Premier producteur de coton en Afrique, avec 620 000 tonnes, dans les années 2003 – 2004, le Mali peine aujourd’hui à atteindre les 300 000 tonnes. Pourtant, l’ambition de celui qui dirige la Compagnie Malienne de Développement des Textiles (CMDT), le fleuron de notre production cotonnière, Tiéna Coulibaly, est d’engranger 500 000 tonnes pour la campagne à venir. Nous l’avons rencontré pour savoir comment il comptait s’y prendre pour atteindre cet objectif.
Pouvez-vous nous faire le point sur la campagne en cours?
Tout d’abord, je voudrais souligner que le prix du coton pour la campagne en cours a été fixé à 185 FCFA le kilogramme pour le coton graine de premier choix. Le niveau de production, qui n’est pas encore arrêté à cette date, est autour de 250 000 tonnes. Nos prévisions étaient plus importantes, mais il y a eu deux contraintes majeures qui nous ont poussé à revoir nos ambitions à la baisse. Le mois de juin a été très sec et les emblavures moins importantes. Les mois d’août et de septembre ont été, quant à eux, trop pluvieux. Toutes choses qui nous ont fait perdre environ 16 000 hectares dans le domaine du coton.
Pour la campagne 2011-2012, nous avons appris qu’il y a de grands réaménagements pour les producteurs…
Pour la prochaine campagne, c’est-à-dire celle qui commence au mois de juin prochain, le gouvernement du Mali a de très fortes ambitions. En ce qui concerne la production, nos objectifs se chiffrent à 500 000 tonnes. Pour ce faire, plusieurs mesures sont envisagées, dont certaines en faveur des producteurs, puisqu’ils sont les principaux acteurs de la chaîne. Nous passerons de 185 FCFA à 255 FCFA pour le prix au kilogramme, soit un bond de 70 FCFA. C’est du jamais vu en une seule campagne agricole. Je rappelle que le prix le plus élevé était de 210 FCFA lors de la campagne 2004 – 2005.
Ce n’est pas tout. Certains producteurs avaient abandonné la production de coton à cause de l’effet pervers de la caution solidaire. Ils se sont alors retrouvés créanciers de leurs coopératives. Nous avons décidé de donner de l’argent aux coopératives afin qu’elles continuent d’appuyer les producteurs. Ces derniers reviendront forcément à la culture du coton. Une autre mesure, et non des moindres, est l’achat d’équipements tels que les charrues ou les bœufs de labour… Nos partenaires dans ces différentes actions sont, naturellement, les producteurs, les banques, les institutions de micro-finance, le gouvernement, qui a décidé de maintenir la subvention des engrais. Je tiens à signaler que cette campagne sera la troisième au cours de laquelle les intrants seront subventionnés. Les sacs d’engrais seront donc cédés à 12 500 FCFA, soit 250 000 FCFA la tonne.
Peut-on résumer en disant que ces mesures sont simplement prises pour ramener les producteurs vers la cotonculture?
La culture du coton dans notre pays, au cours des dix dernières années, en elle-même, n’a servi à rien. Notre pays a perdu de l’argent sur chaque kilogramme de coton produit. Par contre, lorsque nous donnons de l’engrais au producteur pour le coton, nous le lui donnons aussi pour les céréales. C’est d’ailleurs pourquoi la zone cotonnière est la première productrice de céréales au Mali. Nous pouvons donc dire que le coton est source d’autosuffisance alimentaire. Je dois aussi attirer l’attention de tous sur le fait que le coton est tout d’abord un véritable moteur de l’économie. Dans la zone cotonnière, on utilise environ 60 000 tonnes d’engrais. Si on prend le côté transport, on peut aussi ajouter les salaires des chauffeurs, des chargeurs, l’achat du gasoil, les équipements…Par ailleurs, avec la graine de coton qui reste, nous avons une cinquantaine d’unités de production d’huile de coton et d’aliment bétail. Côté banques, plus d’une dizaine ont la moitié de leur chiffre d’affaires qui repose sur le coton, à travers les différents prêts octroyés. Le coton est si important dans l’économie malienne que, lorsque la CMDT éternue, le Mali s’enrhume. Je suis heureux que le Mali l’ait compris et qu’il soit venu à notre chevet quand nous étions malades. Nous sommes sur la pente ascendante et nous envisageons très bientôt de recommencer à payer nos impôts. Je reviens à l’autosuffisance alimentaire prônée par le Président de la République, Amadou Toumani Touré, et l’objectif de production de 10 millions de tonnes d’ici à 2012. Pour notre part, dans la zone cotonnière, nous nous engageons dans cette démarche, avec un objectif de 2 millions de tonnes pendant la campagne 2011-2012.
