Au delà de la fin des investissements libyens, le Mali risque de perdre aussi sa stabilité. Des centaines de Touaregs maliens attirés par l’argent combattent aux côtés des forces de Mouammar Kadhafi mais la fin du dirigeant libyen les pousse à rentrer au Mali, avec des armes ramenées du front, faisant ainsi peser une menace sur la paix au Sahel.
Au cours des 20 dernières années, Mouammar Kadhafi a été le principal soutien financier des régimes successifs au Mali. Ses investissements dans différents secteurs sont évalués à des centaines de milliards de FCFA. La fin du règne du Guide sera ressentie très lourdement à Bamako autant sur le plan économique que stratégique et cela pour cause. En effet, le régime de Kadhafi, confronté depuis la mi-février à une rébellion appuyée par les avions de l’OTAN, se serait notamment appuyé sur des Touaregs maliens pour combattre les insurgés. M. Kadhafi a en effet fait appel aux Touaregs du Mali et du Niger en renfort afin de sécuriser le sud du pays, en vertu d’un accord datant de 1980. Le retour de ces derniers dans leurs territoires d’origine pourrait déstabiliser davantage encore une zone sahélienne déjà fragilisée.
Si le Colonel Kadhafi se dit Touareg de par sa filiation maternelle, c’est davantage dans l’Histoire qu’il convient de trouver les fondements de cette relation fratricide et au cours de laquelle le Guide a tenté de conserver les rênes de la paix dans la zone. Plusieurs éléments touaregs sont alors membres de la légion islamique, mise en place par Kadhafi en 1969 dans le but de contribuer à la création d’un Etat islamique en Afrique du Nord et se sont établis en Libye après le démantèlement de la légion en 1980. De 1981 à 1991, le Colonel aurait même installé un camp d’entrainement qui leur était destiné dans ces régions septentrionales. De nombreux acteurs clefs au Sahel, tel que l’ancien chef rebelle du Mali Ibrahim Ag Bahanga – qui a momentanément trouvé refuge à Tripoli – en sont d’ailleurs issus. M. Kadhafi ne cessera dès lors de tenter de conforter cette position de pivot et d’étendre son influence au travers de ce peuple nomade. En avril 2006, lors de la fête du Mouloud à Tombouctou, le Guide a mis en place la « grande association des tribus du grand Sahara » regroupant les Touaregs d’Algérie, du Mali et du Niger ; un projet initié en 2005, où au cours d’une réunion dans la ville frontière d’Oubari, il avait explicitement poussé les Touaregs à se fédérer en une force politique et militaire. Il a depuis oscillé tantôt entre la posture de médiateur et celle de porte-parole des Touaregs, comme lorsqu’en en août 2008 au cœur de la rébellion maliano-nigérienne, il s’était entretenu avec le chef des bandits armés du Niger, Aghali Alambo, contribuant à leur faire abandonner les armes.
Et dès le commencement de cette crise libyenne, le 17 février dernier, c’est tout naturellement que ces Touaregs se sont à nouveau rapprochés de M. Kadhafi. Ils auraient participé aux manifestations de soutien au Guide rapportées au début du mouvement de violences, arrivés à bord d’un gros porteur à l’aéroport de Tripoli. Aujourd’hui encore, les troupes du General Ali Kana – Touareg en charge des garnisons du Sud – font partie de la garde rapprochée de M. Kadhafi et constituent une base-arrière militaire stratégique du régime central de Tripoli. Aghali Alambo, l’ancien patron controversé du MNJ au Niger, serait également actuellement dans la capitale et les anciens rebelles du sud libyen à Sebah et Oubari. Un bureau de recrutement discret aurait été installé dans un hôtel de Bamako appartenant à la Libye et les entretiens auraient été menés par un diplomate libyen qui servirait d’agent recruteur, en liaison directe avec ceux postés directement en zone sahélienne.
Ces Touaregs sont assimilés à ses mercenaires privilégiés, sans lien de consanguinité ni d’ethnie, étrangers aux aspirations libertaires des Libyens. A terme, forts de l’argent et des moyens logistiques collectés lors de cette crise libyenne, ils pourraient développer leurs activités et multiplier les rezzous (pillages), contribuant par là-même tant à la remise en cause qu’à la destruction des structures et schémas traditionnels locaux, dans des pays où la paupérisation et la famine sont déjà ancrées. Organisés et galvanisés par la lutte, structurés par cette session d’entrainement libyenne, s’appuyant sur des moyens logistiques leur conférant une mobilité accrue – notamment via la récupération de véhicules – ils devraient tenter de procéder méthodiquement à la récupération des zones du nord malien et nigérien.
