Affaire BHM/WAIC : La Cour Suprême se dédit

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Moins d’une année après son arrêt N° 53 du 27 mai 2009 qui a cassé sans renvoi l’arrêt de la Cour d’assises de Bamako en transport à Ségou tout en ordonnant la libération de Mamadou Baba Diawara et Ismaël Haïdara, respectivement ancien PDG de la BHM et PDG de la société allemande WAIC, la Cour Suprême du Mali vient d’ordonner sous la forme d’un rabat d’arrêt que l’affaire soit rejugée.

En effet, lors de son audience ordinaire du 28 décembre 2009 présidée par Nouhoum Tapily, la Cour Suprême en statuant sur la requête aux fins de rabat d’arrêt formulée par la Banque de l’Habitat du Mali contre l’arrêt N°53 du 27 mai 2009, Mamadou Baba Diawara et Ismaël Haïdara, a donné son accord pour la réouverture des débats.

Or, selon les termes des articles 646, alinéa 3 du Code de procédure civile, commerciale et sociale et 35 de la loi N°96-071/AN-RM du 16 décembre 1996 fixant l’organisation des règles de fonctionnement de la Cour Suprême et la procédure suivie devant elle, «une requête en rabat d’arrêt peut s’ouvrir lorsque l’arrêt attaqué est entaché d’une erreur de procédure non imputable à la partie intéressée et qui a affecté la solution donnée à l’affaire».

C’est dire donc que seule l’erreur de procédure peut remettre en cause les arrêts de la Cour Suprême qui sont inattaquables et qui sont censés être du béton armé pour le peuple et les justiciables. Même si la loi a été violée et même s’il y a une erreur grave dans l’application des textes, les arrêts de la Cour Suprême ne sauraient être remis en cause.

La question qui mérite d’être posée aujourd’hui après ce rabat d’arrêt est de savoir s’il y a eu effectivement erreur de procédure dans l’arrêt N°53 du 27 mai 2009, Mamadou Baba Diawara et Ismaël Haïdara. Selon un haut magistrat de la Cour Suprême du Mali qui a voulu garder l’anonymat, les dispositions des articles 646, alinéa 3 du Code de procédure civile, commerciale et sociale et 35 de la loi N°96-071/AN-RM du 16 décembre 1996 fixant l’organisation des règles de fonctionnement de la Cour Suprême et la procédure suivie devant elle, ne sont pas applicables dans le cas d’espèce. L’arrêt N°53 du 27 mai 2009 rendu par la Cour Suprême dans l’affaire Mamadou Baba Diawara et Ismaël Haïdara n’est entaché d’aucune erreur de procédure, ajouta-t-il.

Est-ce donc à dire que la Cour Suprême s’est déculottée en accédant au bon vouloir du chef d’un jour ? Tout porte à le croire, si on sait que l’analyse du rapporteur conduisait à l’irrecevabilité du rabat. Dans un Etat qui se dit Etat de droit, normalement cet avis du rapporteur est à 99% suivi par la Cour. Mais, dans le cas d’espèce, la Cour présidée par Nouhoum Tapily, qui serait monté à Koulouba pour les instructions, a validé le rabat d’arrêt, ouvrant ainsi la voie à une nouvelle procédure devant une Cour autrement composée. L’actuel Procureur général près la Cour Suprême, Bouaré en représentant le parquet, fait fi des règles élémentaires, ayant déjà officié à Ségou en deuxième instance. En effet, en qualité de Procureur général, il foule aux pieds l’indépendance de l’institution judiciaire. De même, le président de la République, Amadou Toumani Touré sort du cadre de ses prérogatives constitutionnelles en ordonnant que l’affaire soit rejugée.

Les magistrats en service commandé ont traduit l’injonction du Boss tout en jetant aux orties l’indépendance de leur corporation. Vu la tournure prise par les événements, très peu de juges auraient bravé le courroux du président. Quels que soient les recours, ils aboutiront au limogeage du Procureur général sortant, Cheicknè Déteba Kamissoko ayant un effet dissuasif et intimidant dans un pays où les carrières tiennent à peu de choses.

Birama Fall


Les Allemands exigent le respect de l’arrêt N°53 du 27 mai 2009

Le rabat d’arrêt qui vient d’être ordonné par la Cour Suprême du Mali dans l’affaire Mamadou Baba Diawara et Ismaël Haïdara le 28 décembre dernier ne risque-t-il pas de refroidir les relations entre le Mali et l’Allemagne, l’un de nos grands partenaires techniques et financiers ?

Les Allemands suivent en effet de très près ce feuilleton judiciaire dans lequel des investisseurs allemands sont concernés à travers la société WAIC représentée par Ismaël Haïdara. Des investissements à hauteur de 18 000 000 Euro ont en effet été réalisés par les entreprises allemandes sur le projet de la Mangueraie de Sébénicoro pour l’achat des différents matériaux de construction, des machines et des frais provenant d’honoraires, d’études, d’expertises et de fonctionnement du bureau. Le tout pour la construction de maisons de moyen et haut standing à l’occasion de la «Coupe d’Afrique des Nations sur demande du gouvernement malien».

