Cherté de la vie au Mali :Requiem pour des populations résignées

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Les Maliens souffrent autant que les Tunisiens, les Algériens et les Egyptiens aujourd’hui révoltés contre la vie chère et l’imposture en place dans leurs pays. Mieux que nos frères maghrébins, nous jouissions de la démocratie, de la liberté de manifester et de protester. Mais, nous n’en usons pas curieusement. Et, comme des agneaux de sacrifice, nous attendons que les mafieux et les crocodiles insatiables organisent notre messe de requiem après avoir sucé notre sang. Difficile de croire que c’est le même peuple qui s’est révolté, il y a 20 ans, contre la dictature et les mauvaises conditions de vie.

Tu te fous des habitants de Watagouna", nous disait récemment un ami quand nous lui parlions de nos difficultés financières ! Il est vrai qu’à côté du paysan de Fourou ou du berger  Touroucoumbé, nous pouvons ressembler à un pacha. Mais, comme le disait un autre ami, "ce n’est pas une foutaise parce que chacun souffre selon son milieu et ses besoins quotidiens" ! Et il avait ajouté, plein de reconnaissance spirituelle, "je rends grâce à Dieu, mais je vois les gens souffrir à côté. Cela me fait mal au cœur".

Pas besoin d’être un humaniste pour voir que les gens souffrent aujourd’hui au Mali, surtout avec la montée en flèche des prix des denrées de première nécessité. "J’ai été choqué l’autre jour quand madame me disait que le litre de l’huile était à 1 250 F Cfa, alors que je payais les 10 litres  à 7 500 F Cfa il n’y a pas longtemps. Le sucre et le riz ? N’en parlons pas", se plaint un père de famille. Nous sommes autant choqués que lui face au pouvoir accordé illimité aux commerçants pour sacrifier le peuple sur l’autel de leurs intérêts.

"Et visiblement, ce n’est qu’un début.

 Tu sais, les commerçants testent la réaction des consommateurs et de l’Etat. Quand il n’y a pas de réactions contre leur cupidité, la flambée est maintenue. Et comme on a un gouvernement laxiste, il ne faut plus s’attendre à ce que les prix redescendent à un niveau supportable pour les pauvres consommateurs", ajoute le pauvre chef de famille. Et c’est ce qui se passe aujourd’hui un peu partout au Mali.

 

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Le prétexte de la crise ivoirienne

La crise politique en Côte d’Ivoire n’est qu’un prétexte. Toutes nos marchandises ne passent pas par Abidjan. Mieux, tous les produits qui coutent chers ne sont pas exclusivement importés. La crise est donc simplement évoquée pour cacher le laxisme de l’Etat. Et comme le dit Adama Coulibaly, un vendeur de pièces détachées, "cette hausse générale du prix des produits de consommation n’a d’autres but que de nous ôter le pain de la bouche. Et à ce rythme, de nombreuses personnes vont bientôt se retrouver à la rue pour mendier ceux-là qui sont à l’origine de leur misère".

Il poursuit, cachant à peine sa colère à la hauteur de sa misère, "comment un gouvernement qui dit vouloir préserver le marché malien déjà fragilisé par le coût des produits, puisse revoir à la hausse les prix des produits de consommation ou tolérer une quelconque hausse injustifiée même sur les productions nationales ?". Question pertinente ! Mais, ce qu’il ne sait pas, c’est que désormais au Mali, l’Etat propose et les commerçants disposent au nom d’un libéralisme savamment détourné du contexte économique pour être un instrument d’appauvrissement  par la corruption, le délit d’initié et la cupidité ! Où est l’Etat ? Il n’existe plus ! Le laxisme l’a alité, le délit d’initié l’a tué et la corruption l’a enterré. C’est la République des commerçants et de leurs complices tapis dans l’ombre des services publics (administration publique, douanes, impôts…) et de la justice. Des intouchables soient par alliance avec le pouvoir ou par le poids de leurs partis politiques.

