Engrais frelaté : les victimes parlent, enfin !

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Engrais frelaté : les victimes parlent, enfin !Les cotonculteurs du village de Bankoni, localité située à une cinquantaine de kilomètres de Dioïla, ont tout perdu. Ou presque. Rencontrés au domicile de Soumaïla Diarra, le chef de village, sous un grand hangar qui fait office de place publique, ils racontent par le menu détail leur calvaire, après l’utilisation de cet engrais, dit « frelaté ». Avant de pointer un doigt accusateur sur le président du GIE des cotonculteurs et la direction générale de la CMDT (Compagnie Malienne du Développement du Textile) qui, disent-ils, leur avaient imposé cet engrais, jugé de piètre qualité.

De la verdure à perte de vue, annonçant une bonne campagne agricole. Mais au fur et à mesure que nous poursuivons notre route, la verdure se fait rare. L’insuffisance de la pluviométrie, aussi. Déjà, à Nangola, village situé à 10 km de Bankoni, les champs sont avares en cultures. « Ni le coton, ni le maïs, ne sont à hauteur de souhait, pas à cause de l’insuffisance des pluies ; mais à cause de l’engrais, appelé « somadeco », du nom d’un fournisseur d’engrais de la place », explique Mr Fofana, représentant les cotonculteurs de la zone. Partout, des champs nus, sans culture, ni herbe sauvage. Un désastre, qui défile sous nos yeux à une vitesse de 30 km par heure.

Après une heure de route, sur des pistes rurales défoncées, nous apercevons les premières maisons du village de Bankoni. Nous pénétrons dans le village. Destination : le domicile de Soumaïla Diarra, le chef de village. Assis au milieu de ses conseillers, sous un grand hangar faisant office de place publique, il tente, en dépit de ses 80 ans révolus et de sa mauvaise vue, de se montrer actif. Autour d’eux, les cotonculteurs venus en masse pour nous raconter leurs déboires, suite à l’utilisation de « l’engrais somadeco ».

 

Témoignages accablants

 

« Avant, l’engrais se dissout dans le sol, deux jours après son utilisation. Ou au bout de quatre jours, au maximum. Mais cela fait deux mois, que l’engrais somadeco ne s’est pas dissout dans le sol », indique Diakaridia Sangaré, secrétaire générale de l’association « Benkadi » de Bankoni.

Réputée pour son rendement en coton, cette zone avait reçu trois types d’engrais : Toguna, DPA et somadeco. Mais selon Mr Sangaré, seul l’engrais de somadeco pose problème. « Le bureau CMDT de Fana nous a traité de tous les noms d’oiseau sur les antennes des radios privées, mais nous avons tenu à lui retourner les 360 sacs d’engrais frelaté qu’il nous fourgué », ajoute-t-il.

Secrétaire général de l’association « Sowaro », Dramane Coulibaly, lui, n’est pas allé par le dos de la gamelle pour fustiger la complicité de Bakary Togola, président du GIE et du syndicat des cotonculteurs ; mais aussi, le rôle de la direction générale de la CMDT. « Nous avons demandé l’engrais de Toguna Agro-Industrie ; mais à notre grande surprise, on nous envoie 123 sacs d’engrais « somadeco », que nous leur avons retourné », assure-t-il. Et de poursuivre : « Pour ne pas rater la campagne, nous nous sommes partagés quelques sacs d’engrais de Toguna, qui nous restait ».

Appartenant à l’association « Solou » de Nangola, Bamoussa Diarra  a été le premier à découvrir  la supercherie : « Pour pouvoir fourguer l’engrais de somadeco aux paysans, ils ont écrit sur les bordereaux de livraison « complexe coton ». Malgré tout, nous avons découvert ce que la CMDT et Bakary Togola voulaient nous cacher ».

Au total, indiquent les cotonculteurs de Bankoni et de Nangola, près de 2000 sacs ont été retournés à la CMDT. Car, jugés de mauvaise qualité. Entre-temps, les paysans, qui n’avaient pas reçu l’information, auront utilisé l’engrais incriminé. Avec les conséquences que l’on sait.

« Ce n’est que mercredi dernier, que nous avons pu bénéficier de 344 sacs d’engrais, de marque Toguna », poursuit Mr Diarra, la mort dans l’âme.

