Du 17 au 19 novembre 2011 s’est tenue, à Nyéléni (Mali), la première conférence paysanne internationale contre l’accaparement des terres. Organisée par la Coordination Nationale des Organisations Paysannes du Mali (CNOP) en collaboration avec La Via Campesina et des organisations partenaires, cette conférence qui a enregistré la présence de plus de 250 participants venus de 30 pays du monde a été l’occasion pour les paysans et les paysannes de faire des témoignages sur les difficultés qu’ils rencontrent. Aussi, ont-ils formulé des revendications et crée des alliances afin de faire face auxdites difficultés.
L’accaparement des terres, faut-il le souligner, est un phénomène mondial dont l’ampleur et la vitesse sont inégalées. Au Mali, au cours des dernières années, plus de 800 000 hectares de terres arables ont été cédés par le gouvernement aux investisseurs par le biais de baux de 30 ans, renouvelables. De même, il est estimé qu’en Afrique plus de 30 millions d’hectares ont été vendus ou loués. Au niveau mondial, cela atteindrait 60 à 80 millions d’hectares, mais du fait du caractère secret voire illégal des contrats, il ne s’agit que de la partie visible de l’iceberg. Ces terres sont déjà transférées aux élites nationales, aux multinationales et aux fonds financiers qui cherchent à faire des bénéfices ou à spéculer au moyen de projets d’agriculture industrielle, d’exploitation minière, de production d’agro carburants, de marchés du carbone, de tourisme, de grands barrages, etc.
D’aucuns les présentent comme des "investissements" alors que ces accaparements de terre ne sont autre que du vol. Il s’agit également d’une véritable violation des droits des paysans et des paysannes. Ces accaparements spolient les petits producteurs, les éleveurs, les peuples indigènes, entre autres, de leur patrimoine et de leurs moyens de subsistance.
Ce qui est plus grave encore, ces paysans et paysannes, victimes de cette situation, n’ont presque pas d’espace pour s’exprimer et construire des actions collectives afin de prendre à bras le corps leur propre destinée, d’où l’organisation de cette première conférence paysanne internationale sur le thème : « Stop à l’accaparement des terres ».
A la cérémonie d’ouverture des travaux, le Président de la CNOP, Ibrahima Coulibaly a fait savoir que cet espace appartient aux parlementaires, aux chercheurs, surtout aux paysans, qui représentent plus de 80% de la population au Mali. Cependant, il a dénoncé l’attitude ou du moins le manque de volonté politique de nos dirigeants Africains qui, selon lui, continuent à céder aux investisseurs privés des millions d’hectares (30 millions d’ha) de terres au détriment des paysans. « On peut nier les droits des communautés, si non il n’y a aucune terre qui n’appartient pas à une communauté » a martelé le Président de la CNOP avant d’ajouter que depuis l’éclatement de la crise alimentaire et financière mondiale en 2008, les gouvernements et les entreprises privées n’ont eut cesse de convoitiser de plus en plus d’immenses surfaces de terres fertiles à l’étranger partout dans le monde.
Paul Nicholson, un des leaders de La Via Campesina a mis en demeure ceux qui pensent que l’accaparement des terres constitue une modernisation de l’agriculture, et que c’est la seule solution pour lutter contre l’insécurité alimentaire. Il estime que seule l’agro écologie peut jouer ce rôle de lutte contre la faim. « Nous avons besoin de lutter contre l’accaparement des terres pour le développement de l’agriculture paysanne à l’échelle internationale. Il ne s’agit pas d’une lutte qui implique seulement les paysans, mais c’est une lutte qui concerne toute la société. Nous devons réaliser un plus grand suivi de toutes nos actions » a-t-il conclu.
Lors des premiers débats qui ont mis l’accent sur un panorama des accaparements des terres en lien avec les crises alimentaires et les stratégies des institutions financières internationales, les participants en plus de la présentation des différentes formes d’accaparement des terres, entre autres, l’accaparement par l’Etat, les multinationales, les communautés elles-mêmes sur la base de certaines coutumes… ont partagé leurs expériences.
Le clou des témoignages a été celui des victimes des investisseurs étrangers et nationaux au Mali, dont Malibya, Tomota, Modibo Keita.
Ainsi, un paysan de Sanamandougou au Mali témoigne : « C’est Modibo Keita, un opérateur céréalier, non moins PDG du Groupe Grand Distributeur de Céréale au Mali (GDCM) qui est à la base de toutes nos souffrances aujourd’hui. Modibo, sous le couvercle d’un bail mal acquis, a détruit nos récoltes, nous ont expropriés de nos terres pour satisfaire son projet de blé culture. Tous ceux qui ont tenté de riposté ont été soit emprisonné, soit bastonné… ».
Cet autre paysan de Kolongo, toujours au Mali, témoigne : « Plus de 117 familles ont vu leurs récoltes détruites par les machines au profit des investisseurs comme Tomota et Malibya… »
Devant la gravité de la situation, les organisations paysannes réunies au Mali ont créé à l’issue de cette conférence une alliance qui permettra de renforcer et de soutenir les communautés paysannes dans leurs luttes contre cette offensive. Un plan d’action a été adopté, comprenant notamment un observatoire permettant de collecter et d’échanger les données concrètes concernant les accaparements de terres. Aussi, les participants et participantes à cette conférence se sont engagés à travailler ensemble, de toute urgence, pour mettre fin aux accaparements de terres.
Notons enfin que quelques grandes figures emblématiques de la lutte paysanne, notamment Paul Nicholson, Rafael Alegria et Henri Saraghi ont été immortalisés à travers les inaugurations de nouveaux locaux situés au village Nyéléni.
Ainsi, le nouveau bureau régional de La Via Campesina porte le nom de Paul Nicholson, et les deux salles du centre de formation en agro écologie portent respectivement les noms de Rafael Alegria et d’Henri Saraghi.
Moussa Touré, envoyé spécial.