Au rythme des confidences : Mali, un plan de redressement peu convaincant

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Lors de la Conférence internationale pour la relance économique et le développement du Mali (Paris, 22 Octobre 2015), des engagements ont été pris par les institutions financières et les pays bailleurs à hauteur de 3,4 milliards d’euros (environ 2250 milliards Fcfa). Mais, on n’a que peu discuté de la question de savoir à quoi cet argent devrait servir, question cruciale. En examinant la méthode suivie, on comprendra les objectifs implicites visés par la «Communauté internationale» et on pourra confronter ces objectifs aux causes profondes de la crise de 2012.

Qui a conçu ce plan ?

Pour évaluer les besoins de financement du Mali pour la durée du plan, une Mission d’évaluation conjointe a été constituée. Théoriquement placée sous l’égide du Comité de suivi de l’accord d’Alger, cette mission a eu la bride sur le cou, parce que le Csa est occupé par des querelles de représentativité et des questions budgétaires. En pratique, la conférence de Paris s’est déroulée sans que le rapport de cette mission soit achevé et distribué aux participants ! Le bref résumé qui en a été présenté émane des institutions suivantes :Nations-Unies, Banque Mondiale, Banque africaine de développement et Banque islamique de développement. La méthode suivie (post-conflit need assessment (Pcna) est, elle aussi, dictée par ces mêmes institutions. Ce sont donc les institutions financières internationales qui ont en réalité choisi les priorités à donner à l’aide que le Mali sollicite.

Pourtant, comme les enquêtes menées auprès de notables maliens par l’Institute for Security studies l’ont montré, c’était précisément cette démission que beaucoup de Maliens reprochaient au régime d’Amadou Toumani Touré (ATT). La «Communauté internationale» continue donc à discréditer le personnel administratif et politique aux yeux de la population, discrédit qui est déjà jugé «assez radical».

Que contient ce plan ?

Le résumé du rapport de la Miec/Nord Mali commence par affirmer qu’il s’agit de «contribuer à une stratégie de développement de long terme (pour hisser les régions du nord au même niveau que le reste du paysen termes de développement)». Ensuite, il définit quatre des critères de priorisation, qui sont : l’impact immédiat, la capacité de mise en œuvre, le ciblage des plus vulnérables et enfin les priorités exprimées. Les trois premiers montrent sans ambiguïté que la contribution à une stratégie de développement à long terme, aussitôt affirmée, est abandonnée au profit d’actions à court terme et à vocation antipyrétique. Quant aux priorités exprimées, on ne sait ni ce qu’elles sont ni qui les a formulées.

  1. En pratique, la première composante de ce plan prévoit des financements urgents pour la sécurité, le désarmement, la démobilisation, la réinsertion et diverses formes d’aide sociale à court terme. Au total, pas plus de 310 milliards, soit environ 13 % de l’enveloppe globale. La réforme des services de sécurité intervient dans ce montant pour 205 milliards, la réforme de la justice ne recevra pas plus de 7 milliards (on y reviendra).
  2. La deuxième composante concerne essentiellement la santé (101 milliards), l’éducation (319 milliards), l’eau et l’assainissement (162). Elle prévoit des investissements en infrastructures et des activités susceptibles d’améliorer la qualité des services. Mais, de ces dernières, on ne donne aucun exemple dans aucun des domaines, alors que ce serait probablement le plus intéressant.
  3. La composante la mieux dotée est la troisième, intitulée «Promouvoir la reprise économique, l’emploi et les infrastructures» : sur un total général des besoins chiffré à 2356 milliards Fcfa, elle reçoit 1436 milliards, dont 940 pour les infrastructures de transport (552 pour les routes, 179 pour le transport aérien, etc.) Mais, après avoir annoncé que «l’élevage est la base de l’économie locale et souffre d’un manque de productivité, d’investissements et d’adaptation au changement climatique», on lui accorde la portion congrue, 21 milliards Fcfa. Il en va de même pour l’agriculture (63 milliards), qu’on présente pourtant comme un «secteur structurant» (avec les infrastructures, le secteur privé et les ressources humaines). C’est incohérent !

En fait, l’objectif réel est clairement d’injecter dans l’économie malienne de grands montants de financement, de telle sorte que ses comptes macro-économiques reprennent rapidement bonne mine. Ce faisant, les bailleurs vont financer des investissements dont ils peuvent faire bénéficier leurs entreprises : des routes, des aéroports, des lignes de chemin de fer, des écoles, des centres hospitaliers, des systèmes hydrauliques, etc.

Évidemment, les administrations maliennes partagent ce type de priorité, qui implique de gros marchés, avec tout ce que cela représente de commissions, de détournements et de belles inaugurations. Pour ne prendre qu’un exemple : à qui exactement profiteront les cinq aéroports à construire ? Les priorités populaires ne seraient-elles pas très différentes ?

Les bailleurs n’ont donc manifestement rien appris de l’échec patent des Cadres stratégiques pour la croissance et contre la pauvreté, un échec pourtant reconnu par leurs experts et qui tient à la conception même de cet instrument : ni le développement ni la lutte contre la pauvreté ne se confondent avec l’accroissement des financements extérieurs.

