Mali:les producteurs du coton adoptent la politique du champ vide

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Initialement fixé à 275 FCFA, pour la campagne 2020 – 2021, le prix du coton a chuté début mai à 200 FCFA le kilogramme. L’augmentation de 50 FCFA décrétée in extremis par le gouvernement, le 07  juin dernier, n’a pas fait bouger les lignes dans les champs.

Entre les paysans et la Compagnie Malienne de Développement de Textile (CMDT) la crise de défiance est profonde. Plus profonde que les autorités ne laissent paraître. A Foh, village situé dans la commune rurale de Kourouma, à 60 kilomètres de Sikasso, les paysans ne veulent pas entendre parler de culture de coton, cette année.

Pierre Diarra dans son champs

«Il n’y aura pas un seul pied de coton dans mon champ cette année». Assis sous un apatam en toit de paille, ce samedi 13 juin, jour traditionnel de marché dans le village, Pierre Diarra ne semble pas presser pour aller au champ ce matin-là. Dans sa tenue vert kaki, le producteur du coton ne cache pas son mécontentement contre la CMDT et ses agents.«Semer le coton cette année, c’est prendre le risque de voir la CMDT emporter tes bétails». A en croire le producteur,le kilogramme du coton vendu à 225 ou 250 FCFA, selon la qualité, n’est pas rentable.

«Leur politique, c’est que nous travaillons pour eux, et qu’ils emportent notre bétail à cause de la dette», se révolte Issa, un cinquantenaire qui n’a rien raté de la discussion avec Pierre. Foh, explique notre nouvel interlocuteur, est le plus grand producteur de coton parmi les dix villages de la commune de Kourouma. Cette année, tous les producteurs ont décidé de ne pas faire du coton. Seul à Dougoubala, nous avons appris qu’un producteur a désobéi à la consigne générale. «Quand un fils désobéi à son père, il sait ce qui l’attend», prévient Issa.

L’affaire Bakary Togola ?

En présence du ministre de l’Agriculture, Moulaye Ahmed Boubacar; du PDG de la CMDT, Baba Berthé et des «syndicats de producteurs de coton», le Premier ministre Dr Boubou Cissé, non moins ministre de l’Economie et des Finances, a annoncé, le dimanche 7 juin, un appui de 35 milliards de F CFA pour «subventionner l’engrais et faire face à la baisse des prix du coton sur le marché international dû à la COVID-19».

De 11 660 FCFA en début d’année, le sac de l’engrais est aujourd’hui vendu au producteur malien à 18 405 FFCA. La raison? Le gouvernement a suspendu la subvention de l’engrais. Une décision inacceptable pour les paysans. D’abord parce qu’il a été dit que l’appui de 35 milliards devait permettre de «subventionner l’engrais». Ensuite, parce qu’il a été dit, en grande pompe, que 15% du budget national est accordé à l’agriculture. «Ils ont augmenté le prix du kilo du coton, mais ils n’ont pas touché à l’essentiel qui est l’engrais», se plaint Issa notre paysan à Foh. Et de juger, assez remonté: «Ils ont enfermé Bakary Togola pour mieux nous exploiter».

Une campagne de sensibilisation infructueuse

Pour inciter les producteurs à faire du coton, la CMDT a envoyé des agents pour sensibiliser sur le prix du coton et de l’engrais. Des séances de «bonne information» qui, selon des informations recueillies à Foh, ne sont pas toujours bien terminées. «Un agent nous a dit que si nous cultivons pas du coton, nous mourons de faim», dénonce Raymond, un autre paysan. « Hum… !» soupire le producteur avec un léger sourire moqueur, il n’a rien compris cet homme. «Nous cultivons le coton pour avoir l’engrais pour les cultures vivrières comme le maïs», dit-il.

Dans un village voisin, un agent de la CMDT a osé dire aux paysans que sans coton, il n’y aura pas de mariage. La réplique, rapporte Raymond, a été à la hauteur de l’affront: «ta mère n’a pas été mariée avec l’argent du coton», lui a-t-on rétorqué à cet agent bien connu des siens. «Le semi devait se faire à partir du 1er juin, nous sommes le 13 juin, aucune semence n’est mise en terre. La saison est déjà terminée pour nous», conclut Raymond.

Les paysans d’hier…

Dans la ville de Sikasso, un agent de la Compagnie Malienne de Développement de Textile confirme la profondeur du malaise entre paysans et décideurs politiques. Dans la zone de Kignan (cercle de Sikasso), seuls 80 hectares de coton été recensés, pour cette zone classée deuxième productrice de coton dans la région de Sikasso après Koutiala.

Selon notre interlocuteur, les autorités, en baissant et en augmentant unilatéralement le prix du coton, ont «violé la convention entre la CMDT et les producteurs». Ils ont oublié que «les paysans d’hier et ceux d’aujourd’hui sont différents. Les paysans aujourd’hui font de la politique et ils sont cultivés», a avisé notre interlocuteur.

Mamadou TOGOLA, de retour de Foh (Sikasso)

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