«Nous avons eu peur des voleurs, c’est pourquoi nous y déposons notre argent. Et c’est d’autres voleurs qui nous arnaquent, avec la complicité des autorités. Ce qui se passe au niveau de la caisse Jemeni, c’est purement de la délinquance», s’indignaient des dizaines de sociétaires qui manifestaient devant le gigantesque immeuble servant de siège à la caisse Jemeni, à l’ACI 2000. Ils y ont déposé leur argent et n’arrivent plus à le toucher, qui pour échapper aux voleurs, qui pour avoir un prêt de microcrédit afin d’exercer son petit commerce.
Le constat est amer, les sous déposés n’ont pas été dans la sécurité requise et les administrateurs de la caisse se révèlent être leurs vrais bourreaux, pires que des brigands qui attaquent au coin de la rue. Depuis plusieurs années, la situation est la même, la caisse n’ayant qu’une seule réponse à ceux qui veulent faire un retrait à leur compte : « il n’y a pas d’argent ». Plus de 60 000 personnes seraient concernées par cette situation. Pour aider à trouver une solution adéquate au problème devenu récurent, le gouvernement a placé la caisse Jemeni sous administration provisoire en juillet 2009. Mais cette nouvelle administration n’a pas tenu la promesse de l’espoir qui lui a été placé. «La direction nous a fait savoir qu’elle est dans l’incapacité de gérer ce problème», selon des sociétaires désabusés.
Un comité officieux de réclamation des dus s’est constitué pour rencontrer le médiateur de la République (il y a un mois) et les services de la primature (il y a plus d’une semaine) qui se sont engagés à s’investir dans la recherche de solutions. Mais, comme un chat échaudé, les victimes de Jemeni nourrissent une confiance timide dans l’engagement de ces institutions de l’Etat. Certains clients menacent de passer à la vitesse supérieure pour forcer le recouvrement de leur argent. D’autres proposent d’ériger une barrière pour empêcher l’accès de la direction aux premiers responsables de la caisse. N’en déplaise aux forces de sécurités ; de toutes les façons, ne disposant plus de liquidité pour se faire soigner en dehors des ressources emprisonnées, certains sociétaire sont décédés des suites de complications, témoignent-ils. Un autre témoin a divorcé de sa femme, faute de moyens. Quand bien même, il dispose de millions qui dorment en prison dans cette maison close. Quel tragique paradoxe ! Aussi, beaucoup de mariages, de baptêmes ont été reportés à plusieurs reprises, voire annulés. La situation est devenue intenable pour la clientèle et s’empire jour après jour. Devant ce cynisme notoire des opérateurs de Jemeni, les autorités du pays observent un immobilisme coupable.
En attendant, les sociétaires des caisses Jemeni, en provenance des quartiers de Bamako, se sont donné rendez-vous le 2 septembre devant le siège pour protester et exiger leur dus. C’est le début de la phase active ou offensive de leur combat. Plus d’une dizaine d’agents des forces de l’ordre qui sont régulièrement réquisitionnés pour assurer la sécurité de la direction, les regardaient en chiens de faïence. « Nous sommes à bout de patience, s’il le faut nous sommes prêts au pire», lancent-ils, regroupés devant le siège de la direction générale de l’Union des caisses mutuelles d’épargne et de crédit Jemeni. Ils ont dénoncé « une pure délinquance » des responsables des caisses Jemeni.
Les sociétaires de l’Union des caisses mutuelles d’Epargne et de crédit Jemeni ne contiennent plus leur colère. Les multiples et infructueux va-et-vient pour réclamer leur solde se bute à «une mauvaise volonté de l’administration appuyée par l’Etat», selon eux. Certains se reprochent d’être restés jusqu’ici « trop passifs ». La situation reste ahurissante après plus de deux ans de difficulté économique. D’une crise de trésorerie, l’institution de micro finance s’est retrouvée en état de faillite à cause d’une mauvaise gestion de son administration. Certains clients embourbés dans la faillite de Jemeni se sont retrouvés en prison pour n’avoir pu honorer des engagements, ont témoigné des sociétaires fâchés. Un autre qui tenait son carnet a expliqué qu’il a un dépôt de plus de 3 700 000 F Cfa. En l’espace de deux ans, la société Jemeni n’a pu lui rembourser que quelques 20 000 F Cfa. C’est le seuil de l’intolérable. Pour avoir cautionné l’ouverture de l’Union des Caisses mutuelles d’épargne et de crédit Jemeni, l’Etat malien doit faire quelque chose pour protéger les populations face à la gestion désastreuse de l’équipe dirigeante. Depuis plus d’une année, Jemeni n’existe plus que de nom, d’autant plus qu’elle n’arrive plus à satisfaire ses sociétaires. Pire, elle est à la base de beaucoup de cas de décès, de divorces, selon certaines sources. Parmi les sociétaires, on dénombre des commerçants détaillants, des jeunes diplômés entrepreneurs, des groupements d’intérêt économique (GIE) etc.
Selon nos informations, les délinquants financiers du réseau Jemeni sont connus et nos sources prévoient un grand déballage qui ne saurait tarder. L’argent des pauvres aurait servi à construire des écoles privées de renommée dont les promoteurs se font des milliards sur le dos des sociétaires et ne pensent pas à rembourser. De même des unités industrielles de lait, de transformations de coton dont on pourrait citer les noms, ont été construites avec l’argent de Jemeni, par des bénéficiaires qui ont emprunté de l’argent, ne remboursent pas et restent dans les bonnes grâces de la haute administration de l’Etat. Des transitaires, des hauts fonctionnaires et d’autres qui ont acheté de grosses cylindrés et villas à la cité du Niger sont parmi ces délinquants financiers du réseau Jemeni. Ils auraient été pourtant cautionnés par des banques comme la BMS ou Ecobank, selon certaines sources. Cérise sur le gâteau, la caisse mutuelle a construit, il y a quelques années, le siège de sa direction pour un coût de 1,8 milliard de Fcfa. Selon certains, Jemeni continue d’octroyer des crédits, avec une caution de 60 à 80 000 Fcfa et des taux d’intérêts exorbitants de 14 % ; mais la caisse refuse de payer les sociétaires qui veulent faire des retraits. La faillite des caisses mutuelles d’épargne et de crédit Jemeni peut-elle s’expliquer économiquement ?
B. Daou