Comme annoncé dans notre parution du vendredi 21 juillet 2006, la Coalition pour la Protection du Patrimoine Génétique Malien (COPAGEN-Mali) était dans les rues de Bamako le vendredi dernier. La marche pacifique de protestation contre l’introduction des OGM au Mali sur plus de 3 Km de l’APCAM jusqu’à la représentation de l’USAID au Mali en passant par le ministère de l’Agriculture a réunis au moins 1.000 personnes selon les organisateurs, un peu plus de 600 selon la police.
En tout cas, la détermination était très forte chez les marcheurs. Tout au long du parcours, les activistes scandaient des slogans tels : Non aux OGM dont les risques non maîtrisés sont des dangers pour le consommateur et l’environnement ; Non à Mosanto ; Non à Syngenta ; Non à l’imposture, Non à l’hypocrisie, Oui pour le respect et la mise en oeuvre du protocole de Carthagène.
Parmi les manifestants, il y avait Mmes Aminata Dramane Traoré, Assétou Samaké, Assétou Kanouté, Mamadou Goïta, Badou Samounou, etc.
DES RESPONSABLES SE CACHENT
Lorsque les marcheurs sont arrivés au ministère de l’Agriculture, ils ont été reçus par le Chef de cabinet dudit département à la place du ministère Seydou Traoré dont la démission est demandée par le COPAGEN-Mali.
A l’USAID également, ce n’est pas le représentant en personne qui a reçu les manifestants; craignant sa sécurité, dit-on, il s’est fait représenté par un Malien travaillant chez lui. Et pourtant, la marche a été bien encadrée par la police. Dans toutes ces structures, la Coalition pour la Protection du Patrimoine Génétique Malien a remis une déclaration dont le contenu s’oppose farouchement à l’introduction des OGM au Mali.
DES PREALABLES A L’INTRODUCTION DES OGM
L’introduction des OGM en agriculture devient de nos jours un sujet de débat public auquel toute citoyenne et tout citoyen doit pouvoir contribuer. En effet, les OGM, la manipulation des êtres vivants a fait ressortir des enjeux et des défis si énormes que tout citoyen africain et toute citoyenne a le devoir de s’informer et de se former pour contribuer efficacement aux débats qui, de plus en plus, s’organisent à travers les mouvements sociaux. Ces enjeux sont entre autres d’ordre : politique ; économique ; socioculturel.
Pour les Africains, notamment les mouvements sociaux et les décideurs l’usage ou le refus des OGM déterminera l’avenir de l’agriculture et le bien-être des hommes et des femmes de notre continent en général et du Mali en particulier.
Depuis une décennie, l’Afrique fait l’objet de plusieurs offensives bien structurées de façon chronologique pour convaincre nos décideurs par tous les moyens d’engager la vie de notre nation dans la production et la commercialisation des produits transgéniques. Il s’agit :
• d’abord des multinationales, notamment Monsanto (USA) et Syngeta (Suisse) qui tiennent à rentabiliser leurs OGM qu’elles ont produits à coûts de milliards de dollars US et en même temps à continuer leur expérimentation dans notre pays.
• ensuite certaines coopérations bilatérales, en particulier les USA, à travers l’USAID, ont pris le relais de leurs entreprises multinationales pour faire des chantages politiques, économiques, culturels sur nos décideurs afin d’obtenir l’ouverture de notre agriculture et de notre économie aux cultures et produits transgéniques ;
• enfin, la dernière offensive est celle des institutions financières internationales, notamment la Banque Mondiale (BM) qui veut pousser nos pays (Burkina Faso, Bénin, Mali, Sénégal et Togo) à adopter des lois favorables (non contraignantes) à l’introduction, la production et la commercialisation des OGM en Afrique ; cette même banque qui, dans un passé très récent, a démontré toutes ses incompétences à formuler et à mettre en oeuvre des politiques cohérentes de développement pour nos Etats.
