Le 25 octobre 1960, le Mali et la Chine établissaient les relations diplomatiques. Depuis, le partenariat entre les deux pays n’a cessé de se développer, résistant à toutes les épreuves internes et internationales. A l’occasion du 51è anniversaire de l’établissement de ces relations, l’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la Chine dans notre pays, Cao Zhongming, nous a accordé une interview exclusive que nous vous proposons.
L’Essor : Vous avez pris fonction comme ambassadeur de la République Populaire de Chine à Bamako il y a environ six mois. Qu’est-ce-qui vous a frappé depuis votre arrivée au Mali ?
Cao Zhongming : C’est un grand honneur pour moi de prendre mon premier poste en qualité d’ambassadeur au Mali. Dès mon arrivée dans ce beau pays, j’ai fortement senti l’hospitalité des Maliens, ainsi que leur amitié profonde à l’égard du peuple chinois. J’ai également une forte impression sur la solidité et la vitalité de la coopération amicale sino-malienne. Depuis l’établissement des relations diplomatiques, nos deux pays s’en tiennent toujours aux principes dits « amitié sincère, traitement d’égal à égal, soutien mutuel », et chaque partie veille à prendre en considération les préoccupations de l’autre partie. La coopération amicale sino-malienne a pu résister aux épreuves du temps et aux aléas internationaux, et elle s’est profondément enracinée dans les esprits et s’est avérée toujours plus forte. Ce genre d’amitié qui s’implante dans l’esprit du peuple malien, m’a beaucoup impressionné. Je suis au Mali, mais je ne me sens point étranger. Le gouvernement malien m’offre un soutien précieux dans mon travail. Je lui en suis très reconnaissant. Durant mon séjour depuis plus de 6 mois, je constate que le Mali est un pays où règne la paix et la stabilité et dont l’économie se développe à un rythme soutenu. En tant qu’ami sincère du peuple malien, je m’en réjouis du fond du coeur et j’ai la conviction que le peuple malien pourra enregistrer, grâce à ses efforts inlassables, de nouveaux progrès encore plus importants.
L’Essor : Le 25 octobre marque le 51è anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre le Mali et la Chine. Que doit-on retenir du demi-siècle de coopération entre les deux pays ?
C. Z. : Le Mali figure parmi les premiers pays subsahariens qui ont établi des relations diplomatiques avec la République populaire de Chine. L’amitié traditionnelle entre les deux pays repose sur une base solide. La Chine remercie la partie malienne pour ses soutiens constants sur les questions qui touchent aux intérêts essentiels de la Chine. Considérant le Mali comme un ami de tout temps, la Chine accorde une grande importance à la coopération sino-malienne dans les affaires internationales ou régionales, et elle est prête à accompagner et assister le Mali dans son développement. Grâce aux efforts conjoints, les relations bilatérales se renforcent de jour en jour, la coopération dans tous les domaines s’intensifie. Les relations économiques et commerciales entre les deux pays ont connu une croissance rapide et tous azimuts. Jusqu’à présent, la Chine a apporté une grande contribution au développement socio-économique au Mali avec la réalisation d’une centaine de projets d’assistance parmi lesquels je peux citer des stades sportifs, le CICB, l’Hôpital du Mali, le troisième pont de Bamako, etc. Quant à la Comatex et à Sukala, deux unités industrielles co-financées et construites par les deux pays, elles contribuent à augmenter les recettes fiscales, à créer des emplois et à renforcer la capacité d’autonomie du Mali. D’autres travaux d’infrastructures tels que les routes, les logements, l’électricité et les télécommunications sont exécutés par des entreprises chinoises. Jusqu’à la fin de 2010, la partie chinoise a formé 597 maliens de haut talent dans divers domaines. Cette année, ce chiffre s’accroit de 185 personnes. De janvier à juillet 2011, le volume des échanges entre le Mali et la Chine a atteint 260 millions de dollars (environ 130 milliards de Fcfa), soit une croissance de 48,5%. Par rapport à la même période de l’année dernière, le volume des importations de la Chine en provenance du Mali se chiffrait à 100 millions de dollars (environ 50 milliards de Fcfa).
