Sans être confirmées ni par Bamako ni par Moscou, des informations de plus en plus persistantes émanant de plusieurs sources diplomatiques, font état de l’imminence d’un accord entre les autorités de la transition malienne, avec la société de sécurité russe Wagner.
Une information qui, si elle s’avérait, devrait permettre aux Russes de prendre pied au Sahel. Ce qui ne serait pas pour plaire à Paris dont ces mêmes Russes sont déjà allés bousculer les intérêts en Centrafrique, avec la présence de la même société aux côtés des autorités de Bangui dans la lutte contre l’insécurité. Mais comme le dit l’adage, « il n’y a pas de fumée sans feu ». Mieux, l’on est tenté de répondre, en écho à ce premier dicton, par un autre qui dit que « quand ça va pourrir, ça va sentir ».
En attendant, l’on peut d’autant plus croire à l’éventualité d’un tel rapprochement entre Bamako et Moscou qu’au lendemain du coup d’État du colonel Assimi Goïta, la France, pour marquer sa désapprobation, avait suspendu sa coopération militaire avec le Mali, avec effet immédiat sur les opérations conjointes menées par la force Barkhane de concert avec les Forces armées maliennes.
On peut comprendre que les autorités de Bamako songent à combler le vide que laisserait un éventuel départ des troupes françaises
Ce, au moment où l’on apprenait aussi que le désengagement partiel de la force française du Sahel, annoncé quelque temps plus tôt par le président Macron, devait se traduire progressivement par la fermeture de certaines bases militaires dans le Nord du Mali. La nature ayant horreur du vide, l’on peut comprendre que les autorités de Bamako songent à combler le vide que laisserait un éventuel départ des troupes françaises face au péril terroriste. Ce d’autant que si la suspension momentanée de la coopération militaire n’a pas résisté à la poussée des terroristes sur le terrain, l’allégement du dispositif de Barkhane semble, par contre, avoir amorcé une courbe irréversible. Dans ces conditions, on ne voit pas Bamako se priver de l’opportunité d’un rapprochement avec le géant russe qui pourrait atterrir sur le sol malien, précédé de la réputation qu’on lui connaît dans l’imaginaire des Africains. Pour cela, on se demande si les autorités de la transition auront même besoin de surfer sur le sentiment anti-français qui se développe depuis quelque temps, pour avoir l’adhésion de l’opinion publique malienne à un tel rapprochement avec les Popov, comme alternative à l’ancienne puissance coloniale. Le hic est que dans le cas d’espèce, il s’agit d’un contrat de services pour le déploiement de mercenaires par l’intermédiaire d’une société privée. Pire, cela risque de coûter les yeux de la tête au Trésor malien, si la note de frais mensuelle de 6 milliards de FCFA pour les mille à deux mille mercenaires russes, devait s’avérer, sans compter l’accès à trois gisements miniers dont font cas d’autres sources.
Il y a lieu de croire que la crise sécuritaire au Sahel profite plus à certaines puissances
Et le rôle de ces mercenaires devrait véritablement interroger, s’il devait se limiter principalement à la protection des hauts responsables du pays et à l’entraînement des troupes maliennes sans une participation directe à la lutte contre le terrorisme. Et le peuple dans tout ça ? Serait-on tenté de s’interroger. La question est d’autant plus fondée que si, en tant que chef des forces spéciales maliennes, Assimi Goïta devait confier sa propre protection à des mercenaires, cela ne manquerait pas de susciter des interrogations. Non seulement, ce serait un aveu d’échec de l’armée malienne dans sa mission de sécurisation des institutions, des personnes et des biens, mais aussi cela pourrait dénoter d’un manque criard de confiance au sein de la Grande muette. Au-delà, on pourrait se demander si ce n’est pas une manière, pour les autorités de la transition, de chercher à assurer leurs propres arrières dans la perspective de la fin de cette transition qui s’annonce de plus en plus incertaine.
En tout cas, on peut s’interroger sur leur volonté réelle de conduire la transition à bon port dans les délais impartis, dans un contexte où elles sont soupçonnées par une bonne partie de la classe politique, de chercher à prolonger la transition en usant de dilatoire. Notamment, à travers les prochaines assises annoncées par le Premier ministre, et auxquelles de nombreux partis et formations politiques ont d’ores et déjà annoncé qu’elles ne participeraient pas.
En tout état de cause, quel que soit le sort final de ce présumé accord, il est temps, pour les Maliens en particulier et les Africains en général, de comprendre que personne ne viendra se battre dans leur pays pour leurs beaux yeux. Seuls les intérêts guident les pas des grandes puissances. Et si, tout comme la santé, la sécurité, dit-on, n’a pas de prix, dans le cas d’espèce, il y a lieu de croire que la crise sécuritaire au Sahel profite plus à certaines puissances.
En ce qui concerne ce projet de contrat entre la société Wagner et le Mali, pour Paris, sa signature serait « une ligne rouge » qui ferait bouger d’autres lignes dans son engagement aux côtés de Bamako, et, par ricochet, auprès des pays du G5 Sahel. Des partenaires européens de la France et des États africains, comme l’Allemagne et les États Unis, mettent aussi à l’index ce possible accord.
Youssouf Traoré