C’est d’ailleurs la même année que nous avons enregistré plus de 31 milliards de FCFA d’exportation de produits, toutes catégories confondues, et pas forcément sous le régime de l’AGOA. En fait, les chiffres sont faibles, puisqu’en dehors de 2010, les exportations globales du Mali vers les Etats-Unis, par exemple en 2008, se sont élevées à 7,2 milliards de FCFA, en 2009, à 1,7 milliard et en 2010 elles sont montées en flèche. C’est sans doute grâce à nos exportations d’or monétaire. Mais, même cet or-là, on ne le retrouve guère dans les mêmes proportions dans les années qui suivent.
En 2011, on n’en est qu’à 2,5 milliards et à 4 milliards en 2012. Pour bien confirmer qu’on exportait. Jusqu’en 2013, on exportait vers les Etats-Unis, mais en des quantités presque négligeables. Ce que nous devons faire, comme je vous l’ai dit, au niveau des perspectives de l’APEX, qui, je vous le rappelle, est de création très récente – elle a été créée par la Loi en juin 2011 mais n’a entrepris son opérationnalisation qu’en 2012, où nous avons été nommé à la Direction Générale.
Nous avons été nommés deux semaines avant les événements du 22 mars, autrement dit, nous sommes nés en pleine crise et, ipso facto, nous avons durement ressenti les conséquences de cette crise. Des conséquences qui se sont manifestées de plusieurs manières, par exemple sur le plan financier, dans la mesure où, très rapidement, notre économie est devenue une économie de guerre.
Il fallait faire face au plus pressé: assurer le maximum de sécurité dans les villes qui étaient sous le contrôle du gouvernement, mais aussi travailler d’arrache-pied dans les autres domaines qui sont d’une importance cardinale, comme l’agriculture, la santé, l’éducation. Autant de domaines prioritaires qu’il fallait satisfaire avant de se tourner vers les structures comme la nôtre.
Donc nous avons bien constaté que nos échanges, dans le cadre de l’AGOA, étaient très timides, modestes. Et, dès notre prise de fonction, nous avons engagé quelques réflexions avec le noyau de base dont l’APEX disposait, en attendant qu’on puisse la renforcer en termes de ressources humaines. Il y a un certain nombre de réflexions que nous avons pu mener, qui ont trouvé leur tournant décisif avec l’organisation du 1er Conseil d’administration de la structure, qui s’est tenu le 15 mai dernier. D’ailleurs à cette occasion, la question de l’AGOA est revenue en force et, en commun accord avec nos administrateurs, nous étions convenus de mener une étude d’évaluation de l’exploitation que le Mali a faite du régime commercial de l’AGOA.
Nous sommes en ordre de bataille, aujourd’hui, en ce sens que nous avons adopté les termes de référence de cette étude d’évaluation. Cette étude, qui sera approfondie, devrait nous permettre de faire le diagnostic de la santé de nos relations commerciales avec les Américains. Il s’agit, en fait, de faire l’état des lieux de nos exportations dans la zone AGOA. Nous n’attendons pas forcément les résultats de cette étude pour savoir, de façon empirique, qu’il y a des problèmes liés à la faiblesse de l’offre. Je disais tantôt que nous avions une offre très limitée.
Pour le marché américain, le coton, tel que nous en avons fait le champion de notre économie, n’est, malheureusement, pas admis au régime de l’AGOA. Ce qui est admis – on en reparlera sans doute – ce sont les produits de l’industrie textile, y compris la confection. Sans doute, pour l’or, l’exploitation se fait. S’agissant de l’or blanc, le coton à l’état brut est d’office écarté. L’AGOA ne l’admet que transformé: en tissu, y compris en textile artisanal.
Nous savons que les autres produits d’exportation, tels que le tissu bogolan, les statuettes, les articles de confection, ont eu leur chance, mais ont également vu celles-ci s’étioler, à cause du fait qu’on n’avait pas la capacité de produire en grandes quantités, les quantités dont les importateurs américains ont besoin. Ce sont là déjà deux types de contraintes, d’obstacles, la gamme étroite des produits à exporter et le faible niveau de l’offre exportable.
Il y a également d’autres types de problèmes, comme le manque de professionnalisme, d’une manière générale, de nos exportateurs. Ils n’ont pas toujours le bon réflexe de se regrouper, par exemple, lorsque les quantités proposées sont faibles. Le réflexe du professionnel serait de constituer un consortium avec d’autres exportateurs du même domaine. Même s’agissant de la recherche d’informations, ce réflexe n’est toujours pas là. C’est comme si l’on attendait que l’information tombe d’elle-même.
Bref, parlant d’informations, de formation et autres, voilà que nous entrons dans le giron même de la mission de l’APEX. L’étude que nous sommes en train de mener doit nous conduire à la formulation d’une stratégie. Les éléments de stratégie qu’on doit retenir doivent, sans doute, tenir compte de l’expérience très positive que certains pays africains – même s’ils sont rares – ont pu enregistrer, dans le cadre de ce même AGOA.
J’aime à citer l’exemple du Royaume du Lesotho, un pays enclavé comme le Mali, un petit pays, qui fait des merveilles via les produits textiles, alors qu’il n’est même pas producteur de coton. Cela devrait nous donner des idées.
Le Lesotho confectionne toutes sortes de produits textiles, jusqu’aux dessous, aux maillots de corps, aux survêtements… Il y a aussi l’Ile Maurice et Madagascar, qui doit être dans la même situation que nous il y a quelque temps, privé du régime de l’AGOA, compte tenu de l’instabilité politique que ce pays n’a cessé de connaître depuis quelques années.
Stratégiquement, dès que nous avons appris la bonne nouvelle que le Mali revenait dans le groupe des pays bénéficiaires de l’AGOA, nous avons entrepris d’approcher l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique, qui gère ce programme de coopération, avec laquelle nous avons pris date. Incessamment nous allons ensemble voir ce qu’il y a lieu de faire pour booster assez rapidement nos échanges commerciaux avec les Etats-Unis et voir, à très court terme, les premiers effets induits.
La crise est aussi mère d’enseignements, pour le secteur privé en particulier, qui a appris à faire avec les contraintes et qui a développé une certaine résilience. En synergie avec les autres structures de l’administration, ses acteurs se sont mobilisés pour pousser au développement de l’économie nationale, en général, et de nos exportations en particulier.
Propos recueillis par Yaya Sidibé
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