Peu de rituels au Mali sont comparables à la consommation du thé. Cette tradition trace ses origines aux nomades touareg et arabes du nord du Mali. Mais la coutume s’est étendue au sud durant l’époque coloniale. Maintenant, presque tous les maliens, quel que soit leur âge et leur classe sociale, participent au rituel qui consiste à préparer et de boire un mélange épais de thé vert et de sucre trois fois par jour.
Curieusement, les agronomes chinois ont contribué à stimuler la tendance en créant une coopérative locale de production de thé à la fin des années 1960, en compétition, à l’époque, avec les caravanes traditionnelles qui importaient le thé du Moyen-Orient. Au fur et à mesure que la demande dépassait la capacité de production locale, les commerçants chinois intervinrent pour aider les entrepreneurs maliens à s’approvisionner en important de la Chine.
L’entrepreneur, Boubacar Tandia, contrôlait 15% du marché du thé pour une valeur de plusieurs milliards de F CFA. Il commença à importer du thé en 2002, après que les réformes douanières initiées à Ouagadougou éliminèrent sa principale activité d’importation de produits électroniques au Burkina Faso en passant par le Mali. Les commerçants chinois l’ont présenté à un agent d’une entreprise parastatale chinoise, qui lui suggéra d’entrer dans le secteur du thé, et l’a invité à Pékin pour élaborer un plan de marketing. Une entreprise parastatale est une structure semi-publique fondée et contrôlée par le gouvernement. Tandia se rendit d’abord à la douane malienne, la seule source de données d’importation fiable. Il apprit que les importations chinoises de thé étaient d’environ 11,4 milliards de F CFA.
À Pékin, l’entreprise parastatale et Tandia sélectionnèrent ensemble un mélange spécifique, développèrent une marque dénommée “Eléphant” et décidèrent des tailles d’emballage appropriées pour la revente dans les petits kiosques. D’après Tandia, il paya en espèces le premier conteneur de 40 pieds, car les chinois ne donnaient pas de crédit. Son expérience démontre comment la Chine a dominé le marché des biens de consommation en Afrique de l’Ouest. Les produits chinois sont abordables, contrairement aux produits occidentaux, qui sont encore au-dessus des moyens du consommateur malien typique. Les motos chinoises par exemple, ont pris le marché des modèles japonais ou français. Les commerçants chinois vendent directement aux intermédiaires maliens, qui distribuent ensuite les marchandises à travers les petites boutiques et les vendeurs ambulants. En revanche, les commerçants libanais et français contrôlent aussi le secteur de vente en détail, excluant ainsi les grossistes locaux.
La « valeur ajoutée » a lieu en Chine autant que possible avant l’exportation. Les marchandises fabriquées en Chine profitent de la baisse des coûts et de l’économie d’échelle. Ce qui leur permet d’entrer sur un marché à un prix inférieur à celui des produits manufacturés localement. Ironiquement, de nombreux fabricants locaux ont également des partenariats sino-maliens mis en place au cours des décennies précédentes. La présence permanente et significative des commerçants chinois sur le terrain fournit des contacts et des opportunités importantes pour les commerçants maliens précédemment fermés par les intérêts libanais ou autres.
Les produits chinois ont une mauvaise réputation en dépit de leur bonne qualité. Donc beaucoup de ces importations sont délibérément marqués comme provenant d’un autre pays. Cependant, le thé chinois a une excellente réputation, et a complètement monopolisé le marché d’une tradition malienne vieille de plusieurs siècles.
Amadou O. Wane
Collaborateur externe, Floride, Etats-Unis
amadou@amadouwane.com