Le coton africain va t-il disparaître ?

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Par an, le contient noir produit 1,8 million de tonnes de coton fibre dont 90% est destiné à l’exportation. Très compétitif et de bonne qualité, l’avenir de l’or blanc africain est cependant hypothéqué par les subventions occidentales et la cherté de l’euro par rapport au dollar.

C’est un véritable cri d’alarme et de détresse en direction de leurs gouvernements et de la communauté internationale que sont venus lancer le 22 juin 2007 à Paris, trois responsables de l’Association cotonnière africaine (ACA), Célestin Tiendrebéogo, président de l’association et directeur général de la Société des fibres textiles du Burkina (Sofitex), Ibrahim Malloum vice-président et directeur adjoint de la Cotontchad, et Iya Mohamed, directeur général de la Société de développement du coton (Sodecoton) du Cameroun.

« En dépit de sa compétitivité, de ses performances qualitatives et de son poids dans nos économies, force est de constater que la filière coton en Afrique et particulièrement celle de la zone franc est gravement sinistré » rappellent t-ils. En 2005, le secteur cotonnier a ainsi subi des pertes de 220 milliards de dollars, puis 300 milliards en 2006 et en 2007, elles pourraient atteindre 400 milliards de dollars. En cause ?

Les subventions massives que les pays industrialisés accordent à leurs agriculteurs plombant ainsi les cours de l’or blanc sur le marché international et la forte appréciation de l’euro par rapport au dollar, le franc CFA étant absurdement arrimé à la monnaie européenne par une parité fixe depuis 1999. « Si rien n’est fait pour réduire et supprimer ces subventions nocives, avertit l’ACA, l’ensemble des filières cotonnières africaines serait condamné à disparaître à brève échéance ».

En l’état actuel, il faut être d’un optimisme sans bornes pour croire à un avenir radieux de cette filière qui fait vivre directement ou indirectement 20 millions de personnes sur le continent noir. L’échec le 21 juin dernier des négociations entre l’Inde, le Brésil et les Etats-Unis et l’Europe visant à relancer le cycle de Doha qui achoppent principalement sur les questions agricoles montre que les pays industrialisés ne sont pas prêts de supprimer leurs subventions.

Contrairement à l’Afrique, la part du coton dans l’économie de ces pays est insignifiante, et sans subventions, il n’y aurait pas de producteurs de coton ni aux Etats-Unis, ni en Europe. « Il y a 25 000 fermiers américains dont 8000 touchent 90% des 4 milliards de dollars accordés au secteur. Autrement dit, on leur garantit un prix à l’achat qui est nettement supérieur aux cours mondiaux.

C’est pour eux une sorte d’assurance tout risque, leurs revenus n’étant pas liés à l’évolution du prix du coton sur le marché international », explique Ibrahim Malloum. Il en est de même en Europe où le prix d’achat aux égreneurs est de 1111 quand le cours mondial est à 600 F CFA, et l’Espagne qui a vu sa production chuter à cause du découplement introduit dans la politique agricole commune, a introduit une plainte auprès de la Cour européenne de justice pour bloquer l’application de cette réforme qui devait entrer en vigueur en 2007.

Quant à la parité fixe euro/CFA, il ne faut rien attendre des chefs d’état de la zone franc, bien que tous aient conscience qu’elle constitue un handicap pour leurs économies. En signant depuis 1962 la convention de compte d’opération avec le ministère français de l’Economie et des finances, ils ont perdu le contrôle de leur politique monétaire. Par cette convention, ils déposent 65% de leurs avoirs sur un compte ouvert au Trésor français au nom des instituts d’émission (BCEAO, BEAC, banque centrale des Comores), un mécanisme censé ouvrir aux banques centrales le droit de bénéficier de découverts auprès du Trésor français, garantir la convertibilité du F CFA et faciliter les transactions internationales. « La question du coton est éminemment politique et c’est aux politiques d’apporter une réponse à la parité euro/CFA », reconnaît Célestin Triendrebéogo.

A ces deux facteurs s’ajoute la forte hausse du prix des intrants agricoles (engrais, insecticides) consécutive à la flambée des prix du pétrole. De 20 à 25% il y a peu, le coût des intrants représente aujourd’hui 40% des revenus du paysan. Bien informés sur la situation financière des sociétés cotonnières africaines, les fournisseurs se montrent très hésitants à exécuter les commandes, d’autant que les promesses d’aides faites par les bailleurs internationaux n’ont pas été respectées. « Nous sommes dans une situation très critique car c’est maintenant que les paysans doivent semer et certaines sociétés n’ont même pas encore commandé d’intrants », insiste Célestin Tiendrebéogo.

Sachant que les banques classiques ne sont pas disposées à leur octroyer des prêts, les responsables de la filière sollicitent l’appui financier des Etats et des institutions financières internationales sous forme de prêts à des taux concessionnels et de longue durée qui permettraient aux sociétés cotonnières d’assumer leurs responsabilités vis à vis des paysans. « Au Cameroun, nos réserves qui s’élevaient à 20 milliards de F CFA sont épuisées. Certes, il faut toujours améliorer la gestion de nos entreprises, mais il y a des choses que nous ne pouvons plus faire, comme baisser le prix d’achat au producteur qui est déjà passé de 200 à 140 F CFA le kg » souligne Iya Mohamed, DG de la Sodecoton.

Très paradoxalement, au moment où l’ensemble de la filière est en difficultés, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) pressent les gouvernements à privatiser les sociétés cotonnières d’ici 2008, comme si elles représentaient absolument une menace pour les finances publiques. D’ailleurs, la conjoncture actuelle n’y est pas favorable. Le cours du coton excessivement bas combiné à la dépréciation du billet vert aboutit à un prix de revient nettement en-dessous du coût de production qui décourage tout repreneur privé. « Nous ne comprenons pas pourquoi on nous pousse à tout prix à la privatisation. Cette politique-là est presque un crime », dénonce, écœuré, le patron de la Sofitex.

Les pays africains producteurs de coton souhaitent-ils racheter la société française Dagris en cours de privatisation et en ont-ils les moyens comme l’a annoncé le président Abdoulaye Wade à l’issue de l’entretien qu’il a eu le 11 juin 2007 avec son homologue français Nicolas Sarkozy ? La déclaration du président sénégalais ressemble beaucoup plus à un coup médiatique qu’à une solution viable à la crise qui frappe le secteur du coton. Car les difficultés financières de Dagris sont liées à celles que connaissent également les sociétés cotonnières africaines, dans lesquelles faut-il le rappeler, la société française est actionnaire.

De même on retrouve des sociétés cotonnières africaines dans le tour de table des filiales de Dagris comme la Compagnie cotonnière (Copaco) et la Société de services pour l’Europe et l’Afrique (Sosea). « Nous suivons de près ce qui se passe chez Dagris car nous sommes intéressés de savoir ce que le futur repreneur compte faire de nos actions et s’il maintiendra ou pas l’appui technique que Dagris nous apporte depuis des années. Dans tous les cas, le rachat de Dagris ne devrait pas avoir lieu au détriment de la sauvegarde de nos sociétés en agonie », estiment les responsables de l’Association cotonnière africaine (ACA).

Joachim Vokouma
Lefaso.net

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