L’Essor : Le pont de l’Amitié sino-malienne à Bamako a été inauguré le 22 septembre passé à l’occasion de la fête nationale du Mali. Quel sens donnez-vous à cette réalisation emblématique ? Quels sont, à votre avis, les projets les plus importants en cours de réalisation ou à venir ?
C. Z. : Le 3è pont de Bamako est jusqu’à présent le plus grand ouvrage réalisé par l’assistance chinoise non seulement au Mali et mais aussi en Afrique de l’ouest. Le gouvernement chinois et celui du Mali ont attaché une grande importance à ce projet. La partie chinoise a choisi avec beaucoup de soins le projet de conception et envoyé une équipe riche d’expérience pour la construction. Les techniciens des deux pays se soutenaient et travaillaient en étroite coordination tout en surmontant les diverses difficultés. Avec la sagesse et la sueur, ils ont hissé un nouveau monument symbolisant l’amitié sino-malienne. La construction du 3è pont est une nouvelle manifestation vivante des relations de coopération amicale entre les gouvernements et peuples frères. J’ai la conviction que la mise en service anticipé de l’ouvrage a facilité largement les déplacements des habitants des deux rives du fleuve Niger et donné une impulsion au développement économique du pays. Il est devenu un élément magnifique du paysage de la ville de Bamako et un symbole de la grande amitié sino-malienne. La partie chinoise considère les préoccupations du Mali comme les siennes et s’efforcera de faire avancer les projets prioritaires proposés par le gouvernement malien. Les travaux de la route Bamako-Ségou vont bientôt démarrer. La construction de la nouvelle sucrerie N-Sukala avance dans des conditions favorables. La partie chinoise est en train de promouvoir activement les dossiers relatifs à la fourniture de médicaments contre le paludisme, au financement de projets d’envergure sous forme de crédit et à l’aide chinoise dans des secteurs comme l’école, les forages, l’énergie solaire et les centres pilotes d’agriculture. La Chine entend agir de concert avec le gouvernement malien, pour mener à bien les projets en cours et élaborer en temps opportun de nouveaux projets.
L’Essor : Vers quels domaines la coopération entre les deux pays devrait-elle, selon vous, s’orienter dans les années à venir ?
C. Z. : Dans les années à venir, la Chine continuera de s’informer sur les préoccupations du gouvernement et du peuple maliens, et donnera la priorité aux besoins urgents, conformément aux principes « égalité et avantage réciproques, efficacité, diversité des formes et développement commun ». Dans le cadre du Forum sur la coopération sino-africaine, la Chine va s’efforcer d’accorder des aides au développement économique, à la réduction de la pauvreté et à l’amélioration de la vie de la population afin d’apporter sa contribution à la réalisation du Projet pour le développement économique et social (PDES) du président Touré. Concrètement, la Chine, dans la mesure de ses possibilités, va multiplier ses aides et améliorer leurs effets tant au plan économique que dans le domaine social. Tout en poursuivant la construction d’infrastructures importantes, nous orienterons davantage les assistances vers les domaines touchant au bien-être du peuple malien tels que l’agriculture, l’éducation, la santé, la réduction de la pauvreté et l’eau potable pour aider le Mali à réaliser au plus tôt les Objectifs du millénaire pour le développement. Par ailleurs, la Chine envisage d’encourager des entreprises chinoises performantes et crédibles à investir et développer leurs activités au Mali. Elles pourront promouvoir le développement de l’industrie manufacturière et de transformation, l’exploitation des ressources naturels et la création des emplois. En même temps, nous orienterons nos entreprises pour qu’elles assument plus de responsabilités sociales et oeuvrent pour le mieux-être de la population. Comme souvent, je cite un proverbe chinois qui dit : « il vaut mieux apprendre à pêcher que de donner des poissons ». Nous accorderons une plus grande importance à l’association entre la coopération économique et commerciale et le transfert de technologies. Nous voulons former pour le Mali plus de techniciens et de cadres administratifs, afin d’augmenter sa capacité de développement autonome.
L’Essor : La Chine est devenue en l’espace de quelques années la deuxième puissance économique du monde. Elle continue cependant à se considérer comme un pays en voie de développement. Comment expliquer ce décalage ?
