Démarrée dans un contexte difficile marqué par la flambée des prix des intrants agricoles sur le marché mondial (suite de l’impact de la pandémie de COVID-19 et de la guerre entre la Russie et l’Ukraine) ainsi que par un embargo sous-régional ayant privé le Mali d’accès aux principaux ports d’approvisionnement, la campagne agricole 2022/2023 tend vers son épilogue avec une baisse de la production par rapport l’exercice écoulée. A ceux-ci se sont invitées l’invasion précoce des champs de la sous-région, y compris le Mali, par de nouvelles espèces de Cicadelles (Jassides) ainsi que les inondations de parcelles suites à de fortes pluies par endroit. Nonobstant, la CMDT ne désespère pas de conserver sa place de leader de la production cotonnière.
Aperçu et défis de la Campagne agricole 2022/2023
Au cours de la campagne 2021/2022, les engrais du système coton (coton, maïs, mil et sorgho) en plus de leur insuffisance sur le marché mondial ont connu des augmentations considérables. Ainsi, le prix fournisseur du complexe coton est passé de 383 000 FCFA en 2021/2022 à 620 000 FCFA/tonne, celui du complexe céréales de 380 000 FCFA/tonne à 615 000 FCFA/tonne et de l’urée de 370 000 FCFA à 640 000 FCFA/tonne.
Pour faire face à cette situation inédite, le Président de la Transition, lors de la 12ème session du Conseil Supérieur de l’Agriculture en mars 2022, a pris des décisions fortes, à l’effet d’encourager les producteurs à reprendre le chemin des champs. En plus de fixer le prix du coton graine à 285 FCFA/kg, le sac de 50 kg d’engrais chimiques a été plafonné à 12 500 FCFA contre un prix fournisseur moyen de 32 000 FCFA/sac et le sac de 50 kg d’engrais organiques a été fixé à 2 500 FCFA contre un prix fournisseur moyen de 5 750 FCFA. A son tour, l’Interprofession du Coton (IPC-Mali) s’est illustrée par une subvention du prix de cession des pesticides, de la chaux agricole ainsi que du PNT granulé. Ainsi, au total, les producteurs ont semé 743 824 ha.
Par ailleurs, avec l’embargo imposé par l’UEMOA et la CEDEAO et son impact négatif sur le rythme d’approvisionnement en intrants agricoles, les producteurs ont été encouragés à mettre l’accent sur l’utilisation des intrants d’amendement (PNT granulé, chaux agricole, engrais organiques) pour limiter l’impact négatif du retard dans la livraison des engrais chimiques sur les rendements. Il faut dire que ces intrants sont acheminés au Mali à partir des ports de la sous-région notamment Abidjan, San Pédro et Dakar et que les contrats de fourniture des engrais devraient être exécutés avant la fin du mois de mai 2022. Mais avec l’embargo, le rythme de la livraison des intrants (engrais et pesticides) s’est fortement ralenti et la livraison a dû se poursuivre jusqu’à fin août 2022 pour les engrais et jusqu’à la mi-septembre pour les insecticides. Ce retard accusé dans la livraison des intrants dans certaines zones cotonnières a entrainé un décalage de la période optimale de la fertilisation des cultures du système coton. Il est à noter que malgré ces contraintes majeures, toutes les coopératives de producteurs de coton ont reçu les engrais et les pesticides.
Des Inondations de parcelles suites à de fortes pluies enregistrées
Globalement, les hauteurs de pluies enregistrées jusqu’à fin septembre 2022 sont excédentaires au niveau de plusieurs postes pluviométriques. De fortes précipitations auront été constatées dans toutes les zones de production, occasionnant des cas d’inondation dans les parcelles situées au bord des cours d’eau et dans les bas-fonds. Les recensements effectués par l’encadrement, en début du mois d’octobre, font état de 34 596 ha de coton inondé. Conséquences : en plus des cas de lessivage visibles, les plants sont rabougris dans plusieurs parcelles et la pourriture des capsules de base est constatée sur plusieurs parcelles de coton. Or, le cotonnier n’aime pas les fortes pluies et les fréquences élevées de précipitations. Et pour cause, pendant les campagnes similaires, la production du coton a baissé. On peut citer à titre d’exemple les campagnes 1999/2000 où suite aux inondations provoquées par excédents de pluviométrie la production du coton graine est passée de 518 364 tonnes en 1998/1999 à 459 123 tonnes en 1999/2000, soit une baisse de 11%. Idem pour la campagne 2018/2019. La production du coton graine est ainsi passée de 728 606 tonnes en 2017/2018 à 656 531 tonnes en 2018/2019, soit une baisse de 10%. Ainsi, sur fond de ces deux cas, on constate que le seul fait de la forte pluviosité entraînant les inondations, favorisant l’enherbement des parcelles et le lessivage peut occasionner une baisse de production de plus de 10% par rapport à une campagne normale.
