Analyse sur la pertinence de l’élaboration d’un contrat pour les achats publics au-dessous du montant de 5 millions de F CFA au sens du code malien des marchés publics et de son arrêté d’application.
Pour mieux aborder ce sujet, il y a lieu de fixer une délimitation du champ d’intervention aux termes suivants : contrat administratif, marchés publics, facture pro forma.
Un contrat administratif est avant tout un contrat, c’est-à-dire un accord de volonté créant des obligations entre les parties. Le contrat administratif est une notion qui s’identifie plus qu’elle ne se définit, selon deux techniques : la qualification légale et la qualification jurisprudentielle. La qualification de contrat administratif entraîne l’application d’un régime juridique qui, a de nombreux égards, le différencie du contrat de droit privé et la compétence du juge administratif. Il arrive de plus en plus fréquemment que le législateur qualifie expressément un contrat d’administratif comme c’est le cas des marchés publics ou au contraire le contrat ne fait pas l’objet de qualification expresse par le législateur, en ce moment, la qualification jurisprudentielle intervient.
A ce niveau, le juge a érigé certains blocs de compétences, à savoir le critère organique (au moins une personne publique est partie au contrat) ; le critère matériel qui, pour qu’il soit rempli exige 2 alternatives : le rattachement au service public et l’exorbitance du contrat qui est la marque de la puissance publique.
Un marché public dans le sens du code malien est un contrat écrit conclu à titre onéreux par une autorité contractante pour répondre à ses besoins en matière de travaux, fourniture ou de service au sens du présent décret (décret n°2015-0604/P-RM du 25 septembre 2015 portant code des marchés publics et des délégations de service public).
Facture pro : c’est un document délivré par le vendeur pour confirmer les intentions de l’acheteur d’acheter la commande. C’est un document volontaire en principe mais qui peut être émis aussi sur demande comme l’a souligné l’article 23 de l’arrêté n°2015-3721/MEF-SG du 22 octobre 2015 fixant les modalités d’application du décret n°2015-0604/P-RM du 25 septembre 2015 portant code des marchés publics et des délégations de service public qui stipule que dans la procédure de demande de cotation, les propositions financières sont transmises sous forme de facture pro forma, sur la base des descriptions concises des fournitures ou prestations recherchées. Elles sont transmises par courrier administratif ou par courrier électronique. Cependant, il est important de mentionner qu’il est aussi un document juridique qui lie son auteur quant aux termes et conditions énoncées. Mais le plus important, est qu’il n’est pas un contrat, mais plutôt un document comptable tout comme la facture.
A la question de savoir, s’il faut un contrat pour les achats en dessous de 5 millions dans le contexte de la réglementation malienne, la difficulté de la réponse réside dans l’incompatibilité même des textes de passation des marchés publics en vigueur.
De prime abord, on est tenté d’affirmer que les achats publics au Mali dont la valeur est au-dessous de 5 millions ne nécessite par l’élaboration d’un contrat conformément à l’article 25 de l’arrêté d’application du code qui ne mentionne l’établissement des contrats que pour les demandes de renseignement et de prix.
Cependant, est-ce que cette disposition de l’arrêté d’application est compatible avec la définition des marchés publics contenue dans le décret n°2015-0604/P-RM du 25 septembre 2015 portant code des marchés publics et des délégations de service public qui dit clairement au risque de se répéter que le marché public est un contrat écrit. Est-ce une disposition de rang inférieur notamment l’arrêté n°2015-3721/MEF-SG du 22 octobre 2015 fixant les modalités d’application du décret n°2015-0604/P-RM du 25 septembre 2015 portant code des marchés publics et des délégations de service public peut contredire une disposition de rang supérieur (le code) ?
En vertu du principe de légalité, chaque norme juridique doit se conformer à l’ensemble des règles en vigueur ayant une force supérieure dans la hiérarchie des normes, ou du moins être compatible avec ces normes, ou encore non incompatible selon le degré de contrôle exercé entre les normes. La méconnaissance de ce principe est non seulement source de désordres juridiques, mais elle constitue également une faute de l’auteur du texte illégal, susceptible d’engager la responsabilité l’Etat, de la collectivité publique en cause devant les juridictions nationales, régionale ou internationales. La hiérarchie des normes est donc un classement hiérarchisé de l’ensemble des normes qui composent le système juridique d’un Etat de droit pour en garantir la cohérence et la rigueur. La hiérarchie des normes permet aux textes inférieurs de donner plus de détail pour une meilleure compréhension des textes supérieurs mais ne permet jamais qu’elle contienne des dispositions contraires à la norme qui leurs sont supérieurs.
Ainsi, le germe de l’incompatibilité au niveau des textes des marchés publics au Mali et aussi dans la zone de l’espace Uémoa, c’est ce rigorisme appliqué au niveau même de la définition des marchés publics. Peut-être que l’Uémoa et par voie de transposition, le législateur malien a voulu beaucoup plus de sécurité juridique quant aux marchés publics dans son texte fondateur mais par la suite l’architecte de la réglementation de la commande publique au Mali a été tenté d’adoucir par le biais de l’arrêté d’application, le 3721 les conditions de passation des petits achats en dessous de 5 millions FCFA.