Conscients qu’ils n’ont jamais eu autant les coudées franches dans ce pays pour fructifier leurs affaires mafieuses, ce sont ces vautours qui s’agitent pour souhaiter une rallonge de mandat au bénéfice du régime en place. Celui-là même qui, pour briguer un second et dernier mandat, avait juré la main sur le cœur de protéger "le marché par rapport à la flambée des prix, à travers des services multiples". Une promesse électorale non tenue comme beaucoup d’autres espoirs suscités pendant sa campagne et noyés par les réalités de l’exercice du pouvoir. Il n’en peut pas être autrement quand on veut faire des omelettes sans casser des œufs, quand on veut diriger en faisant plaisir à tout le monde.

 

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Une offense au peuple broyant du noir

Et comme le ridicule ne tue plus dans ce pays, ce sont ces sangsues qui promettent de remettre à notre Chef de l’Etat une "Médaille d’Or" de 250 millions de F Cfa appuyée par une demande de prorogation de deux ans du mandat de l’actuel locataire de Koulouba. Une véritable offense pour cette majorité résignée qui broie du noir, pour ces pauvres père et mères de familles condamnés à tous les sacrifices et à toutes les humiliations pour joindre les deux bouts.

Pour ces escrocs de la République, le Mali est aujourd’hui un Eldorado parce qu’ils assoiffent et affament le peuple à leur guise, dans la totale impunité. 250 millions de F Cfa ! Quel cynisme ! Une somme qui peut tirer aujourd’hui une centaine de jeunes du chômage, du vice de l’ennui, donc de la misère qui les poussent aux périlleuses aventures dans le désert ou sur les océans. Un pactole qui peut permettre aujourd’hui à au moins une bonne centaine de femmes rurales de mener des activités génératrices de revenus pour s’affranchir des affres et des humiliations de la misère.

Le président va-t-il accepter ce cadeau empoisonné ce 5 février 2011 tout en sachant les vraies motivations de ceux qui le lui offrent ? Va-t-il accepter cette reconnaissance entachée d’offense volontaire aux millions de pauvres de son pays qui ne voient même plus la queue du diable pour la tirer ? Nous n’avons jamais douté de son sens du devoir et de la responsabilité, de son patriotisme. Nous sommes également convaincus qu’il aime trop ce pays pour fermer les yeux et accepter ce geste de zèle excessive ! Des opportunistes qui, en réalité, ne l’aiment pas parce qu’ils ne souhaitent le voir sortir de l’histoire politique du Mali que par une porte dérobée comme un certain Mamadou Tandja au Niger. Il est temps qu’il remette tous ces zélés à leur place. Qu’il leur rappelle les attentes du peuple, qu’il leur dise qu’il est le serviteur d’une majorité et non d’un clan de loups qui ne crachent sur aucun profit, petit fut-il.

 

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Peuple du Mali, réveille-toi

De l’autre côté, il est temps que le peuple montre les griffes parce qu’il n’a plus rien à  se mettre sous la dent. Réveillons-nous parce que nous ne pouvons plus compter ni sur l’administration ni sur les syndicats ou les associations de consommateurs pour nous défendre contre la cupidité machiavélique de nos commerçants et opérateurs économiques.

Et pourtant, comme le disait récemment un responsable syndical, "la stabilité des prix sur le marché et la baisse des tarifs d’eau et d’électricité, du téléphone, des prix des médicaments et des hydrocarbures… constituent les principaux axes de ce protocole d’accord, signé par le gouvernement avec notre centrale syndicale (Untm)". Et pour nous endormir davantage, il dit "si le gouvernement pense que l’Untm va accepter cette hausse sans réagir, il se trompe". Et pourtant, nous avons de plus en plus l’impression que nos syndicalistes ont arraché la palme de la démagogie aux décideurs politiques. Sinon à quand la prochaine grève générale et illimitée des Siaka’s Boys pour restituer aux Maliens leur dignité ? Nous sommes convaincus que même une menace de grève générale illimitée va pousser l’Etat à se ressaisir un peu parce que ce régime qu’il n’a pas intérêt aujourd’hui à ce que les populations renouent avec le pavée ! A en croire certaines sources, les associations de consommateurs aussi "n’entendent plus rester les bras croisés face à un gouvernement qui ne respecte pas sa parole".

Des informations feraient aussi état de la préparation d’une marche sur la Primature et le département du Commerce. "Cette fois, nous n’allons pas rester les bras croisés. Nous userons de tous les moyens légaux afin que cette décision soit annulée par le gouvernement", profère l’un des responsables cité de façon anonyme par un confrère de la place. Mais, attendons de voir parce que les responsables des dites associations nous ont toujours surpris par leur goût immodéré pour le bluff !