C. Z. : Depuis la mise en application de la réforme et de l’ouverture, il y a plus de 30 ans, la Chine a maintenu une croissance de PIB rapide et stable. Son volume économique global augmente sans cesse et des progrès remarquables ont été enregistrés dans son développement. Selon le volume de son PIB, la Chine a dépassé le Japon et gagné la deuxième place mondiale en 2010. Mais il nous faut être bien conscients des retards et des points faibles de l’économie chinoise. Le PIB est l’un des indices essentiels pour mesurer la puissance économique d’un pays, mais pas le seul. La Chine possède une population nombreuse et une base économique faible. Les fruits du développement économique et social sont partagés par plus de 1,3 milliard de personnes. En 2010, en termes de PIB par habitant, la Chine se classait autour du 100è rang mondial avec 4400 de dollars (environ 2200 000 Fcfa). D’après le critère de revenu d’un dollar par personne et par jour fixé par les Nations unies, aujourd’hui la Chine compte encore 150 millions d’habitants vivant sous le seuil de pauvreté. Les inégalités de développement entre les milieux urbain et rural et entre les différentes régions restent fortes. Les contradictions structurelles entre le développement économique et social sont criardes. Le changement du mode de développement économique constitue une tâche très dure. Le niveau de vie de la population chinoise et le système de sécurité sociale sont loin d’être satisfaisants, et un écart important persiste face aux pays développés. La modernisation de la Chine concerne un cinquième de la population mondiale. Les difficultés et les problèmes rencontrés durant cette période, qu’il s’agisse de leur nombre ou de leur ampleur, restent uniques dans le monde actuel et même très rares dans l’histoire humaine. La Chine est et sera un pays en développement pour une longue période. Nous en sommes bien conscients. Mais en tant que plus grand pays en développement, la Chine assumera ses responsabilités internationales en fonction des possibilités réelles et jouera un rôle positif et constructif dans les affaires internationales.
L’Essor : De plus en plus de Maliens se rendent en Chine pour diverses raisons. Que fait l’ambassade pour faciliter l’obtention du visa pour les Maliens qui désirent se rendre en Chine ?
C. Z. : Le grand philosophe de la Chine antique, le Confucius, a dit : « La venue d’un ami de loin nous donne une joie particulière ». Le peuple chinois bien accueillant souhaite la bienvenue aux amis Maliens à découvrir la Chine et y faire des études, du commerce. Ces dernières années, la coopération sino-malienne dans tous les domaines gagne en profondeur, et les échanges personnels deviennent de plus en plus fréquents. Pour faciliter le voyage en Chine des Maliens, le service consulaire de l’ambassade a beaucoup travaillé pour améliorer l’environnement de la salle d’accueil et aider les demandeurs de visa à préparer les dossiers nécessaires. Notre consul fait souvent des heures supplémentaires pour traiter les dossiers de demande de visa. A cet égard, le nombre croissant de visas délivrés par l’ambassade est une preuve bien éloquente.
L’Essor : Pouvez-vous nous donner le nombre de Chinois résidant au Mali ? Dans quelles branches d’activité exercent-ils ? Ont-ils des difficultés à s’intégrer ?
