10 159 539 tonnes de céréales produites pour la campagne agricole 2018-2019. Une production dite «record» qui propulse le Mali au rang de deuxième producteur de riz en Afrique de l’ouest, après le Nigéria. Pourtant, en dépit de ces résultats vantés par les autorités, le nombre de personnes en insécurité alimentaire dans notre pays ne cesse de croître d’année en année.
– Maliweb.net – Près de 3,8 millions de personnes sont touchées, depuis janvier 2019, par l’insécurité alimentaire au Mali dont 548 644 personnes en insécurité alimentaire sévère. Des chiffres fournis par le Bureau de la Coordination des Affaires Humanitaires des Nations Unies (OCHA) qui, selon le Système d’Alerte Précoce, s’expliquent par la recrudescence des conflits intercommunautaires dans le centre du Mali. En réalité, le phénomène de l’insécurité alimentaire est plus ancien que la crise du centre et ses causes surement ailleurs.
Dans un rapport scientifique, publié en novembre 2008, sur l’insécurité alimentaire au Mali, des chercheurs de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) et du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) «montrent que l’insécurité alimentaire relève davantage d’une construction sociale et politique complexe, fondée sur une histoire longue, que d’une fatalité tenant aux caprices d’un environnement peu clément».
A regarder de près, l’une des causes de l’insécurité alimentaire serait l’inégalité de l’accès à la terre au Mali. En effet, même si elles représentent 52% de la population totale, les femmes au Mali n’ont pas droit à la terre cultivable. La raison? La terre est un bien familial, donner sa propriété à une femme, selon le droit coutumier, c’est prendre le risque que cette terre soit morcelée ou aliénée au gré des mariages. Une « injustice » que combat la Fédération nationale des femmes rurales (FENAFER).
Aux dires de Mme Niakaté Goundo Kamissoko, présidente de la FENAFER, aucune graine de céréale n’est récoltée au Mali sans l’apport direct ou indirect des femmes. Selon l’ONU Femmes, 70% de la production alimentaire au Mali est réalisée grâce à l’apport des femmes. Cependant, au moment de la répartition des gains, les femmes sont oubliées. Ainsi, l’argent issu de la vente des récoltes est le pré carré des seuls hommes. «Quand une femme a quelque chose, ça part dans la nourriture, l’éducation ou le soin des enfants. Ce sont les récoltes de la femme qui reste en réalité à la maison», défend la présidente de la FENAFER.
État des lieux difficile
En février 2017, ONU FEMMES-Mali a lancé le programme «Agriculture, Femmes et Développement durable» (AgriFeD). Un programme qui vise à améliorer l’accès des agricultrices à la terre et qui vient renforcer la Loi d’Orientation Agricole (LOA) qui prévoit l’octroi de 15% des terres aménagées aux femmes, aux jeunes et aux groupes vulnérables. Adoptée décembre 2005, l’Article 25 de cette loi stipule que «L’Etat privilégie l’installation des jeunes, des femmes et des groupes vulnérables comme exploitants Agricoles, notamment en favorisant leur accès aux facteurs de production et par des mécanismes d’appuis techniques ou financiers particuliers».
Dans la pratique, l’application des dispositions de cette loi notamment celle qui consacre 15% des terres aménagés aux jeunes, des femmes et des groupes vulnérables ne règle pas encore le problème de l’accès à la terre. «Il n’y a pas de zones aménagées ou aménageables partout au Mali alors que les femmes rurales sont partout», dénonce Mme Niakaté Goundo Kamissoko. Là où, il y a des superficies aménagées, explique la présidente de la FENAFER, les terres remises aux femmes ne sont pas sécurisées. «On demande aux femmes de payer les frais de confection des titres fonciers, de l’argent qu’elles n’ont pas, ce qui fait que les terres ne sont pas sécurisées», révèle Mme Niakaté Goundo Kamissoko.
Autres difficultés des agricultrices au Mali, c’est l’accès au financement. Mariam Sidibé est promotrice de la ferme Ma’Kadi, spécialisée dans la production, la transformation et la commercialisation du miel localement. Diplômée en Banque finance et assurance, la jeune entrepreneure de 30 ans raconte toute la difficulté à avoir accès au financement dans le secteur agricole et surtout pour les femmes. «Les conditions des prêts en banque ou en micro finance ne me convenaient pas. On peut comprendre la réticence des bailleurs face à une activité aussi aléatoire que l’agriculture», indique-t-elle. «Les taux d’intérêt sont assez élevés et il est difficile de remplir toutes les conditions quand on débute», ajoute Mariam, et d’ajouter: «j’ai fait le choix d’aller sur fond propre et ça m’a pris à peu près un an et demi pour m’installer».
Elles sont nombreuses ces femmes qui veulent entreprendre dans le secteur agricole, mais les difficultés de financement et surtout le manque d’équité femme – homme dans le secteur fait de l’agriculture malienne un secteur où les femmes sont en grand nombre mais où «les décisions sont prises sans les femmes», comme le dit la présidente de la Fédération nationale des femmes rurales. Une injustice sociale qu’il faudrait corriger par la promotion d’une agriculture sensible au genre d’assurer une sécurité alimentaire effective au Mali.
Mamadou TOGOLA/Maliweb.net