Sous d’autres cieux, le ministre du Développement Rural, Bocari Tréta et Bakary Togola, président de l’APCAM, seraient congédiés. Sans autre forme de procès. Avec, à la clé, leur comparution devant un juge. Afin qu’ils s’expliquent sur les tenants et les « abroutissants » de cette affaire. Le premier, pour n’avoir pas pris au sérieux la lettre de son homologue « y-voit-rien », pardon ivoirien, par laquelle il l’informe de la présence, au Port d’Abidjan, d’importantes quantités d’engrais de mauvaise qualité à destination du Mali. Et le second, pour avoir passé commande, puis livraison, de ce « poison » à nos paysans.
S’y ajoutent les déclarations farfelues des uns et des autres dans cette affaire, qui est loin d’avoir livré tous ses secrets.
Ingénieur agronome de formation, en charge du Développement Rural, Bocari Tréta l’a reconnu, publiquement : 40 % de l’engrais livré, par des fournisseurs connus, seraient hors normes ; c’est-à-dire, pourris. Et leur utilisation, par les paysans, pourrait engendrer une perte de 130.000 tonnes de céréales. Soit, l’équivalent de 40 milliards CFA.
En dépit de ces risques, ces 40.000 tonnes d’engrais pourris auraient été livrés aux paysans. Curieusement. Et ce qui devrait arriver, arriva. A l’éclatement du scandale, le ministre du Développement Rural et le président de l’APCAM croyaient pouvoir noyer le poisson dans leur salive. Erreur. Ils viennent, tous deux, de brûler leurs ailes à la flamme de deux langages.
Déclarations contradictoires
A force de gaver nos concitoyens de déclarations, les unes plus fantaisistes que les autres, les Maliens ne savent plus à quel engrais se fier : celui dit frelaté, censé être retourné aux fournisseurs indélicats, et l’engrais frelaté, déjà, utilisé par les paysans pour la campagne agricole en cours.
Après avoir reconnu, dans un premier temps, que 40 % de ces engrais sont de mauvaise qualité, le ministre du Développement Rural et le président de l’APCAM se rebiffent. Si, pour le premier, cette affaire n’est que le fruit d’une guéguerre entre fournisseurs d’engrais, le second, lui, annonce à la surprise générale qu’il n’y a pas d’engrais frelatés. Ou d’engrais de mauvaise qualité. Pire, ajoute – t-il, tout ce que les journalistes racontent des balivernes. Avant d’appeler les paysans à utiliser ces engrais incriminés. Avec le risque que l’on sait.
Et pour mieux rouler les Maliens dans la farine, Bakary Togola s’est fait entourer d’une véritable garde prétorienne à la conférence-débat, organisée en fin de semaine dernière, par le « parti du bélier blanc » : le Parena.
Venus de toutes les régions, ou presque, ces « souteneurs » du président de l’APCAM avaient pour mission de s’opposer à sa démission, réclamée par Tiébilé Dramé, leader du Parena ; mais aussi, par une frange importante des paysans. Qui ne se reconnaissent plus en lui.
« Cette année, il y a eu des rumeurs concernant les engrais. Nous avons demandé à la direction nationale de l’Agriculture de faire des contrôles. Des laboratoires du Mali et de l’extérieur ont procédé aux analyses. Nous avons constaté que les engrais d’un même fournisseur, analysés par la même usine, ont donné des résultats différents. Certains engrais sont dans les normes, d’autres ont des substances qui manquent. Cela nous a intrigués. Nous ne pouvons pas comprendre que les mêmes engrais d’un fournisseur puissent produire des résultats différents.
Je me suis promené, en tant que délégué à la production et à la qualité de l’UNSCPC, chez des agriculteurs et j’ai constaté que les engrais ont produit de bons résultats. Je lance ce message aux paysans : il y a une différence entre le fait de dire qu’un élément manque dans l’engrais et que l’engrais est mauvais », indique Mr Bakary Dembelé, délégué à la production et à la qualité de l’Union Nationale des Sociétés-Coopératives de Producteurs de Coton (UNSCPC).
« Qui vivra, va verra ! »
Oumar Babi
Engrais de mauvaise qualité : Les partisans de Bakary Togola perturbent le débat
Invité à la conférence-débat organisée par le parti pour la Renaissance nationale (PARENA), samedi dernier, au Centre international de conférence de Bamako, Bakary Togola avait pris les devants, en conviant à l’évènement, plusieurs paysans, venus, manifestement, pour défendre sa cause. A cet effet, dès le début de l’intervention de Tiéblé Dramé, président du PARENA, qui reprenait l’essentiel du mémorandum du parti, la salle grondait déjà et visiblement, il ne fallait pas laisser aux premiers intervenants l’initiative d’installer une ambiance de conférence-débats. En paysans, impatients d’écouter de longs discours, les partisans de Bakary Togola ont obligé les organisateurs, des personnalités invitées et quelques agents du service de sécurité à intervenir pour calmer la salle et permettre le bon déroulement des débats. En fait, le mot démission de Bakary Togola, guetté par la foule, n’a pas été accepté par des paysans et l’intéressé lui-même a refusé de démissionner, car, a-t-il dit ce n’est pas Tiéblé Dramé qui l’a mis à la tête des organisations paysannes. Le débat s’est longuement focalisé sur cette question avant d’en venir à l’essentiel, c’est-à-dire, à la qualité des engrais. Pour Bakary Togola et ses partisans, les engrais ne sont pas mauvais, mais ne répondent pas aux normes. Bakary Togola avait, a-t-il dit, demandé le retrait et le remplacement des engrais qui ne répondent pas aux normes de qualité, mais ne pouvait affirmer si tout avait été retiré. C’est à ce titre que le président du PARENA lui a fait savoir que s’ils reconnaissent que ces engrais sont hors norme, c’est qu’ils ne sont pas bons et qu’ils ont des effets néfastes sur les rendements. L’atmosphère était tendue et le débat s’est terminé dans le vacarme. C’était manifestement ce que cherchait Bakary Togola et ses partisans.
B.D.