C. Z. : D’abord, l’ambassade de Chine n’impose pas l’inscription obligatoire à la communauté chinoise au Mali. Et compte tenu de la mobilité de certains de nos compatriotes qui voyagent fréquemment entre le Mali et les pays voisins, il est difficile de donner un chiffre exact. Selon notre estimation, le nombre des Chinois résidant au Mali devrait être d’environ 1500. La plupart des Chinois sont employés dans les entreprises chinoises ou maliennes. Il y a aussi ceux qui travaillent dans le secteur de services comme par exemple la restauration et la réparation de véhicules. Je trouve que la langue et les différences culturelles font obstacle pour la plupart du temps à leur intégration à la société malienne. Mes compatriotes ont besoin de mieux connaître la culture et les traditions sociales du Mali. L’amitié entre nos deux peuples est illustrée non seulement par les projets gigantesques comme le 3è pont de Bamako, mais aussi par les gestes amicaux quotidiens entre les Chinois et les Maliens ordinaires. Au Mali, même les enfants peuvent nous dire bonjour en chinois. Cela me touche beaucoup. L’Essor : A votre avis, le modèle de développement chinois peut-il servir d’exemple pour le Mali et les autres pays africains ? C. Z. : Depuis la fondation de la Chine nouvelle, il y a plus de 60 ans, et notamment depuis la mise en application de la réforme et de l’ouverture, il y a plus de 30 ans, la Chine s’efforce de trouver une voie de modernisation correspondant à sa propre situation et aux exigences de l’époque. Grâce à des efforts acharnés, la Chine a trouvé une voie de développement conforme à ses propres conditions. C’est à dire un socialisme à la chinoise. En suivant cette voie, nous avons obtenus des résultats remarquables. Mais cette voie a encore besoin d’être perfectionnée au cours du processus de développement. Pas mal de gens essaient de faire des ordonnances à l’Afrique pour son développement. Je pense que il n’y a pas un modèle de développement à calquer partout. Les conditions varient selon les pays. Il n’existe pas un modèle de développement idéal, universel et immuable. Il est hasardeux et même dangereux de copier aveuglément le modèle d’un autre pays. En la matière, il ne manque de leçons douloureuses dans l’histoire. Bien sûr, tout pays a besoin d’apprendre et de s’inspirer des expériences d’autres pour son développement. Mais il lui faut tenir compte de ses conditions spécifiques et compter sur les efforts de son peuple. Le Mali et les autres pays africains doivent partir de leurs réalités et emprunter une voie qui leur est propre.
L’Essor : Le gouvernement chinois a récemment publié un livre blanc intitulé « la Chine et son développement pacifique ». Dans quel esprit s’inscrit aujourd’hui l’action diplomatique de la Chine ?
C. Z. : A travers le Livre blanc intitulé « la Chine et son développement pacifique », la Chine a une fois de plus solennellement déclaré au monde que le développement pacifique était un choix stratégique nécessaire pour la réalisation de sa modernisation, l’enrichissement de sa population, le renforcement de sa puissance et une plus grande contribution de sa part à la progression de la civilisation mondiale. Pourquoi un choix stratégique nécessaire ? Tout d’abord, le développement pacifique de la Chine n’est pas un arbre sans racine, ni un fleuve sans source. Le peuple chinois préconise, depuis toujours, une philosophie fondée sur « l’entente respectueuse de la diversité », « l’unité entre le Ciel et l’Homme », et « la primauté de la paix ». En raison de cette culture de l’harmonie, la nation chinoise a développé un caractère pacifique. Ensuite, au lieu d’être une politique de circonstance, le développement pacifique de la Chine est une stratégie à long terme basée sur ses conditions spécifiques. Comme je vous ai expliqué tantôt, la Chine restera encore un pays en développement pendant une longue période. Face à cette réalité, elle doit concentrer ses forces sur la modernisation et la résolution des problèmes de développement et le bien-être du peuple. Elle a besoin d’un environnement international pacifique et stable pour pouvoir entreprendre, échanger et coopérer avec l’étranger. Finalement, le développement pacifique de la Chine est un choix rationnel adapté à la tendance générale mondiale. Au moment où la mondialisation économique est devenue une tendance importante et influence les relations internationales, des pays de différents types et de différents régimes se trouvant à diverses étapes de développement dépendent les uns des autres. Leurs intérêts s’entremêlent. Ils forment une communauté dans laquelle les pays s’enchevêtrent et partagent le même destin. Toute confrontation générale entre des pays n’entraînera que des défaites pour toutes les parties. Le développement pacifique de la Chine a brisé le modèle traditionnel de la montée en puissance, adopté dans l’histoire moderne par certains grands pays qui ont prétendu à l’hégémonie en devenant puissants. Toutes les personnalités clairvoyantes doivent abandonner la théorie « de la menace chinoise » cuisinée par des gens ayant des arrière-pensées. Il faut rechercher ensemble, une nouvelle voie permettant aux pays de travailler de concert afin de relever les différents défis et réaliser un développement inclusif. La Chine a besoin de la compréhension et du soutien de la communauté internationale pour son développement. Nous exprimons nos sincères remerciements aux pays et aux peuples qui l’ont compris et continuent de nous soutenir. Un proverbe africain dit : « seul on va plus vite, ensemble on va plus loin ». Le peuple chinois est prêt à travailler, sans relâche et avec tous les peuples, pour voir se réaliser les beaux idéaux de l’humanité.
Propos recueillis par
M. KEITA