Le 16 septembre 2024 marque le premier anniversaire de l’Alliance des États du Sahel (AES), organisation formée par le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Lors de sa création, les dirigeants de ces trois nations, qui avaient accédé au pouvoir via des transitions militaires, ont affiché une volonté de rompre avec les pratiques de leurs prédécesseurs.
Ils s’étaient engagés à consulter davantage le peuple et à donner une place centrale aux aspirations citoyennes dans les processus décisionnels. Un an plus tard, il apparaît cependant que ces promesses n’ont pas été tenues et que plusieurs décisions importantes ont été prises sans consultation populaire. Cet écart entre les discours et les faits soulève des interrogations sur la crédibilité de l’AES et son avenir.
Lorsqu’ils sont arrivés au pouvoir, les dirigeants de l’AES ont insisté sur la nécessité de rompre avec les régimes précédents, qu’ils jugeaient autocratiques et éloignés des réalités populaires. Ces transitions militaires, marquées par les coups d’État successifs au Mali, au Burkina Faso et au Niger, se sont accompagnées de discours qui laissaient espérer une gouvernance plus ouverte et inclusive.
Le Colonel Assimi Goïta, à la tête de la transition malienne, avait à plusieurs reprises insisté sur la nécessité d’une gouvernance transparente, consultative et en phase avec les attentes des populations.
L’un des piliers de cette promesse de rupture résidait dans l’engagement à prendre des décisions stratégiques en concertation avec le peuple. Les nouvelles autorités affirmaient que leur gouvernance se démarquerait par une inclusion plus marquée des citoyens dans la prise de décision.
À cet égard, l’AES, fondée le 16 septembre 2023, avait été présentée comme une alternative aux structures régionales comme la CEDEAO, jugées incapables de répondre aux réalités locales et à la crise sécuritaire sévissant dans le Sahel.
Toutefois, au cours de cette première année d’existence, plusieurs décisions majeures ont été prises sans aucun mécanisme de consultation populaire. La sortie des trois pays de la CEDEAO en janvier 2024 en est un exemple frappant. Cette décision a marqué une rupture avec l’organisation ouest-africaine, à laquelle ils reprochaient d’exercer des pressions pour un retour rapide à l’ordre constitutionnel, sans tenir compte du contexte sécuritaire. Pourtant, cette décision n’a pas fait l’objet d’un référendum ou d’une quelconque forme de consultation populaire, bien qu’elle engageât de manière significative l’avenir des relations régionales.
Pour les dirigeants de l’AES, cette sortie était justifiée par le besoin de souveraineté et d’indépendance vis-à-vis des pressions extérieures. Ils ont brandi l’argument de la défense de l’intégrité territoriale et de la lutte contre le terrorisme pour éviter une transition politique précipitée.
Cependant, l’absence de consultation sur une décision aussi importante a soulevé des critiques, notamment de la part de la société civile et d’une partie de l’opinion publique, qui ont pointé du doigt une contradiction entre le discours de rupture et les pratiques en cours.
Par ailleurs, le 6 juillet 2024, lors du premier sommet des chefs d’État de l’AES, un autre cap a été franchi avec la création de la Confédération des États du Sahel. Cette confédération vise à renforcer l’intégration régionale entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger, en mutualisant leurs efforts dans les domaines de la défense, de la diplomatie et du développement économique.
Cette décision, qui implique des engagements importants à long terme, aurait pu faire l’objet d’une consultation auprès des citoyens concernés. Pourtant, elle a été décidée unilatéralement par les dirigeants des trois pays, sans passer par les parlements, et encore moins par un processus référendaire.
La Confédération des États du Sahel marque une étape supplémentaire dans l’intégration régionale des trois pays, mais cette intégration reste déconnectée des attentes des populations. La création d’un passeport biométrique commun, annoncée lors de l’allocution du président en exercice de cette Confédération, le Colonel Assimi Goïta, vise à faciliter la libre circulation entre les trois pays membres, mais là encore, aucune consultation populaire n’a été menée pour évaluer l’impact de cette mesure sur la vie quotidienne des citoyens.
Un contraste avec les réalités socio-économiques
Alors que les dirigeants de l’AES mettent en avant la souveraineté et l’indépendance comme piliers de leur gouvernance, la réalité économique des pays membres contraste fortement avec ces ambitions. Le Mali, le Burkina Faso et le Niger figurent parmi les nations les plus pauvres au monde.
Selon les données du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), ces pays se classent en bas de l’Indice de Développement Humain (IDH), avec des taux de pauvreté élevés, une éducation déficiente et des infrastructures de santé insuffisantes.
Cette situation est aggravée par une crise énergétique qui freine considérablement le développement économique. Les pays de l’AES connaissent des coupures d’électricité fréquentes, qui affectent gravement les services publics et les industries. Ces crises internes rendent difficile la mise en œuvre des ambitions d’indépendance économique et politique affichées par les dirigeants de l’AES. L’absence de consultation populaire sur ces questions économiques et sur les projets d’intégration régionale pourrait accentuer le fossé entre les gouvernants et les gouvernés.
Aussi, l’une des critiques majeures adressées à l’AES concerne le manque de légitimité des décisions prises depuis sa création. Les dirigeants de l’alliance, bien qu’issus de transitions militaires, avaient promis une gouvernance plus participative, mais en pratique, ils ont évité toute forme de consultation démocratique. Cette approche non consultative pourrait à terme mettre à mal la légitimité de l’AES, d’autant plus que la situation sécuritaire, régulièrement invoquée pour retarder les élections, reste largement précaire.
Les décisions unilatérales concernant la sortie de la CEDEAO, la création de la Confédération des États du Sahel, ou encore le lancement du passeport biométrique commun, montrent que les principes de souveraineté et de rapidité d’action priment sur les engagements de consultation et d’ouverture. Si les dirigeants de l’AES continuent à gouverner sans associer les populations, ils risquent de reproduire les mêmes erreurs que les régimes qu’ils critiquaient.
Force est de constater qu’un an après sa création, l’Alliance des États du Sahel se trouve à un carrefour. Bien que des succès militaires aient été obtenus, les promesses de rupture avec les pratiques autocratiques des régimes précédents semblent inabouties. L’absence de consultation populaire sur des décisions aussi majeures que la sortie de la CEDEAO, la création de la Confédération des États du Sahel et le lancement du passeport biométrique questionnent la légitimité de ces choix.
Si les dirigeants de l’AES souhaitent consolider leur pouvoir et renforcer la confiance avec les populations, ils devront s’engager de manière plus transparente et inclusive dans les processus de prise de décision. Sans cela, le fossé entre les gouvernants et les gouvernés pourrait s’accentuer, fragilisant à terme la stabilité de cette nouvelle alliance.
Cheick B. CISSE