Les Programmes d’Ajustement Structurel (PAS) qui ont mis à plat nos pays sur les plans économique, politique et socioculturel et qui ont contribué à créer la “pauvreté extrême” sont illustratifs à plus d’un titre. La lutte contre la pauvreté est aujourd’hui le nouveau programme de la BM en cours dans notre pays.
Comme si tout cela ne suffisait pas, cette institution financière vient de prendre l’initiative cynique de s’investir dans un projet institulé “Projet régional sur la Biosécurité en Afrique de l’Ouest” pour imposer à nos états une loi uniformisée favorisant l’introduction, la production et la commercialisation des OGM comme l’atteste clairement un des objectifs explicites du projet. Il est important de rappeler que notre gouvernement a pris, la décision sage de surseoir à l’introduction des OGM il y a deux ans lors d’un conseil de ministres.
Malgré tout, le ministre de l’Agriculture continue de prendre des positions et des initiatives au niveau sous-régional et international, engageant notre pays sur les OGM. L’une des initiatives récentes, selon le COPAGEN est la caution portée à un projet de la Banque Mondiale sur la biosécurité au niveau régional qui n’est autre qu’une forme voilée pour introduire les OGM dans l’agriculture de notre pays.
C’est autour cette initiative de la Banque Mondiale qui a fait l’objet de concertation “expéditive” dans les cinq pays dits partenaires du projet que les mouvements sociaux du Mali, engagés au sein de la Coalition pour la Protection du Patrimoine Génétique Malien intervenant dans plusieurs domaines, ont décidé d’organiser une marche de protestation pour informer les populations et les décideurs.
DE QUEL PROJET S’AGIT-IL ?
Le projet en question intitulé : “Proposed West Africa Regional Biosafety Project” est disponible seulement en anglais, bien qu’il ne concerne que des pays francophones : Bénin, Burkina Faso, Mali, Sénégal et Togo qui ont ratifié le protocole de Carthagène.
ANALYSE CRITIQUE DU COPAGEN
Les points suivants méritent d’être soulignés par rapport à un tel projet qui, de façon subtile comme à l’accoutumée, tente de cacher des objectifs mercantiles au détriment de l’intérêt de notre pays et des populations laborieuses :
* Ce n’est pas un hasard si le coton, la culture la plus économiquement rentable et socialement dynamique (qui fait l’objet de beaucoup de polémiques au niveau international liées entre autres aux problèmes de subventions des USA et de l’Europe, de l’accès aux marchés…) est le premier produit proposé actuellement dans le cadre de ce projet ;
* Le problème actuel du coton au Mali n’est pas celui de la production (quantité) mais bien ceux de la transformation/valorisation et de l’accès à des prix justes et équitables au producteur (notamment la question des subventions). Le coton Bt (coton OGM) ne sera donc pas la solution à ces problèmes.
* Il est évident que ce projet cherche à mettre en place un cadre réglementaire favorisant l’introduction des cultures génétiquement modifiées dans la région.
* Il est choquant de constater que nulle part dans ce projet, la question fondamentale des droits des communautés sur leurs ressources génétiques n’est prise en compte.
* Les OGM ne peuvent pas contribuer à “l’augmentation des revenus des producteurs” comme mentionné dans le projet. Les OGM qui sont faits pour l’agriculture industrielle éliminent non seulement les petits producteurs mais créent une dépendance des semences produites par les multinationales. Les petits producteurs constituent la majorité des agriculteurs en Afrique qui produisent l’essentiel de notre alimentation.
* L’objectif environnemental global cité dans le projet, à priori “séduisant”, cache l’objectif inavoué de légaliser les tests (officiels et cachés) menés dans notre pays.
* Ce projet qui veut faire du Mali en plus d’autres Etats de la sous-région “un espace attractif pour les recherches et l’utilisation des biotechnologies” n’a d’autres finalités que de dégager les responsabilités des multinationales en cas de dommages sanitaires, environnementaux, économiques… causés par les OGM.