En tout cas, malgré les "menaces et intimidations" des syndicats et des associations de consommateurs, les commerçants et leurs complices nous ont presque totalement sucé le sang. Il ne leur reste presque plus qu’à organiser notre Messe de Requiem ! Oui, la messe de requiem pour un peuple spirituellement, socialement et politiquement mort parce résigné.

Déjà, assommés par la hausse vertigineuse et exponentielle des  denrées de première nécessité, nous restons encore les bras croisés en espérant que l’Etat va s’assumer. On se contente des débats souvent houleux dans les Grins ou des déclarations va-t-en-guerre du genre,  "notre patience a des limites. Et cette fois, la limite est franchie !". Et c’est tout ! Cela fait des décennies que le vol organisé en modèle économique dure sur fonds de surenchère. Les menaces sont sans cesse brandies. Mais, on ne franchi jamais la barrière de la résignation.

 

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Manipulés par le désespoir au quotidien

Pourquoi ? "Les gens ont peur pour leurs places. Les gens sont méchants et il faut toujours s’attendre à des vengeances de ceux dont les intérêts seraient ainsi menacés. Sans compter que la moindre réaction citoyenne est désormais assimilée à de la manipulation dans ce pays", nous prévient un confrère.  Manipulation ? Oui, nous sommes manipulés ! Mais, pas par une classe politique aussi inefficace que les décideurs en place. Les Maliens sont aujourd’hui révoltés par leurs conditions de vie. Ils sont manipulés par la pauvreté, le chômage, la corruption, la gabegie, la culture de la médiocrité… N’est-ce pas là autant de raisons de se révolter contre un régime ? Contre une classe et un clan de bourgeois impitoyables et insensibles à la misère? Les supposés "amis du président", qui exigent une rallonge de son mandat, brandissent ses réalisations dans tous les secteurs. Elles (réalisations) sont indéniables et posent les fondements d’une économie solide et indépendante dans les décennies à venir. Mais, les réalisations, c’est pour le futur. Elles ne doivent pas nous empêcher de vivre au moins décemment le présent. Elles ne sauraient donc justifier une violation constitutionnelle, surtout au moment où la grande majorité est condamnée à la faim par ceux-là même qui réclament cette rallonge.

Trois repas par jour ! Voila par exemple un lointain souvenir pour le commun des Maliens. Beaucoup se contentent aujourd’hui d’un repas par jour. Et cela n’est même pas assuré tous les jours. "La misère, on la voit tous les jours à Bamako mais les sangsues ne comprennent pas ça", se plaignait récemment une étudiante en congés dans notre capitale. Ce qu’elle ignore sans doute, c’est qu’elle n’a vu que la partie visible de l’iceberg social.

Oui ma sœur, tu n’as pas vu sans doute toutes ces filles voire toutes ces dames qui se prostituent pour manger ou permettre à leurs familles d’au moins grignoter quelque chose.

 Tu ignores visiblement tous ces jeunes morts dans le Sahara ou noyés dans les océans pour fuir la misère. La précarité est encore plus profonde que ce qu’on voit dans les carrefours et dans les services publics avec tous ces gens qui défilent de bureau en bureau pour avoir le prix de condiments.

Mais, le peuple est là soumis, résignée ! Les démocrates sont cachés et ont visiblement perdus leurs voix. Et pourtant, nous avons chaque jour des exemples venus d’ailleurs pour nous motiver à engager le combat citoyen, la lutte syndicale et la bataille démocratique. Où sont passés les acteurs de la révolution de Mars 1991 ? La révolution a-t-elle mangée tous ses enfants au point que le pays soit condamné au retour à la case départ ? Un niveau qui est synonyme de malaise social. Les peuples ont les dirigeants qu’ils méritent, dit un penseur ! Certainement que les Maliens méritent aussi ce qui leur arrive aujourd’hui !  C’est pourquoi nous sommes couchés ou agenouillés en attendant que les prédateurs économiques finissent leur banquet pour prononcer notre messe de requiem ! A moins d’un sursaut citoyen opportun !

 

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Kader Toé

 

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