La semence est un élément stratégique des systèmes de production agricole. Sans semences de qualité et adaptées aux évolutions des contextes pédoclimatiques, la survie des sociétés rurales serait compromise. Ainsi, pour mieux comprendre la commercialisation des semences certifiées au Mali, nous avons rapproché un jeune entrepreneur, Djibril Kayentao, gérant de l’entreprise Agriplus qui a voulu partager avec nous son sentiment sur la santé du marché des semences au Mali. Interview.
Mali-Tribune : Comment se porte le marché des semences en cette période d’hivernage ?
Djibril Kayentao : Le marché des semences se porte très bien au Mali et cette bonne santé a été constatée depuis l’année dernière. Depuis deux ans, on constate une nette augmentation des ventes, souvent la demande dépasse l’offre, la quantité des semences demandée sur le marché est considérablement supérieure à la quantité totale des semences produites et certifiées. On se bat pour la commercialisation des semences certifiées, des semences qui sont adaptées au changement climatique, notamment des semences améliorées.
Cependant, malgré cette nette augmentation de la vente des semences sur le marché national, je dirais que ce marché n’est pas durable parce que c’est un marché qui est porté par les projets, les programmes et quelques ONG également. Nous compagnies de commercialisation, nôtre lutte est que nos propres agriculteurs aient un pouvoir d’achat des semences, qu’ils aient la capacité et la possibilité financière d’acheter leur propre semence.
Ce que les projets font, certes ça constitue une rentrée d’argent conséquente pour nous les entreprises semencières mais ce n’est pas quelque chose de durable parce que les projets ne dépassent pas 4 à 5 ans et quand ils prennent fin, la vente des semences certifiées baisse considérablement. Peut-être que si les compagnies étaient impliquées dans la distribution de ces semences pour servir des acteurs de promotion, ceci allait avoir un effet après la fin du projet. Comme ça, les paysans sauront automatiquement où acheter ces semences après la fin du projet. Sinon globalement pour la campagne 2022-2023 et cette année 2023-2024, la vente sur le marché se porte très bien, parce que le peu qu’on produit est écoulé sans trop de complications.
Mali-Tribune : Quels sont les défis auxquels les compagnies semencières sont confrontées aujourd’hui ?
Djibril Kayentao : Nous sommes plusieurs acteurs du secteur semencier et chaque acteur à ses propres défis parce qu’il y a une chaîne de valeur qui est là depuis la production des semences de base qui concerne la recherche, ils ont leur propre défi. De la recherche, il y a aussi des multiplicateurs, les producteurs des semences qui ont tous leur propre défi.
Les transformateurs et même les agriculteurs aussi. Donc, en ce qui concerne les compagnies semencières, elles sont confrontées à plusieurs défis, notamment les risques liés aux ressources humaines, des défis logistiques, infrastructurels et des défis financiers.
Pour ce qui est du défi lié aux ressources humaines, c’est par rapport à la compétence des acteurs de ce secteur. Je pense qu’il faut aller vers la professionnalisation de ce secteur. Les entreprises n’ont pas suffisamment de moyens pour recruter la main-d’œuvre qualifiée pour pouvoir mener à bien cette activité de production et de la commercialisation des semences, ce qui fait qu’on se débrouille avec les moyens du bord. Ce n’est pas que sur le marché, il n’y a pas des compétences nécessaires pour développer ce secteur, mais c’est les moyens financiers qui font que c’est difficile. Quand on parle de logistique, c’est un problème de transport, les semences sont transportées dans les mêmes conditions que les marchandises, ce qui joue beaucoup sur la qualité des semences.
Par rapport aux défis infrastructurels, rares sont les entreprises semencières qui en disposent de bonne qualité qui répondent aux normes pour la conservation des semences. En ce qui concerne le défi financier, il n’y a pas un système financier dont les institutions disposent adapté à notre secteur. Malgré les plaidoiries, les campagnes de sensibilisation, les formations menées à l’endroit des institutions financières, nous sommes toujours confrontés à ce problème. Nous comptons prendre des prêts au même titre que les autres particuliers. Généralement, la vente des semences est périodique, c’est liée à des campagnes, à des moments bien précis de l’année. Donc, si on nous octroie des crédits au même titre que les autres acteurs, c’est compliqué.
Par exemple, quand on parle de la production des semences, de la production jusqu’à la commercialisation, ça peut prendre neuf mois. Durant tout ce temps, il n’y a pas une grande possibilité de vendre ces produits. Maintenant, si on nous impose les mêmes conditions que les autres acteurs qui sont dans une activité courante de vente, c’est un peu compliqué. Ce sont les difficultés auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui.
Un autre défi est lié à l’organisation même du marché des semences, il y a une forte concurrence déloyale, tout le monde veut tout faire. Quand on prend la recherche qui est censée mettre à disposition des semences de pré-base et de base, la recherche même commercialise des semences que nous les entreprises agrémentées sont censées commercialisées. Les multiplicateurs sont aussi plus dans la vente des semences.
Tout le monde fait tout, ce qui veut dire qu’il y a toujours nécessité d’un suivi constant de la réglementation de ce secteur pour mieux l’organiser. Que la recherche continue sa production des semences de première génération, que les coopératives de production se contentent de la multiplication des semences, maintenant nous, les compagnies semencières qui sommes censées collecter ces semences pour les mettre sur le marché, qu’on s’en tienne à cela.
Mali-Tribune : Avez-vous un appel à lancer ?
Djibril Kayentao : L’appel que j’ai à lancer à l’endroit des autorités de ce pays, c’est de porter un regard sur le secteur agricole, car il a besoin d’être dynamisé. Quand on a une bonne semence le rendement est déjà excellé à 30 %, c’est les autres intrants qui viennent en complément. On a tendance à croire que le secteur semencier est délaissé par l’État. Quand on regarde la recherche c’est le ressort de l’État, ils ont des difficultés à mettre à la disposition des multiplicateurs des semences de première génération. Donc, chaque année on est confronté à l’insuffisance des semences de première génération.
Par ailleurs, je lance aussi un appel aux agriculteurs d’arrêter d’utiliser les semences à tout bout de champ parce que quand un agriculteur achète des engrais qui sont utilisés pour les semences, c’est pour booster la production. Quand on parle de la production, ça commence par la disponibilité des semences de qualité. L’autosuffisance même commence par la disponibilité des semences de qualité.
Propos recueillis par
Ibrahima Ndiaye