C’est cette collaboration prometteuse et ambitieuse qui a volé en éclats avec des procédures judiciaires qui n’en finissenplus.

L’Allemagne qui est un Etat de droit a cru bon de laisser la justice malienne faire son travail jusqu’à l’arrêt N°53 du 27 mai 2009. Mais après la déclaration du président ATT, le 8 juin 2009, dans laquelle il s’est opposé à la décision sans renvoi de l’arrêt N°53 du 27 mai 2009 de la Cour Suprême du Mali, une décision largement en faveur de l’Allemagne, un député du Parlement Européen et président de la Délégation pour les relations avec le Parlement Panafricain, l’honorable Michael Gahler a décidé d’engager un bras de fer avec les autorités maliennes.

D’abord dans une correspondance en date du 30 septembre 2009, il demanda instamment au président de la République du Mali «d’intervenir d’une manière visant à sauvegarder la constitutionnalité et le respect des institutions du Mali». Votre rôle, Monsieur le président, ajouta le député Européen «est un rôle clé et je mets toute ma confiance en vous, car je suis sûr, que la réputation et la fiabilité de votre pays, votre gouvernement, vos institutions et vous-même vous touchent profondément : il s’agit de la simple affirmation, qu’au Mali chacun se trouve, sans exception, en dessous de la loi et les règles établies par la Constitution, le cadre législatif et les arrêts des cours compétentes». Après avoir rappelé avec détails la genèse de tout le programme de la Mangueraie, Michael Gahler fera savoir au président ATT qu’il est «suffisamment avéré que le litige entre la BHM et la WAIC est sans fondement juridique». Selon lui, les titres de créance établis par la BHM, annulés par le tribunal administratif, l’expropriation forcée du 31 août 2009 et l’ignorance de la décision de la Cour Suprême du Mali à deux reprises sont une violation flagrante des principes d’un Etat de droit. Notamment la décision de la Cour Suprême N°53 du 27 mai 2009, voire l’emprisonnement de Mamadou Baba Diawara à perpétuité et de M. Ismaël Haïdara à 15 ans, l’arrestation dans une prison militaire de Sékouba Doumbia, ex-régisseur de la prison de Ségou, pour avoir exécuté la décision de la Cour Suprême «met aujourd’hui gravement en péril la reconnaissance du Mali comme Etat de droit auprès de l’Union Européenne avec toutes les conséquences potentielles vis-à-vis de nos programmes de coopération». Le président de la délégation pour les relations avec le parlement panafricain dira au président malien que des «conséquences pour l’allocation de l’aide budgétaire peuvent s’en suivre mais aussi que ceux qui sont impliqués dans cette affaire, qui se sont enrichis et qui sont connus des autorités compétentes européennes risquent que leurs demandes de visas soient refusées, leurs comptes bancaires en Union Européenne se trouvent gelés et leurs immeubles confisqués afin de compenser les pertes des investisseurs».

Le député Européen conclut en disant que «le non respect de toutes les décisions de justice en faveur de WAIC et de entreprises allemandes nous ennuie énormément aujourd’hui. Ces actes ne peuvent être ni l’intérêt du Mali, ni les intérêts des amis du Mali. Ces pratiques frauduleuses vont nous amener, si le problème n’est pas résolu, à prendre des mesures conséquentes et à la hauteur des événements».

A son Excellence l’Ambassadeur de la République du Mali, Mme Fatoumata Siré Diakité qui a réagi le 2 décembre 2009 en écrivant que le ton de cette lettre «ressemble fort bien à des menaces et/ou chantage en direction de notre pays» et qu’il y a une séparation de pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire, comme dans tout Etat de droit, l’ancien 1er vice-président de l’Assemblée paritaire parlementaire ACP-UE qui a déjà visité notre pays à l’occasion de la 9e session APP-ACP-UE rétorqua que «vu l’évolution ahurissante, cette affaire ne me semble plus une affaire privée, mais comme une affaire impliquant les différents services et institutions de votre Etat». Et d’ajouter «je vais politiquement défendre ce qui est légitime : les droits de nos entreprises ici en Allemagne».

Il fera en outre savoir à son excellence Mme Fatoumata Siré Diakité qu’«une consultation de nos partenaires au sein de l’Union Européenne et avec les instances internationales de financement me semble inévitable».

Comment pourriez-vous accepter l’humiliation de l’Allemagne au Mali et les dommages matériels considérables de nos concitoyens sans interroger notre relation de confiance qui est à la base de nos aides et de notre collaboration ?

Et d’assurer enfin que «l’Allemagne et l’Union Européenne ne vont pas lâcher les fraudeurs ! Et pour commencer, il faut que la Cour Suprême du Mali soit respectée en sa décision N°53 du 27 mai 2009». Selon lui, cette exigence n’est pas une attaque à la souveraineté de l’Etat, mais un point de départ afin de rassurer une confiance de base.

B.F
 

 

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