 

250 ha sans engrais, une campagne agricole catastrophique

 

Des différents témoignages, il ressort que près de 250 ha de champs de coton sont restés sans engrais. D’où la menace qui pèse sur cette campagne agricole, qui s’annonce catastrophique. Du moins, dans cette zone où la CMDT a, longtemps, maintenu l’embargo sur l’engrais : « La CMDT nous a dit : ou vous utilisez l’engrais de somadeco, ou vous n’aurez plus d’engrais ! », déplorent les cotoculteurs. Qui dénoncent ce abject  chantage.

« J’avais utilisé 25 sacs d’engrais somadeco. Mais je n’avais récolté que 2,78 tonnes à l’hectare sur mes 5 ha de terres », raconte Yaya Diarra, les traits tirés et la voix nouée par la colère.

Autres griefs à l’encontre de l’engrais, appelé « somadeco » : son poids. Les sacs de 50 kg affichent 47 kg sur la balance.

Pour la campagne agricole 2015-2016, l’Etat malien a déboursé près de 60 milliards CFA pour les engrais. Et 20 milliards CFA pour les pesticides. Soit, 80 milliards CFA. Malgré tout, cette campagne agricole s’annonce comme la plus catastrophique que notre pays ait jamais connue. Interpellé, à l’Assemblée nationale par les députés, le ministre du Développement Rural avait reconnu que 40 % des engrais livrés aux paysans sont de mauvaise qualité.

Subventionnés par l’Etat à hauteur de 35 milliards CFA, les engrais incriminés  sont déficitaires en phosphate, en azote, en phosphore et autres nutriments, nécessaires pour une bonne campagne agricole.

Pour les cotonculteurs du cercle de Dioïla, toutes les responsabilités doivent être situées dans l’affaire, dite de «  l’engrais frelaté ».

« Nous avons besoin de dirigeants, capables de défendre les intérêts des paysans ; pas de dirigeants, dont le seul objet est de nous arnaquer,  pour s’en mettre plein les poches ».

Un appel qui a valeur d’avertissement.

 

Oumar Babi, envoyé

Spécial à Bankoni, dans le cercle de Dioïla

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8 COMMENTAIRES

  1. Monsieur le journaliste soit un peu digne dans ta vie, combien Toguna t’a donné pour faire une publication pareille. Depuis le début de cette affaire, je l’ai dit, c’est une guerre de fournisseurs à qui on a voulu mêler les producteurs.
    Alors pour ton information, Fana est une région cotonnière, chaque année toute la zone de Fana réuni, leur production n’atteint pas un seul secteur de la région Koutiala ou de Sikasso.
    Dioila fait partie de la région cotonnière de Fana, je demande aux autorités de déplacer une mission sur Bankoni avec les techniciens pour constater les faits, et que des sanctions tombent pour des journalistes comme toi plus venimeux que le serpent.
    Pourquoi vous acharner comme ça contre des gens, de toute façon les cotonculteurs ont promis 650 000 tonnes de coton pour la campagne à venir 2015-2016, la suite la campagne nous le dira. ce n’est qu’une question de mois, 3 mois maximum et on saura qui ment.
    lors de la campagne 2014-2015 la prévision était de 600 000 tonnes, ils ont fait 548 000 tonnes soit près de 92 % de réalisation. aucun observateur ne dira que cela n’était pas bon.
    éviter de vous pavaner sur des terrains inconnus et renseignez-vous un peu avant de vomir tes venins sur les papiers il y va de votre crédibilité et de la crédibilité de votre journal.
    la méchanceté ne sert à rien, elle détruit d’abord son maître.

  2. Mais on parle de quelle campagne, celle de cette année ou quelle année, sinon je viens de Bangoni, torokoumana et Niamana, C/Nangola à moins qu’il y ait un un autre bangoni à Nangola/C.Dioïla

  3. Les séquelles de ce mauvais engrais sont remarquables déjà. Les enquêteurs peuvent maintenant aller sur terrain pour prélever des indices.

  4. Petit c’est ça l’information irrégularité constatée les victimes et l’opinion publique au parfum de la chose, pas de chantage ni de délation. Tout est dit de façon claire.
    Tes parent sont des gens honnête; continue comme ça et tu sera digne de tes honorables géniteurs que que les accueille dans le paradis des hommes intègres.
    Refuse le chantage, la corruption…
    Merci pour cet article.

  5. Merci Oumar; merci la démocratie au Mali, au moins les paysans peuvent refuser cequ’ils ne veulent pas. COURAGE A CES VAILLANTS GUERRIERS DE LA TERRE.

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