Le 1er février 2010, un juge antiterroriste et quatre experts en sécurité ont quitté Nouakchott. L’Union européenne (UE) les avait mandatés pour élaborer une stratégie permettant de mieux lutter contre Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). La nébuleuse terroriste a commencé à prendre la Mauritanie pour cible en décembre 2007, avec l’assassinat de quatre touristes français.
Depuis, c’est la série noire : carnage lors de l’attaque d’une patrouille militaire dans le désert en septembre 2008, meurtre d’un humanitaire américain en plein Nouakchott en juin 2009, attentat suicide-le premier dans l’histoire du pays-contre l’ambassade de France en août, enlèvement de trois volontaires espagnols en novembre, puis d’un couple italo- burkinabè en décembre… AQMI varie ses méthodes et ses cibles, frappe dans le Nord comme dans le Sud et trouve des relais locaux. La menace devient insaisissable.
Pour Mohamed Ould Abdelaziz, c’est un défi. Avec son uniforme de général et sa réputation d’homme fort, il s’est présenté comme un rempart contre le terrorisme lors du putsch d’août 2008. Elu à la présidence un an plus tard, il a renouvelé sa promesse, pour que «la société mauritanienne demeure ce qu’elle a toujours été par le passé, paisible et tolérante». Ses paroles n’ont visiblement pas porté leurs fruits. Coup de projecteur sur une menace insaisissable.
Pourquoi la Mauritanie ?
Avatar du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) algérien, AQMI «cherche à donner la preuve que son champ d’action n’est plus limité à l’Algérie», explique Mohamed Benhammou, président du Centre marocain d’études stratégiques. Selon lui, «le pays a l’avantage d’être, un territoire mou».
En clair, un territoire que l’Etat contrôle mal parce qu’il est vaste (1 million de km2) et très peu peuplé (3 habitants au km2). Objet d’une surveillance approximative, les frontières avec l’Algérie et le Mali, bases arrières d’AQMI, sont faciles à franchir.
Autre atout pour AQMI : contrairement à leurs homologues algériens, rompues à la lutte antiterroriste depuis le début des années 1990, la police et l’armée mauritaniennes n’ont pas été formées pour faire face à ce phénomène. Leur équipement est également insuffisant (satellites et hélicoptères notamment).
En revanche, «les motivations idéologiques sont absentes», estime un ancien ministre. Il était possible en 2007 et en 2008, de croire que la présence d’une ambassade d’Israël à Nouakchott nourrissait l’ire d’AQMI. Mais le gel des relations avec l’Etat hébreu, en janvier 2009, n’a pas mis fin aux attentats. «Cela réduit le problème à un défi de sécurité», poursuit la même source.
AQMI ne présentant aucune revendication précise, la réponse aux attentats ne peut être politique. Le développement fait cependant partie de la solution. Pauvreté, chômage, oisiveté, petits larcins : à voir le parcours de Sidi Ould Sidina, l’un des assassins présumés des touristes français, le jeune homme a choisi le djihad à défaut d’autres horizons.
Qui sont les partenaires de l’Etat mauritanien ?
Visite de Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées, en octobre, réaffirmation de la confiance de Nicolas Sarkozy quelques jours plus tard : la Mauritanie peut compter sur la France. En janvier, Paris a envoyé du matériel militaire à Nouakchott. La France contribue aussi à la formation de la police et de la gendarmerie et partage des informations. Mais c’est insuffisant.
Les experts insistent : le problème est régional. L’échange de renseignements sur les déplacements, la biographie des terroristes entre la Mauritanie et ses voisins est donc nécessaire.
Le Maroc a répondu présent. Déjà, en décembre 2007, il a fait analyser les douilles récupérées après l’assassinat des Français. Selon plusieurs sources, l’Algérie est coopérative. Les relations avec le Mali sont en revanche plus délicates. «On espère que Bamako va faire plus d’efforts», dit un diplomate.
Mali
En mi-janvier 2012 (17 janvier), des attaques simultanées ont été menées par des éléments rebelles touaregs sur les garnisons de Tessalit, Aguel hoc et Ménaka marquant ainsi le déclenchement d’un nouveau conflit dans le nord du Mali. Ces attaques ont culminé avec la prise par les rebelles d’Aguel hoc qui aurait été suivie de massacres de militaires et civils par la rébellion.
Depuis, les informations en provenance de la zone se font rares et de rumeurs en communiqués laconiques on est réduit à des recoupements pour établir des certitudes. Ainsi, l’on sait que Ménaka est hors contrôle du gouvernement du Mali, Léré est aussi, à ce jour, hors contrôle de l’Etat, Tinzawaten (frontière algérienne) est prise par la rébellion.
Les causes du conflit
Le conflit actuel est un ensemble de prophéties auto-réalisatrices. Le président ATT, à son arrivée au pouvoir en 2002, a commencé par nommer Mohamed Ag Hamani Premier ministre. Par ce geste, ATT estime avoir réglé la dette qu’il doit aux Touaregs qui l’on accusé d’avoir ordonné les exactions et les exécutions sommaires des populations arabo-touarègues entre 1991 et 1992. Il a démantelé le commissariat au Nord qui est la structure politique chargée de l’application du Pacte national et l’a remplacé par l’ADN-structure décentralisée à Gao et relocalisée ensuite à Bamako.
