Beaucoup de discours autour de cette denrée. La réalité est tout autre sur le terrain. Les malheurs du coton devraient nous pousser à découvrir en nous-mêmes des capacités d’innovation et d’anticipation non seulement pour améliorer la filière coton, mais pour revoir de fond en comble notre politique agricole. Loin de nous prosterner et rester sans ressources devant nos déboires, ils devraient plutôt nous conduire à trouver des réponses nouvelles à des interrogations anciennes.
Le coton nous a d’abord appris qu’une filière agricole n’est rien en soi si elle n’est pas organisée, maîtrisée dans ses différents compartiments. La valeur ajoutée de celle-ci à l’économie nationale resterait problématique, tant que cette filière ne sera pas organisée autour des intérêts de tous ceux qui y interviennent et qui en vivent. Sur cet aspect des choses, le coton nous appris que les différents acteurs qui s’affairent autour de cette denrée ne sont pas logés à la même enseigne. Ce qui ouvre la voie à l’action d’une véritable maffia. Si bien que ce sont les moins disant, par leur capital travail, qui raflent la mise et bénéficient des plus juteux dividendes.
Voilà comment ce qui devrait s’ordonner comme un facteur de richesse collective par une redistribution des gains et des revenus générés, dégénère progressivement en un vaste système d’exploitation avec une stratification sociale digne des temps les plus obscurs du Moyen âge européen, traînant à sa suite des suzerains et des vassaux, ceux qui sont nantis de tous les droits, voire du droit de cuissage, et ceux qui sont taillables et corvéables à merci.
Le coton nous aura enseigné par ailleurs qu’aucun pays ne peut établir ses performances agricoles et partant économiques sur une seule et unique filière. La quasi-dictature du coton a davantage été une faiblesse qu’une force, une menace qu’un atout. Le Mali agricole, tout axé sur le coton, en l’absence d’autres denrées capables d’occuper les citoyens et surtout de diversifier les sources de revenus de notre pays, n’est qu’un Mali unijambiste, un Mali borgne, donc un Mali diminué, limité, handicapé.
Toute chose qui montre que nous sommes, en la matière, en position de simples héritiers en gestion d’un bien sans efforts de recherche et d’imagination. Dans ces conditions, quelle réflexion stratégique devons-nous conduire pour faire mieux et dans des cadres autres que ceux légués par le colonisateur français ? Quelles options nouvelles devons-nous prendre pour insérer cette filière dans un ensemble d’autres filières, compléments utiles contre la précarité et l’imprévisibilité ?
En outre, les difficultés à atteindre des niveaux de performance optimale pour le coton devraient nous instruire pour changer l’environnement de nos présentes et futures filières agricoles. En commençant par les outils de travail. Les jeunes agriculteurs modernes qui vont être associés au développement de ces nouvelles filières, en vue d’assurer une relève paysanne de qualité, n’accepteront pas de travailler dans les mêmes conditions et avec les mêmes outils que leurs pères et grand-pères. Révolu donc le temps de la houe et de la daba ! Il faut opportunément en prendre conscience.
Une troisième option appelée à reconstruire positivement l’environnement de notre agriculture, c’est un ensemble de décisions de souveraineté qui restaureraient l’Etat dans ses prérogatives régaliennes par rapport au foncier. A qui appartient la terre dans notre pays ? Face à des actions d’utilité publique et d’intérêt général qui a priorité sur qui, pour faire quoi ? Dans le cadre d’une autre agriculture aux couleurs d’une révolution verte, on ne saurait éluder trop longtemps de telles questions. Les exigences d’une agriculture de type moderne, avec d’indispensables rallonges industrielles, nous imposent de sortir de nos terroirs traditionnels pour nous offrir, sur la base d’une véritable carte agricole que nous n’avons pas pu dresser après cinquante ans d’indépendance, des domaines agricoles à la hauteur de notre ambition pour l’agriculture de notre pays.
Modibo Traoré