Les observateurs qui étaient habitués aux chiffres et qui attendaient l’annonce d’un quelconque tonnage venant du ministre de l’agriculture au titre de la production pour la nouvelle campagne agricole ont eu la malheureuse surprise d’assister à un silence radio sur cet aspect. Et de l’analyse logique, il ressort que le ministre Aghatam Ag Alassane témoigne de son ambition très modeste et de son incapacité à relever le défi de « faire du Mali une puissance agricole » à l’horizon 2010.
C’est ce vendredi 25 juin qu’a eu lieu, à Sélingué, « La journée du paysan » qui consacre le lancement officiel de la campagne agricole 2010-2011. Huitième du genre, ladite journée a été célébrée sous le thème de la promotion de la pisciculture et d’une gestion durable des ressources halieutiques. Moment très attendu par les producteurs et les autorités en charge de la mise en œuvre de la politique nationale agricole, la journée du paysan constitue, pour le ministre de l’agriculture, une tribune pour dévoiler son ambition au titre de la nouvelle campagne agricole et des mesures prises afin de parvenir à cette ambition.
Mais cette année, il a eu une exception : le ministère n’a point voulu communiquer des chiffres. Et dans les rangs de ses proches collaborateurs, l’on s’est voulu moins bavard sur les raisons d’un tel silence, concernant surtout un aspect aussi important que le lancement d’une campagne agricole. Le ministre Aghatam a-t-il voulu éviter l’échec de la campagne écoulée ? Tout porte véritablement à le croire, quand on sait que l’année dernière, il s’était fixé des objectifs, en parfaite contradiction avec les ambitions du chef de l’Etat, de produire 10 millions de tonnes d’ici deux ans et à cet effet, de faire du Mali une puissance agricole.
Moins de 4 millions de tonnes en 2009
L’année dernière, le ministre de l’agriculture a tablé sur une production de moins de 4 millions de tonnes, toutes cultures confondues, repartis comme suit : 2 003 040 tonnes pour le riz, 1 546 975 tonnes pour le maïs, et 30166 tonnes pour le blé.
En toute logique, l’on estime qu’il s’agit là d’une ambition très modeste, surtout pour un pays qui table sur une production de 10 millions de tonnes à l’horizon 2010. Dans trois ans, comment le Mali pourra-t-il produire autant de tonnes, alors qu’il a du mal à réaliser 4 millions de tonnes ? De deux choses l’une : soit c’est le Mali qui est irréaliste avec son ambition de 10 millions de tonnes dans trois ans, soit c’est le ministre Aghatam qui témoigne de son incapacité à relever le défi qui lui est assigné.
Sans complaisance, on pense que la seconde hypothèse semble plutôt plausible, car pour le Mali, ce n’est pas une ambition démesurée que de se fixer un tel objectif. En effet, avec ses potentialités en matière de terres cultivables, la disponibilité en semences locales, la constante bonne pluviométrie de ces derniers temps, et les ressources humaines disponibles en terme d’appui- conseil auprès des producteurs, rien n’empêche la possibilité de « faire du Mali une puissance agricole » comme souhaitée dans le « Programme de développement économique et social » du chef de l’Etat.
Seulement voilà : on constate que l’objectif du ministre de l’agriculture de ne produire que 4 millions de tonnes est une ambition très modeste qui traduit un aveu d’impuissance De façon générale, le ministre trahit les objectifs du Mali en matière de production agricole et de sécurité alimentaire. En effet, en ambitionnant de ne réaliser que 4 millions de tonnes, rien ne garantit au ministre qu au terme de la campagne agricole, il s’agira d’une réussite de 100%. Mais qu’à cela ne tienne, si tel est le cas, 4 millions de tonnes ne peuvent nourrir le Mali durant une campagne et permettre aux paysans d’exporter une partie de leur production afin de pouvoir régler les questions de redevance et les frais d’acquisition des matériels et intrants agricoles.
Selon des spécialistes de la sécurité alimentaire, il faut plus de 4 millions de tonnes pour garantir au Mali une sécurité alimentaire digne de ce nom. De cette réflexion se dégage alors une conclusion : le nouveau ministre de l’agriculture s’inscrit contre la logique du « Programme de développement économique et social ». Pire, au regard de ses ambitions de production à la baisse, le ministre confirme la thèse de son incapacité à relever « le défi de la révolution verte au Mali », tout en ouvrant ainsi la voie à une insécurité alimentaire imminente dans notre pays. Le mauvais souvenir laissé par son prédécesseur, Tiémoko Sangaré, en est un témoignage éloquent. En effet, sur une prévision de production de 4 millions de tonnes, ce dernier aussi n’avait enregistré que 3 millions de tonnes, toutes céréales confondues.
Pour combler le déficit céréalier au Mali, notamment en matière d’approvisionnement en riz, il aura fallu inventer un projet dit « Initiative riz » dont la suite est d’ailleurs connue. Dans une telle situation, comment le ministre de l’agriculture compte-t-il se hisser à la hauteur des espérances placées en lui ? C’est certainement dans le souci d’éviter une guerre des chiffres que le département de tutelle n’a pas tenu à communiquer ses ambitions de production, contrairement aux années précédentes. Sauf que le ministre de l’agriculture oublie qu’avec cette nouvelle approche, il reste un chef sans objectifs.
Issa Fakaba Sissoko