Un schéma de guerres claniques à l’image de celui observé en Somalie reste probable – la Libye étant un conglomérat qui s’appuie sur une structure tribale fractionnée de plusieurs centaines de groupes –, mais les Touaregs devraient avant tout asseoir leur influence, déjà conséquente, dans les zones volatiles nordistes du Mali et du Niger.
Au Mali, où le gouvernement est particulièrement soucieux de maintenir l’équilibre entre la souveraineté et la quasi-autonomie de l’extrême nord du pays, la présence excessive de l’armée y suscitait déjà depuis plusieurs mois une certaine ferveur, encourageant les Touaregs à y reprendre les armes. Aussi, une fois revenus sur ces territoires, où l’implantation et l’implication de mouvements djihadistes dont certains ne se sentent plus concernés par l’accord implicite passé avec les autorités bamakoises est de plus en plus importante, ces éléments touaregs devraient trouver un champ d’action d’autant plus favorable ; champ d’action qui sera de facto exploité par AQMI, qui entend de la même manière jouir de l’ensemble de ces zones de non-droit.
Le risque d’un réarmement d’AQMI
À chaque conflit, ses profiteurs de guerre. La crise en Libye a déjà trouvé les siens: les combattants d’al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), qui sont devenus, depuis le début des frappes, les destinataires d’un trafic d’armes organisé par les islamistes.
Le 12 juin dernier, l’armée nigérienne a saisi à la frontière 640 kg d’explosifs et presque autant de détonateurs en provenance des stocks d’armes libyens abandonnés par les forces de Kadhafi, soumises aux bombardements de l’Otan. Selon les informations obtenues par Le Figaro, l’explosif était du semtex, un matériel de qualité militaire. Un deuxième véhicule, lui aussi rempli d’armes, aurait échappé aux soldats nigériens et se serait évanoui dans la nature.
Opérations d’interception
Ce n’est pas la première fois que des armes et des munitions en provenance de Libye ont été interceptées dans la région du Sahel, où ont pris pied les djihadistes d’Aqmi. La France, qui déploie dans cette zone – où quatre de ses ressortissants sont retenus en otages par Aqmi – de gros moyens de renseignement et des forces spéciales, y effectue régulièrement, dans la plus grande discrétion, des contrôles et des opérations d’interception. «Les forces françaises déployées dans le Sahel savent où sont les groupes, elles les suivent, elles voient tout. Elles sont déjà tombées sur des véhicules transportant des armes en provenance de Libye. Mais elles n’interviennent pas toujours, afin de ne pas mettre en danger la vie des otages», explique un spécialiste du dossier.
Selon un responsable français interrogé par Le Figaro, les tentatives d’infiltration d’Aqmi en Libye, qui voulait y mener «des opérations antioccidentales», ont pour l’instant échoué. Comme ont échoué les velléités d’infiltrer le Conseil national de transition (CNT) d’islamistes affiliés à al-Qaida. Les autorités françaises ont en revanche acquis la certitude qu’Aqmi a réussi à se procurer des armes lourdes et peut-être même des missiles sol-air provenant des stocks de Kadhafi. «La crise libyenne constitue un effet d’aubaine pour Aqmi», poursuit cette même source.
La France, dont Aqmi a fait sa cible principale, n’est pas la seule à s’inquiéter des débordements de la crise libyenne dans le Sahel. Réunis jeudi à Madrid, les ministres de l’Intérieur du G6, un groupe informel réunissant les six plus grands pays de l’Union européenne, se sont inquiétés de «l’apparition d’armes de l’armée libyenne entre les mains des terroristes». «La crise en Libye a une influence sur Aqmi», a admis Alfredo Pérez Rubalcaba, le ministre espagnol, soulignant le risque d’une expansion de l’organisation terroriste dans la région et exhortant ses collègues européens à agir d’urgence pour la freiner. Traditionnellement implantée en Mauritanie, au Niger et au Mali, al-Qaida au Maghreb islamique a récemment créé de nouvelles cellules au Sénégal et au nord du Nigeria.
Ce développement de l’organisation terroriste inquiète également les gouvernements des pays du Sahel, principalement malien qui risque gros dans cette sale affaire.
Synthèse, Abdoul Karim Maïga