Pourquoi ce plan est-il illusoire ?

Le vice irrémédiable de ce plan est que la réalité des problèmes du Mali n’est pas examinée avec lucidité et que les activités financées ne s’attaquent pas directement aux causes de la crise de 2012. On le voit par exemple dans trois domaines essentiels.

La décentralisation n’est pas une solution miraculeuse

La Miec Nord-Mali considère la décentralisation comme une priorité pour la région de Kidal et les «Partenaires techniques et financiers  (Ptf) soutiennent le gouvernement du Mali dans son intention de faire du processus de décentralisation l’axe majeur du développement institutionnel et de la réforme de l’État. Aucun des partenaires ne soulève les risques, évoqués par de nombreux analystes, que présente une décentralisation excessive dans un État sans autorité.

En réalité, les Ptf n’ont pas cherché à savoir quels sont les enseignements de l’expérience malienne de décentralisation depuis les années 1990. Le Fmi non plus, dont le rapport se trompe lourdement sur ce sujet. Quant à l’État, il a, comme les bailleurs, la seule préoccupation de faire entrer le maximum d’aide extérieure dans les comptes. Or, toute la période d’ATT a été marquée par une parfaite indifférence à la décentralisation comme à la démocratisation. La situation est encore plus défavorable aujourd’hui en raison des conséquences de la crise de 2012 sur l’affaiblissement de l’État.

Enfin, c’est pure illusion de compter sur la décentralisation pour conjurer les menaces venant de l’extérieur.

  1. Aucune solution pour l’emploi et de la formation des jeunes

Le problème économique et social le plus sérieux du Mali, celui qui délite la société, c’est celui de l’emploi et donc de la formation. Un document préparé pour la conférence montre que les nouveaux entrants sur le marché du travail sont chaque année au nombre de 300 000 environ actuellement et que ce nombre ne fera qu’augmenter dans les décennies à venir. La solution n’est donc pas dans les programmes caritatifs qui concernent quelques centaines de jeunes. Elle n’est pas plus dans les grands travaux : tant que les jeunes ne se nourriront pas du béton des barrages ou de l’acier des rails de chemin de fer, ou du bitume des routes, les grands travaux ne seront pas, quoi qu’on en dise, une solution durable au problème de l’emploi des jeunes.

Au contraire l’agriculture malienne pourrait produire plus et plus efficacement, avec plus de bras mieux formés : 7 millions d’hectares seulement sont cultivés sur 43 utilisables pour l’agriculture et l’élevage, ainsi que les possibilités d’accroître les rendements sont importantes, même après les progrès réalisés dans ce domaine depuis deux décennies. Les éventuels emplois dans d’autres secteurs supposent dans l’ensemble un niveau de formation générale et de qualification technique qui manque désormais à la jeunesse malienne.

Ce point crucial, celui de la formation de base et professionnelle, est évoqué dans les documents distribués lors de la conférence, et la population en est parfaitement consciente. Mais la conférence de Paris ne jette pas les bases de la réforme radicale qui s’impose. Ignore-t-elle vraiment qu’aucun développement ne peut résulter du naufrage corps et biens de l’éducation au Mali ?

  1. L’insatisfaction en matière de justice est, elle aussi, ignorée

L’enquête à laquelle a procédé l’Institut d’études de sécurité a rappelé que «la priorité qui a peut-être été considérée comme la plus urgente par les participants nationaux a été la nécessité d’en terminer, de façon visible, avec l’impunité des criminels et des trafiquants […] sans oublier la corruption généralisée». La Conférence de Paris a passé outre à cette attente de l’opinion et le gouvernement, dont la responsabilité est clairement engagée, n’a rien proposé, rien demandé.

En bref, la stratégie de relance économique et de développement du Mali, tel qu’elle est financée et donc imposée par les bailleurs étrangers, est illusoire, car elle repose sur une conception purement financière et macro-économique des progrès de l’économie. Que cette conception soit dominante dans la «Communauté internationale» n’empêche pas qu’elle soit fausse.

De ce point de vue, le président du Mali a été bien inspiré de consacrer à l’agriculture l’un des premiers alinéas de son récent discours de nouvel an. C’est d’ailleurs, avec celui qui est consacré aux mines, l’un des rares passages de ce discours qui évoque le futur et pas seulement le passé récent. Mais, son engagement en faveur de l’agriculture est timoré et dangereux son intérêt pour les exploitations agro-industrielles. En matière d’éducation, ce discours illustre parfaitement l’illusion selon laquelle les chantiers de construction de classes amélioreront le niveau de qualification de la main-d’œuvre malienne. En matière d’emploi, il confirme l’écart gigantesque entre la taille des projets et celle des besoins. Enfin, en matière de justice, le président se révèle ici vraiment très en retrait par rapport à son discours d’investiture!

Le gouvernement du Mali n’a ni projet de société, ni stratégie et les groupes armés non plus. Dans ces conditions, la «-Communauté internationale» aura beau s’engager militairement, financièrement, politiquement, aucun des problèmes qui minent le Mali ne sera résolu : le pays reste aussi vulnérable qu’à la veille de 2012.

Joseph Brunet-Jailly

Économiste, Chargé d’enseignement,

Sciences Po

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