La démission d’Ag Hamani en 2005 a créé une déconnexion entre les Touaregs et le sommet de l’Etat-connexion que certains leaders (surtout militaires) jugent crucial pour leur survie (tout ce qui se fait sans toi se fait contre toi). Cette rupture entre certains leaders touaregs (surtout Iyad Ag Ghali) et le sommet de l’Etat va être la cause du soulèvement du 23 mai 2006 avec l’attaque des casernes de Kidal et de Ménaka.
Les attaques du 23 mai à Kidal et Ménaka ont pour réponse la stigmatisation des Touaregs : «J’ai nommé un 1er Ministre parmi eux. Qu’est-ce qu’ils veulent …» et l’exacerbation des clivages inter-touaregs. Le gouvernement a immédiatement dépêché Alhadji Ag Gamou (Imghad) à Kidal pour mater les Ifoghas, jouant ainsi le jeu inverse d’Alpha Oumar Konaré en 1993-1994 quand il a aidé les Ifoghas à écraser l’ARLA des Imghads.
Pour ATT, le plus grand danger pour le Mali ce sont les Touaregs et non AQMI et tous les moyens pour les contenir sont légitimes. Il a d’abord entrepris de les diviser et les opposer :
– Imghads contre Ifoghas à Kidal.
– Arabes contre Touaregs à Tombouctou. Le retour des soldats libyens a été géré dans cette optique, les différents groupes devant faire allégeance au président de la République lors d’une cérémonie à Koulouba avec les fastes pour les alliés et le service minimum pour les autres. Au total, le retour des Libyens a amplifié un malaise latent et sur la militarisation de la zone en début janvier 2012 a servi de détonateur à la crise.
L’élément AQMI
Le GSPC des années 1990 à 2000 est devenu AQMI au milieu des années 2000. L’émir historique du GSPC, Moktar dit Bellawa, a toujours entretenu des relations étroites d’affaires avec les Arabes de Tombouctou et Gao et avec des fonctionnaires de ces régions. Il s’est marié avec une femme de la tribu des Tormoz (Nord de Lerneb).
Au Mali, AQMI a deux branches divisées en trois katibas. La branche originelle dirigée par Mokhtar Ben Mokhtar dit Bellawa opère surtout dans la zone ouest- Taoudeni- frontière mauritanienne et regroupe tous les djihadistes bérabiches et mauritaniens ainsi que des Algériens. Mokhtar Ben Mokhtar dit Bellawa est allié à des bérabiches qui sont aussi les alliés du pouvoir central à Bamako. La branche Est, organisée autour des katibas d’Abou Zeid et Abdoul Karim (Touareg Ifoghas) est proche d’Iyad Ag Ghali et elle est la plus radicale.
Apparemment, avec l’éclatement du conflit dans le nord du Mali en janvier 2012, la plupart des éléments bérabiches de Mokhtar Ben Mokhtar ont rejoint les milices bérabiches alliées à l’armée malienne pour la sécurisation de Tombouctou. Les combattants d’Abou Zeid et Abdoul Karim ont rejoint le MNLA pour combattre aux cotés d’Iyad Ag Ghali. Il s’agit pour chaque groupe de récupérer ses forces en période de crise.
Les entraves à la négociation
Le gouvernement actuel ne s’est ménagé aucune marge de manœuvre pour la négociation. Il a opté pour la stratégie du blocage des issues et l’option nationale n’est pas préparée à des concessions. Le gouvernement actuel est celui qui a négocié les accords d’Alger qu’il n’a pas mis en œuvre ; sa crédibilité s’en trouve fortement altérée. La rébellion est unie dans la guerre et le terrain médiatique est occupé par des seconds couteaux. Avec qui négocier ? Que négocier ?
Pour répondre à ces questions, la rébellion dans sa composition actuelle a besoin de se structurer et d’harmoniser ses positions, ce qui est plus difficile que l’unité face à un «ennemi commun».
Le Mali est un pays de concentration de l’opération Barkhane et champ d’expérimentation de la nouvelle forme de lutte contre le terrorisme, notre pays est profondément instable.
Le président IBK, plébiscité en août 2013, a vite dilapidé son capital de confiance : la gestion catastrophique de la question du Nord qui a culminé avec les évènements de Kidal des 17 et 21 mai 2014, les différents scandales financiers cumulés en si peu de temps et sa propension à l’exercice solitaire du pouvoir en ont fait la cible de toutes les critiques.
Pour IBK, aujourd’hui, la question du Nord sert plus à détourner l’attention des ressources naturelles, en un mot la mal-gouvernance. Le pire des scenarii serait une contestation populaire contre le régime en place et contre laquelle aucune force extérieure ne saurait intervenir. Ce scenario est aujourd’hui plus que plausible.
Safounè KOUMBA