L’invasion précoce des champs de la sous-région y compris le Mali par de nouvelles espèces de Cicadelles (Jassides)
La campagne 2022/2023 s’est également singularisé par la forte pullulation des jassides depuis fin juillet 2022. Après constat de ce phénomène, lors de la traditionnelle mission conjointe CMDT-IER relative au suivi phytosanitaire des cultures du système coton, le PDG de la CMDT, Dr. Nango Dembélé, et ses techniciens ont immédiatement pris des mesures urgentes pour limiter les dégâts. Pour ce faire, l’encadrement et les producteurs ont été immédiatement informés pour changer de stratégie de protection phytosanitaire du cotonnier, notamment la réduction de l’intervalle de traitement de 14 à 07 jours et l’utilisation des produits indiqués contre les jassides. Autres mesures, la commande et la mise à disposition, par le GIE C-SCPC/CMDT/OHVN, de quantités d’insecticides contre les jassides recommandés par le Programme Coton de l’IER ainsi que l’identification de l’espèce de jassides par le Programme Coton. L’administration de la holding a également diffusé un microprogramme sur l’ORTM et les radios de proximité de la zone cotonnière pour sensibiliser les producteurs sur les mesures à prendre pour maîtriser les jassides.
Ce phénomène de pullulation de jassides est un problème d’envergure sous-régional ayant touché des pays comme le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Sénégal et le Togo. Seuls le Bénin, le Cameroun et le Tchad en ont été relativement épargnés. Conséquence : la production de coton de l’Afrique de l’Ouest et du Centre devrait sensiblement diminuer lors de la campagne 2022/2023 pour se situer à environ un million de tonnes de coton-graine selon des chercheurs. D’après les estimations de plusieurs négociants, comparativement au niveau de production de 2021/2022, la baisse pourrait dépasser 20%, une chute due en partie à cette pullulation de jassides.
Face à l’envergure de la pullulation, les Programmes Coton des Instituts de Recherche Agronomique de huit pays membres du Programme Régional de Production Intégrée du Coton en Afrique (PR-PICA) ont tenu des réunions afin de proposer des stratégies et des produits appropriés pour maîtriser les nouvelles espèces de jassides méconnues dans nos pays dès la campagne prochaine.
En effet, l’espèce de jassides habituellement connue dans la sous-région est Jacobiella fascialis que les produits insecticides disponibles permettent de maîtriser. La capture et l’analyse des individus de jassides de cette campagne dans les pays infestés a abouti à l’identification de deux espèces dominantes : Jacobiasca lybica et Amrasca biguttula, lequel les font leur apparition pour la première fois au Mali.
Cependant, c’est surtout l’espèce Amrasca biguttula qui etait beaucoup plus dominante. Cette espèce se multiplie très rapidement et fait plus de dégâts que la Jacobiella fascialis. Quoi à qu’il en soit, les attaques sévères de l’Amrasca ont amené les producteurs à abandonner 90 971 ha.
Toutefois, d’autres causes d’abandon des superficies de coton d’environ 32 523 ha sont les parcelles qui n’ont pas pu être entretenues (parcelles très enherbées) à cause de la fréquence élevée des pluies, les parcelles endommagées par les animaux et quelques cas de reconversion en d’autres cultures.
La conjonction de tous les facteurs défavorables (abondance des pluies, inondation, lessivage des sols, attaque des jassides) fait que 158 090 ha ont été abandonnés au total. Ainsi, la production de coton graine attendue sera en deçà des prévisions fixées au début de la campagne agricole et inférieure à la production de la campagne 2021/2022.
Amidou KEITA