Où peut-on situer actuellement le Mali dans le cercle des pays africains producteurs de coton?
Les filières cotonnières, notamment dans les pays de la Zone Franc, ont connu des difficultés pendant les dix dernières années. Nous, au Mali, en 2003 – 2004, avons été premier producteur de coton en Afrique. Avec la chute des cours, nous avons perdu, chaque année, du terrain. Même si les choses ont évolué entre les pays, il a été constaté que nous avons beaucoup reculé. L’année de pic au Mali a enregistré une production de 620 000 tonnes, puis nous sommes tombés à 201 000 tonnes courant 2008 – 2009. Nous sommes en train de nous relever de nos cendres. Depuis deux ans nous nous battons. Qu’on atteigne les 500 000 tonnes ou pas, cela signifiera que les choses s’améliorent et que nous avons la volonté de revenir à notre position de meilleur producteur de l’or blanc. Ce n’est donc pas le fait de dire que nous sommes premier ou deuxième qui est important, mais plutôt que nous ayons une filière durable, solide et qui soit totalement maîtrisée par nous.
Vous nous avez exposé les ambitions que vous avez pour la CMDT et, partant, pour la production cotonnière. En arrivant en 2008 à la tête de la structure, quels sont les problèmes auxquels vous avez été confrontés?
Dès ma nomination, j’ai trouvé sur ma table un certain nombre de problèmes, dont la chute des cours mondiaux. Il fallait mobiliser les producteurs afin qu’ils retrouvent une certaine motivation à effectuer le travail qu’ils savent si bien faire. A l’interne, nous avons essayé de réduire le train des dépenses et de travailler plus. En outre, nous avons instauré une synergie de travail avec les dirigeants des producteurs. Même si cela est encore timide, nous avons amorcé l’augmentation du prix au producteur.
Qui dit augmentation de la production, dit superficies suffisantes. En a-t-on assez dans la zone de production pour atteindre les objectifs?
Oui, nous en avons assez…Nous avons les moyens de notre politique, en ce qui concerne les surfaces à cultiver. Il y a quelques années, nous produisions déjà 620 000 tonnes. Ces terres sont encore là et je crois que, de notre côté, il n’y a pas d’inquiétudes à se faire.
De vos explications, il ressort que la CMDT veut de plus en plus se diversifier dans les zones de production. Ne craignez-vous pas que les paysans délaissent encore, et une fois de plus, la culture du coton pour celle du sorgho, par exemple?
Aucunement! D’ailleurs, je crois, au contraire, qu’avec le prix de 255 FCFA au kilogramme, les producteurs ne soient découragés à exploiter les autres cultures. En vérité, nous sommes déjà dans la diversification depuis il y a trente ou quarante ans. A la CMDT, nous avons développé des techniques qui permettent d’exploiter les cultures vivrières en même temps que le coton. Il n’y a pas de danger. Seulement, les autres cultures vivrières que l’on pourrait ajouter aussi sont le tournesol, le sésame ou encore d’autres types de mil.
Nous avons évoqué plusieurs aspects du coton. Mais il reste le côté transformation…
C’est la grande question! Dans la Lettre de développement du secteur coton, un document adopté par le Mali le 6 juin 2001, on fixe les grandes lignes des réformes devant aboutir à la privatisation de la CMDT. Parmi les grands chantiers évoqués lors de cette rencontre, la transformation figurait en bonne place. Il a été dit et répété: tant que nous ne transformerons pas le produit brut, nous serons toujours tributaires du marché mondial. Au niveau de l’UEMOA, l’ambition du programme était de transformer 25% de la production cotonnière des huit pays qui composent l’espace à l’horizon 2010. L’objectif n’a pas été atteint, car le Mali ne transformait qu’environ 3% de sa production. Il y a peu, nous nous sommes retrouvés à Ouagadougou pour revoir nos ambitions. C’est dire que le problème reste d’actualité et que c’est une véritable volonté politique qui permettra d’y trouver une solution. Dans un pays agropastoral comme le nôtre, il faut appuyer les unités de transformation, afin que nous profitions plus et mieux de notre coton.
Paul Mben