N’eut été ce rigorisme dans le code, il serait bien possible de passer un marché public au Mali sans la conclusion d’un contrat, car on sait que le marché public comme mentionné plus haut fait partie de la catégorie des contrats administratifs et il n’est pas forcément dit que tous les contrats administratifs soient écrits. Le contrat est un accord de volonté créant des obligations entre parties et le contrat administratif est inclus dans cette définition générale mais qu’il sera distingué du contrat privé soit directement par le législateur ou par un faisceau d’indice qui permettra de le qualifier d’administratif.
L’arrêt du Conseil d’Etat du 20 avril 1956 des “Epoux Bertin” est évocateur à ce niveau pour comprendre que le contrat administratif n’est pas forcément écrit. En fait, il y a eu un accord verbal entre les Bertin et l’administration française pour nourrir de ressortissants soviétiques hébergés dans un centre de rapatriement. Mais le caractère verbal du contrat n’a pas suffi à lui ôter le caractère administratif. Le jugement a utilisé le critère de qualification jurisprudentielle en reconnaissant au contrat dans son objet l’exécution d’un service public, circonstance suffisante pour le juge d’imprimer le caractère de contrat administratif sans qu’il soit besoin de rechercher s’il comportait des clauses exorbitantes du droit commun. Il faut rappeler que le Conseil d’Etat en France est l’équivalent de la section administrative de la Cour suprême au Mali, les 2 sont les plus hautes juridictions en matière de contentieux administratif.
Sans ce carcan du terme de “contrat écrit” dans lequel la passation des marchés publics au Mali a été enfermée dans le décret n°2015-0604/P-RM évoqué plus haut, l’absence de contrat pour les achats en dessous de 5 millions ne constituerait aucune incohérence dans notre système de passation comme c’est le cas en France. D’un côté, le législateur malien a voulu épargner les marchés publics du caractère verbal que peut revêtir un contrat administratif avec son lot d’abus et de désordre qui peuvent en découler parce qu’en ce moment tous les moyens de preuve sont admissibles pour prouver le caractère administratif des marchés publics comme ce fut le cas des “Epoux Bertin”. De l’autre côté, ce formalisme excessif imposé dans le code a eu comme revers de la médaille de ne laisser d’autres choix que de conclure un contrat en bonne et due forme dans le cadre de la passation d’un marché public.
Sinon, en France les marchés publics sont définis comme des contrats administratifs conclus à titre onéreux entre un organisme public et un fournisseur ou un prestataire pour répondre aux besoins d’un organisme public en matière de travaux, de fournitures ou de service. Les marchés qui répondent à un besoin dont la valeur estimée est égale ou supérieure à 25 000 euros hors taxes doivent être conclus par écrit. Ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics – Article 4 (définition des marchés publics)
Dans cette définition, il n’y a pas d’équivoque, en dessous de 25 000 euros, l’écrit pour l’élaboration d’un contrat n’est pas obligatoire.
Pour revenir au cas du Mali, il n’y a pas mille chemins, soit il faut réviser le décret n°2015-604 pour permettre la passation de certains marchés sans la forme écrite d’un contrat, soit il faut revoir l’arrêté 3721 pour qu’elle soit en parfaite harmonie avec le code.
Il faut savoir que cette révision ne doit pas concerner uniquement les demandes de cotation, mais qu’elle doit intéresser aussi les montants des pièces justificatives admises en régie d’avance. Tant que le terme de contrat écrit demeure dans notre code, dépenser un minimum de franc sans contrat serait illégal à moins que l’on ne considère pas ces montants comme des marchés publics.
Or s’ils ne sont pas des marchés publics, ils sont à classer dans quelle catégorie de la commande publique quand ce montant a pour objet de répondre aux besoins d’une autorité contractante en matière de travaux, fourniture et services. Est-ce qu’il faut les mettre dans la catégorie des délégations de service ; dans la catégorie des partenariats public privé (PPP) ou dans les contrats de bail emphytéotique administratif (terme méconnu dans le droit malien de la commande publique qui permet ainsi à une collectivité publique de concéder un terrain à un tiers qui pourra y construire un ouvrage, lequel deviendra, à l’issue du bail, propriété de la collectivité). Mais que non, ces achats de la régie ne sont pas à mettre dans ces catégories de commande publique autre que les marchés publics.
S’il est vrai que les notions de marchés publics sont un peu récentes dans nos pays et que le rehaussement des seuils au Mali à 100 millions pour les marchés de travaux, 80 millions pour les marchés de fourniture et services courants et 70 millions pour les marchés de prestation intellectuelle, fait que certains sont perdus dans la détermination du régime juridique des achats en dessous de ces seuil, il faut savoir qu’ici au Mali comme en France, que le montant des marchés publics commence à partir du premier franc ou du premier euro.
F. T.