* L’UEMOA en tant qu’institution sous-régionale n’a pas la légitimité d’autoriser la formulation et la mise en oeuvre d’un tel projet sur la biosécurité qui relève de la souveraineté de chaque pays du moment où le protocole de Carthagena et la convention sur la biodiversité indiquent que chaque pays doit prendre en compte ses propres spécificités.
* La Banque Mondiale, en tant qu’institution financière ne peut se donner le droit d’imposer à nos Etats une législation sur la biosécurité pour légitimer l’utilisation et la consommation des produits qui font l’objet de polémiques et de rejet partout dans le monde.
QUELLES CONCLUSIONS TIREES DE CETTE ANALYSE ?
Il est évident, à partir d’une telle analyse, que ce projet de la Banque Mondiale intitulé “Proposed West Africa Regional Biosafety Project” ne présente aucun intérêt pour notre sous-région en général et pour nos pays pris individuellement en particulier. Nos préoccupations en tant que Maliens par rapport à l’agriculture sont autres. Il s’agit entre autres :
• Les OGM ne sont pas une solution pour le Mali. Plusieurs alternatives scientifiquement maîtrisables, économiquement rentables et socialement durables existent de nos jours en plus de toutes les ressources locales que possède notre pays pour se nourrir mais aussi pour produire de la richesse.
• Les problèmes majeurs de l’agriculture du Mali sont entre autres : la maîtrise de l’eau, la fertilité des sols dans certains pays, l’accès aux moyens de production (notamment les questions de sécurisation foncière), l’accès aux crédits à des coûts acceptables, la transformation des produits pour ajouter une plus-value, l’accès aux marchés…
• Les lois sur la biosécurité ne sont pas une fin en soi. L’essentiel est de prendre en compte les préoccupations des communautés et de respecter leurs droits sur les ressources qu’elles ont protégées pendant des générations.
• L’UEMOA doit s’occuper de sa fonction originelle qui consiste à créer les conditions favorables pour permettre aux pays membres d’accéder aux marchés intérieurs et d’accompagner les initiatives économiques internes en priorité au profit de nos populations. Elle ne doit pas constituer un frein au développement économique de nos Etats en prônant des politiques d’ouverture suicidaires qui mettent en péril la paix dans la sous-région.
• La Banque Mondiale a largement contribué à déstabiliser l’économie du Mali et de la sous-région en particulier et de celles de toute l’Afrique en générale à travers les PAS imposés aux Etats. Tout le monde est unanime aujourd’hui pour reconnaître que les PAS ont consisté à drainer l’essentiel des revenus de nos Etats vers l’extérieur. Les OGM s’inscrivent dans cette même logique de dépossession et de dépendance de l’Afrique.
Pour toutes les raisons évoquées ci-dessus, Coalition pour la Protection du Patrimoine Génétique Malien demande
– A l’UEMOA et au gouvernement malien :
• l’arrêt immédiat de toutes les actions relatives à la recherche de financement et à la mise en place du projet de la Banque Mondiale intitulé “Proposed West Africa Regional Biosafety Project” ;
• l’adoption des lois qui protègent les droits des communautés sur leurs ressources génétiques ;
• la résistance à toutes les formes de pressions relatives à l’introduction des OGM dans l’agriculture malienne ;
• la valorisation des ressources locales et des savoirs qui y sont associés ;
• la promotion (application et diffusion) des alternatives dans l’agriculture qui sont des acquis de la recherche au Mali.
Aux populations maliennes de:
• résister à toute tentative d’introduction des OGM dans notre agriculture ;
• valoriser les ressources locales pour une meilleure création de richesses de façon durable ;
• s’informer et se former pour mieux comprendre les enjeux liés aux OGM et à leurs droits afin d’agir en connaissance de causes.
Daba Balla KEITA
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